« JonOne, l’empire des signatures » à la Fondation Clément

Du 10 novembre 2017 au 1er janvier 2018

Throwing Codes In Da Air, 2016, 142 x 205 cm, acrylique sur toile

Préambule Texte d’Alice Cazaux

John Perello, mieux connu sous le nom de JonOne, est l’un des précurseurs du street art en France. Né à Harlem (New York) en 1963, de parents Dominicains, il vit à Paris depuis bientôt trente ans. Ce qui le caractérise : sa signature JONONE en all over, sur toute la surface de la toile. Très remarqué lors de l’exposition Né dans la rue à la Fondation Cartier (Paris, 2009), son travail plonge ses racines dans la peinture gestuelle de l’abstract painting américain et le vocabulaire pictural du tag. En résulte ce croisement singulier, qui se manifeste comme une signature tribale.

JonOne s’inscrit dans une pratique mature sans pour autant oublier ses origines : il se définit comme un peintre abstrait, qui utilise les codes graphiques de la rue. Mais lorsqu’on l’interroge sur ses liens avec Keith Haring et Jean-Michel Basquiat, il leur préfère aujourd’hui une filiation avec Raymond Hains, Jacques Villéglé, Christopher Wool ou Ben.

Cette exposition à la Fondation Clément est le fruit d’un retour sur les terres caribéennes qui ont vu naître ses parents. Elle permettra un regard rétrospectif sur son travail, depuis les premières toiles de l’Hôpital éphémère jusqu’aux dernières œuvres, en volume ou à l’huile, d’où se dessine l’aboutissement d’un parcours artistique plein de mouvement. Depuis le surgissement de l’art pariétal dans l’obscure clarté des grottes et des étoiles, exécuté sous tension, l’Homme est né tagueur. Des gravures qui lacèrent le paysage de Pompéi jusqu’aux données de nos adresses IP qui identifient nos identités numériques en passant par les signatures des militaires de Charles Quint, le personnage «Kilroy» et son gros nez peint par les G.I américains, les écritures NICOLA gravées par Restif de la Bretonne sur les pierres de Paris, celles des fous et des prisonniers, celles des hobos qui traçaient leurs monikers – ces écritures vagabondes et autobiographiques – dans les entrailles des mécaniques des trains de marchandises, celles du cholo graffiti qui marquaient les territoires chicanos dans les barrios de Los Angeles, ou encore celles des touristes qui ne cessent de défigurer œuvres, ruines antiques, cactus et autres surfaces anonymes, l’Homme écrit son nom pour s’opposer au temps. Alors la signature devient autoportrait.

 Au pied du mur, on retrouve le dessinateur et le satyre, pour paraphraser Robert Desnos. Le mur n’est pas une surface innocente. Il appartient « aux « demeurés », aux « inadaptés », aux « révoltés », aux « simples », à tous ceux qui ont le cœur gros. Il est le tableau noir de l’école buissonnière. », écrivait Brassai, photographe français d’origine hongroise qui a photographié les graffitis de Paris dès 1930, incitant le public à développer l’état sauvage de l’oeil, pour mettre à mal l’idée même des Beaux Arts. Il ajoutait : « Graver son nom, son amour, une date, sur le mur d’un édifice, ce « vandalisme » ne s’expliquerait pas par le seul besoin de destruction. J’y vois plutôt l’instinct de survie de tous ceux qui ne peuvent dresser pyramides et cathédrales pour laisser leur nom à la postérité. » C’est cet instinct de survie et cette soif de liberté hors-la-loi qui motiva les pionniers du graffiti new yorkais à la fin des années 1970, à évangéliser le métro et les murs de la ville avec une nouvelle croyance : la « religion du nom » qui imprègne encore aujourd’hui les peintures-punitions de JonOne.

 Entre deux exercices de corde à sauter pour préparer un match de boxe amical dans son atelier devenu ring, JonOne – peintre boxeur qui frappe ses toiles avec la couleur – explique : « Ma peinture est corporelle, dans l’action : il y a du punch. C’est lié à l’énergie des couleurs que je voyais sur les trains peints à New York, comme le surgissement d’un flash de peinture dans la ville. Dans les années 1980, le métro était comme un musée qui traversait la ville. Mon style est lié à ce mouvement et à la vitesse de la peinture. J’aime que les gens soient déstabilisés et déséquilibrés devant mes tableaux. En peignant, je crache la rage qu’il y a en moi. »

La rage de la rue, de la peinture (de l’expressionnisme abstrait au graffiti dans sa version la moins populaire : le tag), des origines (le mystérieux Saint-Domingue, l’Amérique des années crack, le Paris alternatif des années 1990). Depuis les années 1980, l’artiste s’est émancipé des canons classiques du graffiti pour se tourner vers l’abstraction. Même lorsqu’il sature ses tableaux de tags peints désormais à l’huile – jouant ainsi avec les notions de haut et de bas – JonOne convoque l’énergie hardcore qui lui vient du vandalisme.  

Il affirme : « Ce n’est pas ce qui est écrit qui est important dans mon travail : l’écriture, les lettres, c’est un prétexte pour pouvoir passer à une autre étape, la lumière, la couleur, l’énergie, le mouvement du corps. Derrière mon nom on retrouve mon passé, mon présent et mon futur. »

 Titien, Poussin, Picasso, RMUTT1917, O’clock : ces noms sont aussi des signatures. Dans son essai « Graffitis – inscrire son nom à Rome », Charlotte Guichard analyse : « Apposer son nom sur la toile est une pratique qui se développe à partir de la Renaissance, et qui devient courante, presque conventionnelle, à la fin du XVIIIe siècle. La signature trouve désormais sa place en bas du tableau, en lettres cursives, valorisant le nom de l’artiste et sa présence sur la toile : est-ce la même chose de signer hors du cadre, sur un mur, près d’une fresque admirée ou dans des ruines antiques ? Depuis Vasari, à l’époque moderne, le nom propre de l’artiste a été investi d’une valeur poétique, historique et économique; il est aussi la marque de l’auteur et de l’authenticité. » Là où un artiste comme Josh Smith impose ses «name-paintings» en tableaux XXL, peignant et répétant son nom en éradiquant tout syle dans ses lettres, les signatures de JonOne sont stylisées – maîtrise du handstyle oblige – et superposées au point de devenir abstraites, devenant des fragments d’énergie, de gestes marqués par l’authenticité du parcours de l’artiste qui a eu pour école d’art le tourbillon underground et New Yorkais des années 1980.

 Une époque où la peinture de rue secouait l’histoire de l’art, et dont voici un témoignage écrit par Norman Mailer et publié dans la revue Esquire en mai 1974 : « ce mouvement n’était pas tellement destiné à recouvrir le monde mais c’était plutôt l’excroissance d’une excroissance. La population des taudis, glacée d’un côté par la morne tristesse de l’architecture moderne, et décervelée d’un autre côté par les hommes politiques dont l’égo est une vertu – Je suis ici pour aider la nation -, intoxiquée par les grands beaux chiffres des scores sur les terrains de football, et par le coup de fouet des lettres capitales des emballages publicitaires, et prise aux tripes par le son du rock et du soul qui déchire le vaudou du firmament avec le cri perçant des entrailles du chanteur qui s’enroule comme des lettres de néon dans la lumière bleue et satanique, oui toute l’excroissance des autoroutes et les pays des merveilles fluorescents de chaque panneau publicitaire pour Las Vegas qui crépite dans la nuit du New Jersey et de l’Iowa, tous les efforts idiots pour apprendre l’orthographe qui vous tordent l’estomac, il y avait tout cela dans les graffitis, toutes les agressions de la psyché tandis que les métros passaient dans un bruit de ferraille. Ce mouvement avait peut-être la simple intention de prendre quelques-unes des excroissances laissées là et de les faire disparaître du monde en les peignant, ce n’était peut-être qu’une forme de thérapie de groupe faisant preuve d’élégance devant la nécessité d’évacuer le gâchis, ce mouvement ne songea peut-être jamais à couvrir de peinture le vide absolu du monde moderne mais les autorités réagirent comme si la ville avait davantage à redouter des graffitis que de la drogue et leur déclara une guerre implacable, utilisant à fond tous les désherbants légaux et psychologiques jusqu’à ce que les graffitis de New York soient défoliés, cicatrisés, vietnamisés.»

Artiste du « Tout-Monde », les tableaux de JonOne étirent les origines et le temps : des prémices du Hip Hop new yorkais et du « Subway Art » au renouveau du mouvement à Paris notamment au coeur du terrain légendaire de Stalingrad, des murs à la toile, de son premier atelier au squat de l’Hôpital Ephémère où agnès b. l’avait découvert à celui qu’il occupe désormais aux Lilas… Hors-cadre, toujours en mouvement et les mains sales, JonOne compose ses peintures en freestyle. Il projette sa peinture pour qu’elle devienne matière (parfois rugueuse comme un mur en ruine) et mixe les couleurs pour obtenir de nouvelles vibrations lumineuses. Alors derrière ses peintures exposées à la Fondation Clément qui présente une rétrospective de l’artiste, on retrouve ce fameux « I was here », manifeste des graffitis anonymes du monde. « J’étais là » : un cri teinté aux couleurs fauves de la nuit et craché à notre visage, mais que John Andrew Perello conjugue depuis 30 ans au présent.

Extrait du dossier de presse.