« J’ai soif » : devoir de mémoire

— Par Selim Lander —

« Vous le répèterez à vos enfants », telle est la phrase conclusive de l’hommage aux déportés de la deuxième guerre mondiale orchestré par Serge Barbuscia. Orchestré s’impose ici car la plus grande partie du temps est occupée par la musique des Sept dernières paroles du Christ en croix de Haydn interprétée au piano, le comédien – S. Barbuccia lui-même – intervenant sporadiquement pour distiller de brefs extraits de Si c’est un homme de Primo Levi.

« Vous le répèterez à vos enfants » … qu’il y eut cette abomination du massacre de millions de juifs dans des camps de la mort ou ailleurs sous l’égide du sinistre Hitler. Et sans doute en effet, nos enfants ont-ils besoin d’apprendre cette histoire, particulièrement en ces temps troublés où beaucoup de jeunes et de moins jeunes sans mémoire se laissent aller trop facilement à des réflexes xénophobes, autant d’ailleurs du côté des opprimés que des oppresseurs…

Un théâtre politique pétri de bonnes intentions n’est cependant pas nécessairement du bon théâtre. Soucieux de ne pas les agacer, nous ne renverrons pas une fois de plus nos lecteurs à notre article d’Esprit sur la question, rappelons simplement que le théâtre politique n’atteint que rarement sa cible, d’abord parce que le théâtre – particulièrement le théâtre engagé –  demeure – et certes, on le déplore – un théâtre élitiste. On n’a pas fait un sondage auprès de l’assistance plutôt clairsemée de la pièce à l’Atrium, mais nous ne croyons pas nous tromper en supposant que beaucoup avaient déjà lu Si c’est un homme ou à défaut d’autres récits (Ah ! Semprun) ou des études sur la question. Certes, une piqure de rappel ne peut pas faire de mal… à condition qu’elle soit suffisamment énergique.

Or le J’ai soif de Barbuccia n’était pas suffisamment énergique. Il y avait cette manière distillée de dire un texte réduit au minimum – avec certes une diction parfaite – et le fait – ce n’est pas de chance mais c’était ainsi ce soir-là – que le pianiste avait été remplacé au pied levé par une pianiste dont le jeu mécanique, et qui « accrochait » parfois, n’aidait pas à nous envouter comme nous aurions dû. A la fin du spectacle, après avoir signalé le « cas » de la pianiste (au cas où ne l’aurions pas repéré nous-mêmes), S. Barbuscia a fait valoir que son spectacle tournait depuis huit ans. De quoi rester rêveur alors qu’il s’était muni d’un cahier qui lui servait de pense-bête… Huit ans, quand même !

Le plus gênant pour les lecteurs de Primo Levi était de ne pas retrouver l’intensité du texte dans la pièce. On ne pouvait que s’interroger : comment aurait-il fallu rendre autrement ce récit qui ne laisse aucun lecteur indemne ? S’il y a bien des moments où une certaine tension dramatique aurait pu se manifester, le « jeu » du comédien restait trop transparent ; il sentait l’artifice. On se souvenait du « Paradoxe du comédien » : peu importe que le comédien soit sincère ou non, du moment que son jeu le rend crédible !

Il serait néanmoins injuste de conclure à ce point sans avoir mentionné deux points incontestablement positifs : la scénographie – des rectangles de papier blanc comme les tombes des suppliciés – et la vidéo (Sylvie Kajman et Sébastien Lebert) avec les silhouettes des prisonniers ou leurs numéros matricules.

Tropiques Atrium, 22 novembre 2018.