—RS n° 406 lundi 4 août 2025 —
La signature de l’accord de Bougival par le responsable de la délégation kanak, l’État français, les Caldoches auto-désigné·e·s « loyalistes », les débats qu’il suscite au sein du camp indépendantiste, interpellent tout anticolonialiste.
Personne de raisonnable ne peut prétendre donner des leçons à celles et ceux qui mènent la lutte de libération sur le terrain, en payant le prix exorbitant que cela implique. Le devoir de solidarité suppose le respect des directions que le peuple en lutte s’est donné, mais aussi l’aptitude à tirer les leçons des évènements tels qu’ils se déroulent.
À propos de l’accord
Le président de l’Union Calédonienne, principale force historique du mouvement kanak, ne cache pas son désaccord avec une signature pourtant avalisée par le Palika, une composante du FLNKS née sous le signe de la radicalité « marxiste-léniniste ». Signe de la complexité de la situation. L’USTKE, centrale syndicale majoritaire, fidèle à son orientation anticolonialiste et anticapitaliste vient à son tour de rejeter ledit accord.
De fait, cet accord a une apparence et une réalité. L’apparence, dirons nous en exagérant quelque peu, c’est la création d’un État, la proclamation d’une nationalité, l’attribution de pouvoirs à cet État, y compris sur le plan international. Toutes choses qui font rêver chez nous, au point que Serge Letchimy a vite repris le slogan publicitaire connu des Foyalais d’antan : « Menm pri isi ! On veut pareil ».
La réalité c’est (pour être juste) que cet accord marque un recul à ce qui était promis dans le précédent, à savoir la programmation contrôlée de l’accession par les urnes à la pleine souveraineté, c’est-à-dire à l’indépendance nationale. Exit par ailleurs, dans le texte signé à Bougival, le point central du gel du corps électoral garantissait que le sort du pays ne dépende pas du bon vouloir des derniers Français arrivés à travers la politique bien connue de colonialisme de peuplement.
Le recul est préoccupant : ce point central est à l’origine de la crise dont les braises sont encore fumantes. Les sacrifices faits par les kanaks en révolte (en termes de vies humaines et de peines de prison toujours en cours pour beaucoup) font partie de la terrible réalité. On peut comprendre celles et ceux qui s’opposent à la signature de l’accord aussi bien dans la forme (pas de retour préalable pour une décision collective) que dans le fond (autodétermination tronquée).
L’éternelle question du rapport de forces
Tout accord est le fruit d’un rapport de forces et de l’attitude des forces émancipatrices face à ce rapport de forces. La dernière révolte kanak, inscrite dans une longue tradition de résistance à la barbarie colonialiste, était celle d’une jeunesse et d’un peuple, le dos au mur, agressé violemment par un pouvoir refusant de revenir sur un pseudo vote imposé dans des conditions indignes par un pouvoir provocateur, méprisant à l’égard du peuple colonisé dont les traditions mortuaires ont été foulées aux pieds à la fois par les Caldoches, trop heureux de profiter de l’aubaine, et le pouvoir colonial cherchant par son subterfuge à enterrer la question coloniale, et refusant aux Kanaks d’enterrer dignement leurs morts victimes du Covid.
Le soulèvement initialement très pacifique du peuple a été violemment réprimé par un colonialisme. Ce dernier ne retient du passé que les leçons qui l’arrangent sur le moment. Dans ce contexte, les Kanaks ont eu à exploiter le répit procuré par la victoire du nouveau front populaire après la dissolution macronienne, mais le pouvoir ne lâche rien.
Que ce rapport de forces soit diversement apprécié au sein du mouvement indépendantiste n’est surprenant que pour celles et ceux qui ne s’occupent des luttes de libération que dans les films ou les bandes dessinées. Et encore…!
Avons-nous une responsabilité dans l’affaire?
Oui ! Notre responsabilité n’est pas de prétendre à distance, jouer au professeur de révolutions des autres. Elle est de peser de toutes nos forces pour leur créer les conditions les plus favorables possibles dans leurs négociations. Comment ? Bien évidemment, par un soutien sans faille à leurs luttes, par un renforcement de notre propre lutte contre un colonialisme qui est le même.
La solidarité avec la lutte du peuple kanak fait partie de notre propre combat décolonialiste. Développer cette compréhension des choses, est notre devoir pour les Kanaks et pour nous-mêmes.
Un mouvement plus puissant de solidarité dans toutes les dernières colonies et en France, aurait été une aide importante pour les combattant·e·s Kanaks, et en définitive pour nous-mêmes. La solidarité dans ce moment complexe, reste notre tâche, puique rien n’est réglé. Mais il faut aller plus loin.
Pour un Front Décolonial Uni des Dernières Colonies de la France
Aller plus loin, c’est comprendre que la Kanaky, qui est dans un moment crucial, que la Guyane, qui est en phase de négociation malheureusement sans grande mobilisation populaire, que les mouvements anticolonialistes de Martinique, de Guadeloupe, de Réunion, qui accordent parfois plus d’importance aux complicités idéologiques incertaines, qu’aux intérêts stratégiques profonds des mouvements ouvrier et populaire, doivent se hisser à la hauteur nécessaire pour affronter ensemble un pouvoir colonial retord, à la fois hypocrite et cynique, capable de jouer sur les différences de situation, et de pratiquer à l’envers la tactique des Horaces et des Curiaces.
Nous diviser, et nous réduire l’un après l’autre, en s’appuyant sur les complicités locales qui existeront toujours : telle est la tactique des Dominants. La seule riposte à la hauteur des enjeux, est de nous unir autour des intérêts de nos peuples. Tout le monde voit bien qu’il y a une certaine urgence. Alors ?