Juste pour rire, … savoir et tolérer

— Par Jean-José Alpha—
le_rire_grd_mystereSouvent l’humour cultivé par les minorités est l’art de transformer leurs trop nombreuses difficultés à s’intégrer et leurs humiliations, en objets de plaisanterie et en jouissance.
Pendant longtemps le cinéma américain a relégué les comédiens noirs vers de nébuleux castings de films misérables destinés à leur communauté. Pour obtenir un rôle, ces artistes ont été obligés de jouer le jeu des stéréotypes racistes de l’époque. L’évolution des mentalités leur a néanmoins permis d’établir un « afro-etablishment » au cinéma et à la télévision et d’élaborer une forme d’humour typique de leur minorité.
Ce fut par exemple le cas de Bill Cosby devenu le numéro Un de l’humour télévisé « black » avec son émission hebdomadaire : « le Cosby Show ». Par le rire, il a légitimé l’existence d’une famille noire de classe moyenne. Richard Pryor avec ses comédies irrésistibles au cinéma, a pavé la voie de son successeur, Eddie Murphy. Ce dernier a battu les recors du box- office dans les années 1980 avec « le Flic de Beverly Hills » et « Un prince à New york ». Peu s’en faut pour affirmer que les comédiens noirs ont dominé la scène des années 1990, comme en témoignent les « sit-coms Family matters » qui relatent les joies et les peines, mais surtout les rires, d’une famille ouvrière de Chicago, et « le Prince de Bel air » qui retrace l’histoire d’un jeune bagarreur de Philadelphie – interprétée par Will Smith – installé chez de riches cousins de Beverly Hills.
Mais plus proche de nous aux Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, depuis les années 60, « la famille Marsabée » de Maurice Jallier a mis en scène durant de nombreuses années, et pour le bonheur de tous, comme le conteur « des mornes », l’inadaptation de trois compères issus de l’exode rural confrontés à l’assimilation obligatoire à la culture dominante française.
Méprisés par les populations de la capitale qui voyaient en ces personnages venus de l’arrière pays, le stéréotype de l’idiot (kouyon) incapable d’intégration à la modernité et à l’éducation française. Généralement illettré et analphabète, le kouyon était méprisé et relégué au rang de sous-homme pour ses « malheurs » avec les femmes, avec les politiciens, avec la société. Alors qu’il atteste de connaissances de l’agriculture, de la pêche, de la pharmacopée traditionnelle, des traditions, des mythes et des mystères des humanités dites archaïques, il se retrouve être le « clown » pitoyable de la modernité et de la réussite sociale.
De là et en contre-point, le bon jakotè (imitateur) est toujours celui qui traduit avec aisance et humour les stigmates des dominants dont l’exercice du pouvoir est de nier la modeste condition des dominés. La caricature socio politique martiniquaise par exemple avec la bande dessinée des inimitables Fouyaya, aujourd’hui de François Gabourg et Pancho, permet à beaucoup de talents de faire éclater sans vergogne et avec insolence leurs forts penchants pour l’ironie provocatrice.
Et puis, au de là de nos frontières, un des traits communs aux Juifs par exemple -réminiscence séculaire et vivace de leur histoire et de leur culture, exactement comme pour les Noirs – est leur humour, frappé au sceau de l’autodérision.
Tous ou presque toutes les civilisations planétaires possèdent le talent de transformer les malheurs et les humiliations en une joyeuse libération psychologique que seul peut provoquer le rire. René Ménil ne disait-il pas : « nous ramassions vos injures ( et vos mépris) pour en faire des diamants »
De Groucho Marx à la famille Marsabée, en passant par Ti Bouboule et Jean Yves Ruppert, de Wooddy Allen en passant par Popeck , Général Sélas et Dieudonné, l’ humoriste se moque de lui-même et des particularismes de sa culture. Dans un autre style, Charlie Chaplin fut également un champion de l’humour Juif, Nègre, Belge ou Méditerranéen, comme bien d’autres tels Louis de Funes, Fernandel, Raymond Devos et Fernand Raynaud.
Les comiques, les humoristes, les chansonniers arrivent en effet, à faire rire de la misère et de la solitude, mais également de la dictature la plus criminelle.
L’autodérision peut-être subversive et redoutable, rire de soi, des autres et de ses travers, n’est-il pas bien souvent le plus subtil des moyens pour toucher les autres et se faire connaitre d’eux ?
Le rire multicolore aujourd’hui en France L’humour en France est à l’image de son peuplement, une mosaïque. Lorsque le Café-théâtre est créé, il est une affaire de minorités : comédiens au physique pas vraiment hollywoodien, auteurs dont les convictions dérangent les bien-pensants, femmes largement minoritaires dans le paysage des humoristes français de l’époque.
Aujourd’hui, voici le temps des français venus d’ailleurs, – ceux que j’affectionne particulièrement : Coluche, Claudia Tagbo, Elie Semoun, Dieudonné, Omar Sy, Pascal Légitimus, les Inconnus, Princesse Constance, Nicolas Canteloup, Jamel Debbouze, Sylvie Joly, Fabrice Eboué, Guy Montagné, Laurent Gerra, Florence Foresti, Fred Testot, etc…, qui offrent à la France la richesse de leur répertoire d’Afrique du Nord, du Canada, des Antilles, de la Belgique .
Il faut comprendre que le comique, l’humoriste comme chacun de nous dans l’intimité familiale et amicale, a accepté sa condition d’être apprécié ou pas pour tel ou tel sketch, tel ou tel tic de culture, tels ou tels jeux de mots, d’idées, d’images et de métaphores qu’il aura utilisé pour transporter avec humour et dérision, les querelles entre les peuples, la bêtise humaine, la misère du monde dans le quotidien des auditoires pour se faire connaitre et … certainement améliorer la condition humaine.

J.José ALPHA