José Exélis donne chair au « Jacques 1er » de Faubert Bolivar

— Par Roland Sabra —

Un rituel est en gestation. José Exélis accueil son public dans le hall. Un musicien l’accompagne. Le metteur en scène cadre la lecture puis entraîne son auditoire dans le méandre des couloirs de la bâtisse. Sur le chemin un fil conducteur parsemé de feuilles mortes et de bougies mène vers la salle attenante à la terrasse ou doit se dérouler la lecture mise en espace. Dans la semi-pénombre sur fauteuils et tabourets, six personnages, deux femmes et quatre hommes attendent immobiles, figés en un temps d’un autre temps. Devant les musiciens en fond de scène et face aux autres comédiens, trône, imposante, une momie, le haut du corps et le visage couverts d’une longue écharpe, blanche et sang. A la fermeture des portes, le voile sera défait, comme un retour vers le passé pour tenter d’éclairer le chemin d’un présent qui bégaie dans la souffrance et la douleur.
 Faubert Bolivar nous conte les premières années de l’indépendance d’Haïti proclamée le 1er janvier 1804 par le Gouverneur général à vie Dessalines. Ce n’est que le 6 octobre 1804 qu’il se fera nommé Empereurr, pour brûler la politesse à son rival Napoléon Bonaparte couronné, lui ,le 2 décembre de la même année. Miroir identitaire d’une contre-dépendance à travers laquelle le maître continue d’être…
L’insoluble question agraire va miner le règne de Dessalines, suscitant des complots qui vont aboutir à son assassinat à Pont-Rouge le 17 octobre 1806. Le texte de Faubert Bolivar restitue la complexité de la situation sans faire l’impasse sur les forces et les faiblesses du personnage. Il ajoute, dans la tradition d’un théâtre classique, à la dimension politique du drame représenté, la fable romantique d’un amour contrarié entre une fille de Dessalines et un beau capitaine instrumentalisé par Pétion. On est là sur un registre théâtral plus convenu et plus aisé à mettre en scène que celui de la figuration des contradictions internes du caporalisme agraire instauré par Dessalines dès le 2 janvier 1804 et rejeté par le peuple. Ce peuple qui n’existe qu’à être nommer, ce à quoi s’attache Dessalines en reprenant dans un renversement des valeurs l’adage stigmatisant du colon  » Tout ce qui n’est pas blanc est noir »dans la quête d’une union populaire. Union que vont s’empresser de miner libres de couleur, nostalgiques de l’ordre ancien, espions au service de l’ordre colonial et qui mèneront  à l’assassinat de Jacques 1er et au partage du pays entre Christophe et Pétion.

 Le choix de la lecture mise en espace favorise, sans trahir l’auteur la représentation future, souhaitable et espérée de la pièce.

Le théâtre que nous propose Faubert Bolivar est un théâtre qui puise aux sources du baroque à savoir le jeu, le mouvement, l’instabilité, l’ostentation, l’illusion. Les différents niveaux de langages se croisent, se mêlent pour épouser les personnages et les situations. Tragique et comique interfèrent dans l’abolition des unités de temps et de lieu au service d’un jeu d’acteurs par lequel l’apparence doit mener le plus sûrement possible à l’émergence d’une vérité. Dans cette veine Ruddy Sylaire pour un rôle de bouffon truculent, calculateur et cynique s’en donne à cœur joie pour tenter de justifier l’épuration ethnique fondatrice du pacte social tel que le concevait Dessalines. Génocide des Taïnos, déportaion et mise en esclavage des populations noires, assassinats des blancs restés sur l’ile : Haïti, terre de crimes contre l’humanité… Eric Delor présente avec justesse et retenue un Pétion, tout en ambiguïté, mais traître dans l’âme. Patrice Le Namouric est une belle figure de l’espion blanc manipulateur sans nom. Les personnages féminins, Claire, l’épouse de Dessalines, Célimène, sa fille, sont l’occasion pour  Daniely Francisque et Jann Beaudry de performances plutôt maîtrisées.

Il faut enfin dire un mot sur la bonne idée de présenter sur scène des musiciens qui accompagnent le texte et le dire des comédiens avec justesse, gravité. Présence discrète et nécessaire pour une respiration bienvenue.

La lecture mise en espace de José Exélis est riche d’un devenir de mise en scène attendu. Allez, Jopsé Exélis, encore un effort pour être… 😉

Fort-de-France, le 13/12/2017

R.S.