« Kanata » : le résultat n’est pas à la hauteur

— Par Michèle Bigot —
Épisode I, La Controverse
Théâtre du Soleil, Paris, 15/12 2018> 17/02/2019
Tout le monde se souvient de la controverse qui a secoué le monde du théâtre au mois de Juillet. Robert Lepage préparait avec la troupe du Théâtre du Soleil une pièce de théâtre sur le thème des peuples premiers du Canada, et le tout serait réalisé sans qu’apparaisse un seul acteur appartenant à ce peuple autochtone. Mauvaise querelle, car c’était faire fi de la nature du théâtre pour lequel n’importe quel acteur est censé pouvoir jouer le rôle d’Hamlet. C’était en outre méconnaître la tradition et l’engagement du Théâtre du Soleil qui, depuis toujours, brasse les origines ethniques des comédiens pour notre plus grand plaisir. Bref, la controverse semblait déplacée et artificielle.
Néanmoins, puisque controverse il y a et qu’après tout le théâtre se doit de relever le défi démocratique du débat, Robert Lepage intègre au scénario les termes du débat, et c’est là que le bat blesse, car il le fait en des termes maladroits et très discutables. Il n’est pas judicieux, et à la limite, contre-productif d’assimiler la question ethnique à la condition des drogués. Tout rapporter à la problématique de l’identification de l’artiste au sort des drogués, c’est manquer sa cible, même s’il est vrai que les autochtones sont les premières victimes de la came et de l’alcool. Et au fond, cette histoire de camés et de putes victimes d’un tueur en séries est assez calamiteuse. Elle ne fait que nourrir les stéréotypes et s’abreuver à l’inspiration des pires séries télévisées. Sur le fond comme sur la forme, le spectacle reste donc décevant, pauvre quant à l’histoire de ce peuple, maigre dans son fil narratif, dépourvu d’audace formelle. On attendait une fresque magistrale et poétique sur les peuples autochtones, on a une histoire misérabiliste de femme indienne enceinte à qui on arrache son enfant, une fille qui finira sur le trottoir, percluse de misère et de drogue, puis finalement sauvagement assassinée (lors d’une scène totalement grotesque). On se souvient alors qu’il ne suffit pas que l’acteur pleure sur scène pour émouvoir les spectateurs. C’est du mauvais mélo ! On touche là aux limites de l’improvisation et de l’écriture de plateau : le texte est plat, quand il n’est pas involontairement comique.
Au final, le meilleur de cette production, ce n’est pas le spectacle, mais le fait même qu’il ait pu exister et que la troupe du Soleil continue bravement son aventure utopique, se nourrissant de toutes les cultures et faisant vivre des dizaines d’acteurs. Sans compter leur façon de travailler exceptionnelle en ce sens que chacun doit savoir tout faire dans la troupe : mais ici le résultat n’est pas à la hauteur. On avait besoin d’une vraie écriture, d’un texte puissant et pas de répliques maigrichonnes. Reste à signaler quelques très belles scènes, au moins deux : celle de la pirogue naviguant sur les rives du songe et le récit de la guerre de l’opium mené sur fond de chorégraphie Tai-chi. On retrouve dans ces scènes une véritable dimension théâtrale. Il semble que les effets de décalage en soit l’essence, alors que lorsque le plateau illustre l’action, on reste dans l’indigence : la multiplication des changements de décor finit même par être lassante. La débauche de moyens peut être un piège.
Michèle Bigot

 

Théâtre du Soleil
Robert Lepage
Représentations du mercredi au vendredi à 19h30 le samedi à 15h et, à partir du 12 janvier, à 15h et à 20h le dimanche à 13h30
(relâche exceptionnelle le mercredi 2 janvier 2019)
Durée du spectacle 2h30
Spectacle en français et en anglais, surtitré en français