Kanel Brosi : le temps de la maturité

— Par Roland Sabra —

kanel_brosi_sculpturesKanel Brosi expose jusqu’au 27 mars, de 10 à 19 heures, à l’Atrium en compagnie de la peintre Nicole Décoté, dont on peut voir une toile ci après. Si l’œuvre de la peintre semble porter le sceau d’une recherche toujours en mouvement celle de la sculptrice semble marquée par la « trouvaille » et la maturité. Elle a accordé un entretien à Roland Sabra.

 Roland Sabra : Kanel Brosi, depuis quand cette passion pour la sculpture à partir de bois flottés ?

Kanel Brosi : Passion oui, bois flottés pas seulement, puisque, quand j’étais petite fille, j’étais toujours perchée dans les arbres : je me pendais à l’envers aux branches en me cachant, et on me cherchait. J’ai toujours aimé le bois. Mais j’ai vraiment découvert les bois que l’on a en Martinique depuis 15 ans, à mon retour ici : j’ai redécouvert que l’on avait véritablement des trésors de bois, que j’ai commencé à accumuler.

 Ensuite, il y a eu un long travail, d’abord tâtonnant, puis qui s’est affirmé, et qui aboutit ici à une quatrième exposition – avec, chaque fois, un message évidemment.

 J’aime ce que la nature nous donne de beau, les bois bien sûr, mais aussi les pierres. Et les humains quelquefois, mais pas toujours….

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Kanel Brosi, Hommage à Giacometti. – __-

Giacometti La femme debout II, bronze

 

 R.S. : C’est donc la quatrième exposition ; la troisième était à la Villa Chanteclerc du Conseil Général. Mais il me semble que le saut le plus impressionnant dans votre travail se situe entre la seconde et la troisième. Vous semblez être ici, à l’Atrium, dans l’aboutissement d’une phase qui vous a vue passer d’un travail plus ramassé à quelque chose de plus aérien, de plus élancé ?

Kanel Brosi : Oui, tout à fait. C’est mon amour pour Giacometti, qui ne se dément pas et qui tient peut-être à ma taille, un mètre soixante et quelque chose (rires). La première sculpture de cette période, qui a été vendue à des amis, s’appelle d’ailleurs Hommage à Giacometti. Cette pièce (un couple) est exposée ici. Ensuite, les pièces se sont un petit peu amplifiées, épaissies par les bois, tout en gardant ce côté élancé.

 Le travail du bois est aujourd’hui plus profond, plus creusé, dans sa nervure ou dans sa base ; et cela s’accompagne parallèlement d’un travail de la terre qui se veut plus précis dans le détail, dans l’expression multiethnique des visages. On peut donc dire qu’il y a un changement, avec un « fini » plus dense. Mais c’est vrai que j’ai le sentiment d’être, avec cette exposition, au bout d’un chemin où je voulais aller. Je pars désormais vers autre chose que je ne saurais encore nommer.

 R.S. : On trouve dans votre travail une certaine urgence (qui est le contraire de la précipitation) à dire, à faire, à transmettre, et qui vous fait aller, presque à marche forcée, vers la maturité – comme en témoignent ces œuvres où, pour la première fois me semble-t-il, apparaissent ensemble plusieurs personnages.

 

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Kanel Brosi Paroles de mangrove

 Kanel Brosi : C’est la première fois. Comme, par exemple, Paroles de mangrove – une mère et son enfant : cette pièce bleu et or que j’aurais pu vendre vingt fois, tant elle a suscité un engouement qui rappelle que l’œuvre de l’artiste est porteuse d’un sens dont lui-même ne sait rien et qui le dépasse ; son travail ne lui appartient pas tout à fait. Ce qui incite, s’il en était besoin, à la modestie. C’est vrai que ce travail renvoie à cet « autre chose » vers lequel je m’engage et que je ne sais pas encore nommer.

 R.S. : Les bois que vous utilisez aujourd’hui ne sont plus tout à fait les mêmes que ceux d’hier.

 Kanel Brosi : Je délaisse ce qu’on appelle à proprement parler les bois flottés, et je vais plus profondément dans la mangrove fouiller, creuser sous la boue, à la recherche de bois enfouis, plus travaillés par les éléments qu’auparavant. On y trouve de très belles choses mises à notre disposition par la Nature. La Mère et l’enfant, élaboré à partir d’un bois incroyablement torturé, est ainsi caractéristique de ce tournant, qui me fait chercher les matériaux les plus tourmentés pour les convertir en personnages empreints de sérénité et de paix.

 Transformer le moins en plus, le mortifère en vie. Travailler davantage les couleurs, les patines, puisque j’utilise maintenant des peintures, huile ou acrylique. Introduire plus de formes, plus de mouvement, plus d’ampleur, et pourquoi pas des vêtements, sans vouloir pour autant habiller mes sculptures (rires). Voilà ce qui caractérise ma recherche actuelle.

 R.S. : Comment s’articulent votre recherche esthétique et le bois déterré de sa gangue ? Dans quelle mesure ce que vous trouvez va déterminer ce que vous allez faire, et inversement, dans quelle mesure ce que vous savez que vous allez faire va déterminer ce que vous allez trouver ?

 Kanel Brosi : Vous voulez savoir quel est le déclencheur, si c’est la trouvaille de l’objet qui est à l’origine de la sculpture ?

 R.S. : Oui, parce que je crois que ce qui vous fait artiste, c’est cette capacité à voir ce que nous, nous ne savons pas voir.

 Kanel Brosi : Quand je vois l’objet brut dans sa gangue de boue, de terre, de vase, ma vision de l’objet est construite par mes préoccupations esthétiques du moment. L’objet n’existe pas en dehors de la représentation que je m’en fais dans l’instant même de sa découverte. Celui ou celle qui m’accompagne ne voit pas le même objet que moi. L’objet, chose mise en avant, n’est pas le terme exact, car la chose trouvée n’existe pas en elle-même : elle n’existe pour moi que comme prémisse à ce que je vais en faire, comme trésor caché de possibilités d’expression de ce vers quoi je tends.

 R.S. : On trouve ce que l’on cherche?

 Kanel Brosi : Oui, c’est très important. Je ne sais plus si c’est Breton qui dit quelque chose de semblable. La puissance intérieure de l’envie fait que l’on trouve. Et j’ai fait des expériences tout à fait extraordinaires dans mon atelier. Par exemple, mon compagnon m’avait offert une authentique harpe du Zaïre, qu’il fallait poser sur un socle spécifique, particulier. Quand j’ai reçu ce cadeau, je me suis immédiatement dirigée vers un stock de bois trouvés, entassés là depuis des lustres, un peu oubliés ; et, sans réfléchir, sans hésitation aucune, j’ai saisi une pièce qui s’est révélée être en parfaite adéquation avec ce à quoi elle semblait être destinée depuis toujours : être le support de cette harpe du Zaïre. Je crois à la force du désir !

 

Propos recueillis par Roland Sabra le 20 mars 2010

 

 

 

Nicole Décoté Cat Eyes 2008

 

 

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comment l’œuvre recèle l’intelligence de la ruse

 

 

P.S. On peut voir,  ici, quelques unes de ses œuvres de l’exposition « Femmes »