Je suis l’auteur de «L’insurrection qui vient»

— Par collectif —
insurrection_qui_vient-3Pour motiver son renvoi en correctionnel du groupe de Tarnac pour terrorisme, la justice s’appuie sur ce pamphlet anticapitaliste dont elle attribue l’écriture à Julien Coupat. Des intellectuels et des écrivains, dont François Bégaudeau ou Frédéric Lordon, s’inquiètent qu’un livre devienne pièce centrale d’un procès, et rappellent la liberté de critiquer la société capitaliste.
Le parquet du tribunal de grande instance de Paris vient de demander le renvoi en correctionnelle de huit personnes, dont trois pour actes de terrorisme, dans l’affaire dite «de Tarnac». Une affaire lancée, voilà sept ans, par une opération à grand spectacle qui avait vu les forces de l’ordre cagoulées se déployer autour d’une «épicerie tapie dans l’ombre». La défense pugnace des mis en cause et quelques enquêtes sérieuses ont permis depuis longtemps à tout un chacun de comprendre qu’il s’agissait d’une opération de communication du pouvoir sarkozyste de l’époque. Une opération que, par esprit de corps, la police et la magistrature, avec l’appui du personnel politique au pouvoir aujourd’hui, n’ont pas voulu démentir⋅ Et quel pouvoir peut-il, de nos jours, se passer de l’antiterrorisme, ne fût-ce que pour remonter brièvement dans les sondages ?

Dans le récent réquisitoire, un acte de sabotage présumé (1), qui ne pouvait en aucun cas entraîner de dégâts humains, qualifié d’ordinaire comme «acte de malveillance» est devenu un acte cherchant à imposer une idéologie «par l’intimidation et la terreur». Pour effectuer cette transmutation, le parquet s’appuie sur un livre : L’insurrection qui vient, ouvrage dont, tout en reconnaissant qu’il est le fruit d’un travail collectif, l’accusation décide arbitrairement que Julien Coupat est «la plume principale». Et cela, contre les déclarations réitérées de l’intéressé. L’enjeu, pour les magistrats, est de créer une figure de chef, tant il leur est difficile d’imaginer une pratique politique qui s’en passerait.

Que des juges s’attribuent ainsi la compétence d’entrer dans le délicat travail de l’écriture ne peut laisser indifférent ni un auteur ni un lecteur de livres. Cela laisse d’autant moins indifférent quand on considère que l’intimidation des populations est la politique réellement poursuivie par tous ceux qui pratiquent le chantage au chômage pour imposer la paix sociale, et que la dénonciation de la «terreur» cache de plus en plus mal les pratiques proprement terrifiantes des forces armées «démocratiques» dans nombre de théâtres d’opérations extérieurs.

L’insurrection qui vient est avant tout un ouvrage, discutable et discuté, critiquant la société capitaliste. La liberté d’expression ne saurait se limiter au «droit au blasphème» : qu’un livre politique devienne la pièce centrale d’un procès où de lourdes peines de prison sont encourues, prouve de manière irréfutable qu’il s’agit bien d’un procès politique. Nous avons le droit de dire qu’il faut transformer le monde.

Nous avons également le droit de dire que, comme souvent par le passé, à l’instar de ce que rappelle l’histoire, cela ne se fera probablement pas dans le strict respect de ses lois et règlements. Traiter en «terroriste» ce qui a trait à la révolution, ou du moins à sa possibilité, est de très mauvais augure. D’ailleurs, cela n’a pas porté chance à un Ben Ali ou à un Moubarak.

L’insurrection qui vient est une expression parmi bien d’autres d’un courant de critique de la civilisation capitaliste. Si ses positions sont discutables, c’est toujours du point de vue de cette entreprise multiforme de critique du vieux monde dans laquelle je me reconnais et qui n’appartient à personne.

C’est pourquoi, il me semble important de passer enfin aux aveux : le véritable auteur de L’Insurrection qui vient, c’est moi.

(1) Dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, des fers à béton, posés sur des caténaires, causent des dégâts matériels à un TGV. La justice soupçonne le groupe de Tarnac d’avoir commis cet acte.

Premiers signataires : Clémentine Autain co-rédactrice de «Regards» François Bégaudeau écrivain Miguel Benasayag philosophe, psychanalyste Laurent Binet écrivain Olivier Cadiot écrivain Lætitia Carton réalisatrice François Cusset historien, écrivain Benoît Delepine réalisateur Elsa Dorlin philosophe Noël Godin entarteur, écrivain Roger Knobelspiess écrivain Stathis Kouvelakis philosophe, Comité central de Syriza Bernard Langlois journaliste, fondateur de «Politis» Frédéric Lordon philosophe, économiste Gérard Mordillat romancier, cinéaste Didier Porte chroniqueur, humoriste Paul B. Preciado philosophe, écrivain Serge Quadruppani écrivain, éditeur Siné dessinateur, fondateur de «Siné Mensuel» Tardi dessinateur Sophie Wahnich historienne Yannis Youlountas philosophe, écrivain, réalisateur.

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