Jésus : un « glouton et un ivrogne » (Matthieu 11, 19)

Pas né un 25 décembre, ni « l’année zéro » des astronomes… Jésus, un inconnu passé au crible des historiens
Les évangiles canoniques sont silencieux sur la période allant de l’enfance de Jésus jusqu’au début de sa prédication publique, environ deux ans avant sa mort. De sorte qu’on ne peut esquisser de lui qu’un portrait en pointillé.

— Par Virginie Larousse —

Que sait-on donc, au juste, de la vie de Jésus ? Commençons par briser une idée reçue : Jésus n’est pas né « l’année zéro » des astronomes, contrairement à ce que le moine Denys le Petit, au VIe siècle, avait déduit de ses calculs. C’est plutôt entre l’an 7 et l’an 4 avant notre ère (probablement en 6) qu’une certaine Marie donne naissance à un nourrisson prénommé Yeshoua, « Dieu sauve », en hébreu.

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De même, il n’est vraisemblablement pas venu au monde un 25 décembre, jour hautement symbolique de la naissance du dieu antique Mithra, aux environs du solstice d’hiver et prélude au retour du printemps. Et finalement, Jésus ne serait pas mort en 33, mais quelques années plus tôt – vraisemblablement le 7 avril 30, à l’âge de 36 ans.

Un doute subsiste sur le lieu de cet enfantement. D’après les évangélistes Matthieu et Luc, l’enfant n’est pas né à Nazareth, la ville de ses parents, mais à Bethléem – cité du roi David dont le règne, au Xe siècle avant notre ère, est fantasmé comme un âge d’or pour Israël. Un procédé classique, visant sans doute à idéaliser la biographie du fondateur du christianisme.

Jésus est plus certainement né à Nazareth, en Galilée. C’est en tout cas là qu’il passe toute son enfance et sa jeunesse – d’où, sans doute, le surnom de « Nazaréen » qui lui est donné. Conformément à la Loi juive, Jésus est circoncis huit jours après sa naissance. L’enfant aurait manifesté très tôt le désir de fréquenter le Temple de Jérusalem, comme en témoigne l’épisode de « Jésus parmi les docteurs » (Luc 2, 41-50).

On sait peu de choses de son milieu d’origine, hormis que son père était charpentier, ce qui, dans le vocabulaire de l’époque, regroupe tous les métiers du bois. Le jeune homme exerce également ce métier que lui a enseigné Joseph. « Ce n’est pourtant que le charpentier », s’étonnent les habitants de Nazareth alors qu’il prêche dans une synagogue (Marc 6, 3). Il s’exprime en araméen, la langue du peuple, plutôt qu’en hébreu, dont il connaît sûrement les bases. Il sait d’ailleurs lire, puisque l’Evangile de Luc (4, 16-20) le dépeint faisant la lecture des versets d’Isaïe.

Au moins six frères et sœurs
Le jeune garçon a des frères et des sœurs, précise le Nouveau Testament, qui en dénombre six au minimum. Les évangiles citent quatre « frères » de Jésus : Jacques, Joset, Jude et Simon ; ainsi que des sœurs qui ne sont pas nommées. Cette mention d’une fratrie ne manque pas de surprendre, sachant à quel point Matthieu et Luc, puis l’Eglise, insisteront sur le motif de la virginité de Marie.

De fait, plusieurs explications ont été données : pour les uns, ces « frères et sœurs » seraient les enfants que Joseph aurait eus d’un premier mariage. Pour les autres (les protestants libéraux, en particulier), ces enfants auraient été conçus par Marie et Joseph après la naissance de leur premier-né ; si cette interprétation préserve le dogme de la naissance sans péché de chair de Jésus, elle contredit néanmoins la doctrine de la virginité perpétuelle de Marie. D’autres encore arguent que le terme signifiant « frère » (ach), en hébreu et en araméen, peut également faire référence à des cousins ou des demi-frères…

On sait d’ailleurs que Jésus a un cousin, appelé lui aussi à une destinée fameuse : Jean le Baptiste, reconnu comme un éminent prophète du judaïsme et mentionné en dehors des évangiles, par le récit de l’historien juif Flavius Josèphe au Ier siècle. C’est Jean le Baptiste qui inaugure la vie publique de son cousin, alors âgé d’une trentaine d’années, en procédant à son baptême sur les rives du Jourdain (Matthieu 3, 13-17). Jésus se serait ensuite rendu dans le désert pendant quarante jours : c’est l’épisode de la « Tentation », durant laquelle il parvient à résister aux sirènes de Satan, nous dit le Nouveau Testament.

« Un glouton et un ivrogne »
Débutera ensuite une intense activité de prédicateur itinérant. Jésus se déplace beaucoup, donne de nombreux enseignements et opère des miracles, tous abondamment relatés dans les évangiles – qui le dépeignent comme un « glouton et un ivrogne » (Matthieu 11, 19), loin de l’image ascétique que l’on pourrait s’en faire. Mais cette période sera très brève : après son dernier repas (la Cène), le texte biblique relate qu’il est arrêté sur la dénonciation de Judas, sans que le motif en soit vraiment clair.

L’homme dérange. Avec ses prêches fougueux et les guérisons spectaculaires qu’on lui prête, il provoque des mouvements de foule considérables et représente une menace à l’ordre public, autant aux yeux de l’occupant romain qui dirige alors le pays que des chefs juifs. Le Nazaréen est ainsi crucifié, non loin de Jérusalem, sur le lieu-dit Golgotha (le « lieu du crâne »), la veille de la Pâque. Quelques jours plus tard, il aurait été « ressuscité d’entre les morts » (Romains 10, 9). Impossible, pour l’historien, de se prononcer sur la véracité de cet épisode, qui relève de la foi.

Ce qui est sûr, c’est que « l’événement de Pâques » va entraîner une ébullition considérable autour de la personne de Jésus. D’annonciateur d’un message, il devient objet de vénération. Et de fantasmes : très tôt, les chrétiens, mais aussi les croyants d’autres traditions religieuses (juifs et musulmans, notamment), vont s’employer à extrapoler la vie de Jésus pour en combler les blancs.

Cet article a initialement été publié dans Le Monde des religions n° 68, novembre-décembre 2014.