« Immanence : dans l’intensité de la vibration d’Aimé Césaire », de Michèle Charles-Nicolas

—-Par Fernand Tiburce Fortuné —

Cet article se veut davantage comme une présentation de l’artiste Michèle Charles-Nicolas (MC-N) de ses œuvres, de ses réflexions sur son esthétique, qu’une analyse complète, approfondie de ses productions plastiques elles-mêmes.

Au sein même du livre, Michèle Charles-Nicolas, des Critiques d’art de qualité, éminents spécialistes font ce travail de décryptage sur lequel je me suis appuyé.

« Le travail de critique littéraire est insuffisant, car il ne parvient pas
à percer tous les mystères d’une création poétique »

R.M RILKE

1 –La pensée créatrice de Michèle Charles-Nicolas

Il est toujours passionnant de découvrir une artiste, un livre d’art, des œuvres avec un mélange de crainte et de curiosité esthétique. Ce livre, parrainé par la Fondation Clément, offre à notre lecture critique, d’une part une appréciation de l’artiste sur son travail et ses motivations profondes, d’autre part une longue interview de l’artiste par Patrick Chamoiseau, enfin des jugements de qualité portés par des critiques d’art sur ses œuvres et son parcours.

Une soixantaine d’œuvres – en complicité avec de poèmes choisis d’Aimé Césaire – défilent sous les yeux, étonnantes, surprenantes, émouvantes, voire inaccessibles au premier regard

Le titre de l’ouvrage vibrant avec l’œuvre difficile d’Aimé Césaire, j’ai rapidement survolé les textes cités pour découvrir œuvres et connivence d’icelles avec l’aridité des poèmes et la pensée complexe du grand poète martiniquais, le Nègre fondamental.

La médiathèque de la Ville du Lamentin (Martinique) avait jadis organisé un jubilé pour feu le poète Henri Corbin. Pour l’occasion, j’avais organisé ma contribution sur l’analyse des titres de certains poèmes. L’idée était de tenter, à la simple lecture des titres d’imaginer le contenu du poème.

Cette méthode d’approche comporte, il est vrai, le risque de se tromper et de passer à côté du sens de l’œuvre pensé, pesé, offert par l’artiste.

Mais MC-N sait que « l’œuvre peut prêter à discussion ».

IMMANENCE, en lettres capitales et gras.

A la ligne suivante, une phrase qui commence par une majuscule et en lettres moins soulignées : Dans l’intensité de la vibration d’Aimé Césaire.

Immanence : « Ce qui est existant à l’intérieur même des êtres ». Comment relier cette définition à l’intensité de la vibration d’Aimé Césaire.

Cette Immanence va donc être le fil conducteur de l’ouvrage. La pierre angulaire pour une réflexion. Entrer en soi, vivre au plus profond de soi pour entrer en vibration avec le « tellurisme » césairien. Il y a donc dans ce titre une promesse de fusion des sentiments les plus sincères pour une rencontre au plus profond d’une amitié complice.

J’ai alors feuilleté avec attention les 125 pages de l’ouvrage, très beau par ailleurs.

Je dois avouer que la rencontre ne me parut pas évidente, que le face à face ou plutôt le côte à côte m’échappait. Quelque chose me restait obscur et le lien, la connivence entre les deux artistes me semblait impossible à concevoir. Ni vibration, ni intensité malgré la magnifique mise en page et l’éblouissement devant ces tableaux qui me questionnaient cependant.

Il me faut donc revoir l’angle d’observation. D’abord comprendre la démarche et la philosophie qui sous-tendent ces créations et ce désir passionné d’appropriation des poèmes par la couleur.

Je découvre le plan du livre et y décèle les intensions profondes de Michèle Charles-Nicolas.

Il y a en effet trois parties dans l’ouvrage, lesquelles semblent indiquer la pensée esthétique de l’auteure et régler la trajectoire qu’elle veut lui imposer:

1 – Nuées de songes colorés (pages 12 à 30).

2 – Effacements, Traces, Jaillissement (page 31 à 71)

3- Porter le regard vers l’ailleurs, transcendance du lieu ( page 72)

Nuées de songes colorés (pages 12/13).

Un tableau avec une prédominance de vert est tâché ça et là de rose, de bleu et d’un rien de jaune, occupe deux pages

En surimpression, le titre ci-dessus et une citation du poète et écrivain autrichien Rainer Maria Rilke, qui fut aussi secrétaire d’Auguste Rodin

Le titre semble être tout en contradiction. Des nuées, selon le dictionnaire : une multitude formant un groupe compact plus ou moins menaçant. Des songes, combinaison souvent incohérente d’images qui apparaissent dans l’esprit pendant le sommeil. Utopie ou rêve. Colorés, une embellie, l’espoir, le bel éclat.

Il me semble que par là et à l’orée de l’ouvrage, Michèle Charles-Nicolas nous livre sa différence, et que la lecture de ses œuvres ne doit pas être linéaire, conventionnelle. Les contradictions de la vie, les surprises des rencontres, les « accidents de l’Art », les labyrinthes de l’inspiration tout cela transpire dans ce titre. René Ménil, intellectuel et philosophe martiniquais (in Tropiques, 1941) a écrit que «  le culte de la différence et le culte de la communication s’identifient dans l’œuvre d’art pour exprimer la personne humaine. Les voies de communication du monde passent aussi par le dedans, nécessairement. Nous n’avons accès à l’univers qu’en passant par nous-mêmes ».

Or dans l’interview que M.C-N accorde à l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt 1992), elle précise que « sa peinture n’est pas égocentrée, elle est constamment reliée au monde ».

On imagine la sérénité qui l’habite, la certitude aussi, quand elle dit à Patrick Chamoiseau (PC) qu’elle « est au croisement de son histoire avec d’autres cultures et d’autres idées ».

Il est bon ici de rappeler que Roger Garaudy – qui a milité pour une hospitalité esthétique – a souligné avec force « que toute explosion culturelle est précédée d’une implosion, c’est-à-dire, d’une convergence en un point privilégié de multiples apports culturels ».

M.C-N ne démentirait pas Kundera : » une œuvre d’art est un carrefour; le nombre de rencontres qui y ont lieu me semble être en rapport étroit avec la valeur de l’œuvre ».

Il y a aussi, pour ouvrir cette première partie, une citation, dont chaque phrase est une question et une interrogation.

« Les œuvres d’art naissent toujours de qui a affronté le danger, de qui est allé jusqu’au bout d’une expérience, jusqu’au point que nul humain ne peut dépasser. Plus on pousse, et plus propre et personnelle, plus unique devient une vie».

Cette citation de Rainer Maria Rilke n’est pas posée là au début de l’ouvrage par hasard, par M.C-N. C’est une invitation à entrer au cœur même de sa philosophie pour mieux comprendre pourquoi son geste pictural doit approcher une perfection en adéquation avec les limites possibles de la volonté humaine, confrontée aux exigences de la création.

La lecture de cette citation ne manque pas de vous couper le souffle quand vous imaginez que MC-N, l’a peut-être prise entièrement à son compte pour se positionner devant l’Art, face à elle-même et face au monde extérieur. Avoir en tête un texte aussi puissant au moment du geste primordial, et libérateur à la fois, sur le support, ne peut que la diriger vers la création d’un monde, le sien, où l’exigence pour soi-même, le respect pour l’œuvre et la considération pour « le spectateur », consolident, affirment les fondations d’une démarche esthétique, voire poétique, très personnelle.

Cette nécessité de la perfection se retrouve-t-elle dans les réponses à la question de Patrick Chamoiseau : « Vous jetez des tableaux ? Revenez-vous en arrière?».

M.C-N ne jette pas des tableaux, mais elle n’en offre pas certains au regard des autres. Oui, elle retourne sur des erreurs, oui il lui arrive de changer d’avis. « Une peinture, un détail, une couleur peuvent ne plus lui plaire. Pour tout reprendre, il faudrait « qu’elle puisse retrouver l’état d’esprit ou plutôt l’état émotionnel dans lequel elle était quand elle avait peint le tableau ». Et cela me fait penser à l’exigence que s’impose la grande poétesse Andrée Chédid (1920-2011, in Cavernes et Soleil) devant un poème : « J’aime que le mot soit rétif…Ce mot que l’on sent JUSTE (qui sonne juste, je lis haut pour l’oreille) fait que l’on peut quitter le poème, en repos. On s’éloigne, libre, pour renaître, haletant devant le texte à venir ».

Dans ce premier chapitre, certainement pour illustrer ou mieux avancer sur la route commune qu’elle emprunte avec Rilke, il y a 10 tableaux, en regard de poèmes ou d’extraits de poèmes ou de vers choisis d’un poème. Nous noterons qu’un tableau est offert au grand Borgès (La proximité de la mer, in Labyrinthe) pour clore cette partie.

Pour les autres, en ce qui concerne Aimé Césaire, M.C-N a choisi Cadastre, cité 1 fois, Ferrement, 3 fois, le Cahier du retour au Pays natal, 1 fois, Moi laminaire, 3 fois et le Rebelle,1 fois.

2 –Effacement, traces , jaillissement

Là aussi, l’impression du tableau en exergue est prioritairement tout en nuances de vert.

Voici comment M.C-N ouvre cette deuxième partie qu’elle signe :

« Je me souviens de ma toute première découverte des poèmes d’Aimé Césaire : l’incandescence, le feu, le volcan…L’absence totale de pathos alors qu’il parlait de la tragédie épouvantable de l’histoire de l’humanité. Au plus intime de lui-même une tragédie multiséculaire ».

Ce propos peut être compris comme une confession, un aveu. M.C-N remonte, sans retenue aucune, dans ses souvenirs pour nous avouer une rencontre violente avec une poésie de la fulgurance qui dit la souffrance d’une humanité. Et ce qui l’intéresse au premier chef, c’est que Césaire porte au plus intime de lui-même (Immanence ?) une tragédie multiséculaire.

Les mots et les images qui lui viennent immédiatement, qui la bousculent, qui s’inscrivent, indélébiles dans ses projets, vont donc donner appui à son esthétique qui  portera  avec les couleurs et l’organisation interne des œuvres, la rage des mots de la poésie. Ces mots sont chargés, ces images sont fortes et fixent une direction pour l’œuvre : incandescence, feu, volcan. Il n’y a là ni esthétique du repos de l’esprit, ni esthétique du renoncement. Une esthétique de l’engagement, oui.

M.C-N se dit être l’artiste de « l’altérité radicale » et « imagine que sa peinture fait écho à une certaine violence qu’on retrouve dans la poésie d’Aimé Césaire ».

Effacement : effacer, s’effacer, réduire

Que veut nous signifier MC-N, elle qui est si présente au monde et dont la détermination sans faille, et l’identité picturale sont bien assises, marquées, enracinées ?

Effacer quoi ?

S’effacer devant qui et quoi ? Réduire quoi ? Son positionnement fort (elle est debout derrière ses pinceaux), cette absence d’hésitation au cours de l’entretien avec PC, le déroulé tranquille de l’entretien, tout cela montre, voir démontre que le champ d’expérience et d’expérimentation, la durée de l’expérience, les abandons et les avancées, le temps de maturation de la réflexion sont arrivés à un niveau tel, que M.C-N peut être assurée de notre reconnaissance et de notre sympathie.

Peut-être, l’humilité aidant, la filiation poétique l’exigeant, la colère partagée surgissant, elle voudrait s’effacer devant Aimé Césaire dont la poésie l’a carrément (je la cite) « réquisitionnée ». Elle va jusqu’à parler d’un « télescopage » avec l’œuvre césairienne.

Traces : Aux Antilles, sentier de montagne. Plus habituellement, empreinte. Ce qui subsiste dans la mémoire d’un événement passé.

On ne peut manquer de penser à « Tracées » de René Ménil.

MC-N voudrait-elle mettre ses pas dans ceux, initiateurs de chemins difficiles, qui ont défriché, parfois dans la solitude de leurs convictions, des voies libératrices pour la poésie, pour la pensée et pour l’action ?

M.C-N, parlant de ceux dont elle parcourt les traces, garde « à l’esprit leur connivence à la fois intellectuelle, artistique et politique ». Elle fait « allusion à leur conviction, à leur croyance dans la puissance subversive de la peinture, de l’art en général, vecteur d’émancipation anticolonialiste et d’éducation ».

Jaillissement :

Mouvement de ce qui sort, se manifeste impétueusement. Surprenant, car MC-N, me semble-t-il, si elle parle de sincérité, ne parle pas de spontanéité. L’œuvre chez M.C-N ne jaillit pas de son être.

Elle s’approprie d’abord l’espace, pour l’habiter ensuite. Elle dit que l’on porte la peinture en soi depuis l’enfance et cette peinture éprouve le besoin, un jour, d’apparaître pour tendre à s’accomplir. Apparaître, jaillir ?

Mais le critique, Antoine Campo pensait-il au jaillissement, à la spontanéité quand il dit du tableau « Bleus des terres importées par un déluge », qu’il «  a été peint dans tous les sens, en témoignent coulures insensées et subtiles ? ».

Dans sa conversation avec Patrick Chamoiseau qui lui demande si « elle voit le tableau avant de le peindre », M.C-N parle « d’une longue gestation, puis d’un accouchement, assez souvent douloureux ».

Pour cette deuxième partie, 27 œuvres au total. Vingt trois poèmes de Césaire ou d’extraits de poèmes ont été mis en couleur.

Les poèmes sont les suivants :

Mobile fléau des songes étranges (cité 1 fois) ; Ferrements (9 fois) ; Moi, laminaire (8 fois) ; Les Armes miraculeuses (4 fois) ; Et les chiens se taisaient (1 fois)

3- Porter le regard ver l’ailleurs, transcendance du lieu ( page 72)

M.C-N signe de nouveau l’introduction à ce chapitre sur une œuvre où domine une couleur mauve discrète qui laisse sa place à une lumière diffuse qui éclaire un tâche bien visible dans le bas du tableau, noire et légèrement grisée. Tout en transparence.

Elle s’explique sur sa façon de créer: « Mon travail explore un monde souterrain par des couleurs, des transparences et des lumières en équilibre instable et libérées de tout carcan.

Au fur et à mesure de mon inspiration le geste se fera plus précis. Ainsi, après un état de vacance complète, des images ressurgissent de l’endroit où les mots ne peuvent plus dire et l’histoire se déroule dans la peinture ».

M.C-N, « n’habite donc pas un long silence ». Sa peinture est chant profond et secret partagé (Antoine Campos). Chez elle, les mots sont généreux, la parole engageante. Elle se livre volontiers et se dévoile ici. Elle partage avec nous le lent cheminement de l’œuvre en elle. Cette exploration d’un monde souterrain est-elle la vérité qui ressurgit de ce qu’elle dit à Patrick Chamoiseau : « …mon travail consiste à exprimer mon monde intérieur, mes réminiscences qui surgissent qu’on pourrait appeler inspiration… ?».

Porter le regard vers l’ailleurs. L’ailleurs de la rencontre, de la diversité comme lieux de promesses. Quand M.C-N clame (on sent la jubilation) que la couleur est là pour spiritualiser la matière, pour l’absolu d’un monde idéal, inconnu, informulé, et deviné », on pense à Edouard Glissant dans Poétique de la Relation : « transformer en lieux de promesses, nos lieux de souffrance ».

C’est pourquoi nous adhérons avec MC-N à la nécessaire transcendance des lieux, ici et là-bas.

Dans mon livre (La voie du Fwomajé, l’Art du dedans, ou la capacité à entrer dans le monde de l’Autre- 1994) sur les plasticiens du groupe Fwomajé (Martinique), André Lucrèce, dans la préface, insiste sur le fait qu’à « travers des histoires individuelles, l’expérience esthétique ne peut se vivre uniquement en subjectivité. Elle s’origine toujours à partir de la poétique de sa propre terre pour exprimer ensuite le refus d’une localité… ». Ce qu’il conceptualise comme « L’esthétique du carrefour, désigne ainsi l’art porté au niveau d’une conscience esthétique née aux sources culturelles des espaces-mosaïques ». Et dans le même sens René Ménil, confirme que « le véritable artiste est co-extensible au monde dans l’attitude poétique ».

Pour cette troisième partie, 29 œuvres au total. Vingt quatre poèmes de Césaire ou d’extraits de poèmes identifiés, ont été mis en couleur.

Les poèmes sont les suivants :

Les armes miraculeuses, cité 6 fois ; Ferrements, 11 fois ; Moi, laminaire, 4 fois ; Cadastres, 2 fois.

Dans l’ouvrage, on peut donc recenser les chiffres (erreur possible dans le comptage) suivants qui peut-être nous éclairent sur les choix et les préférences de Michèle Charles-Nicolas :

 

Œuvres

Partie 1

partie 2

Partie 3

total

Le Cahier du retour…

1

1

Cadastre

1

2

3

Moi, laminaire

3

8

4

15

Le Rebelle

1

1

Ferrements

3

9

11

23

Les Armes miraculeuses

4

6

10

Mobile fléau…

1

1

Et les chiens se taisaient

1

1

total

9

23

23

55

 

II L’expression esthétique de Michèle Charles-Nicolas.

Poésie, couleur, conviction

Nous avons donc essayé de voir et comprendre sur quels grands fondamentaux s’appuie MC-N pour que nous puissions cheminer en esprit et en esthète avec elle, sur la voie très personnelle qu’elle s’est ouverte depuis une enfance où la matière, la beauté et la poésie ne lui étaient pas indifférentes.

Comment applique-t-elle tout son talent à l’œuvre d’Aimé Césaire ?

Elle explique à Patrick Chamoiseau qu’elle avait bien lu quelques passages du Cahier d’un retour au Pays natal, mais que c’est par le théâtre, vers 1965, qu’elle est emportée par une onde sismique venue de la puissante pawol césairienne, portée magistralement par Douta Seck, dans la tragédie du roi Christophe.

Le dicton dit « qu’il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous », celui avec Césaire qui lui a « ouvert un chemin inoui » lequel était en parfaite harmonie avec «  sa quête obstinée de la couleur, sa quête obstinée du poétique ».

La poésie, dit-elle est centrale dans son travail, d’abord jaillie des profondeurs, d’abord émotion primaire…La poésie et la peinture lui ont imposé la couleur comme chant poétique…La couleur pour spiritualiser la nature.

C’est pourquoi la poésie césairienne, tellurique, l’a réquisitionnée, elle aussi (sic). Ses couleurs, confie-t-elle, puisent dans l’intensité de la vibration césairienne.

M.C-N nous interpelle, nous émeut, nous subjugue en avouant qu’elle « éprouve une ivresse des couleurs ». Nous sommes dans l’émotion et pourtant elle évite, assure-t-elle, que ses couleurs figent ses émotions. J.W Franklin (p.127) nous révèle que MC-N a, avec F. Bard, appris la compétence narrative de la couleur et de la lumière.

Figuratif, abstraction ? M.C-N pense qu’on n’oppose plus, de nos jours, figuratif et abstraction. Anick Weil-Barais (p.120) dit de M.C-N, « qu’elle est une artiste de l’abstraction lyrique, habitée par la connaissance poétique des êtres et des couleurs ». Charles Bonheur (p.120) dit que « sa peinture est a priori abstraite ». Mais MC-N précise toutefois : « mon regard saisit malgré moi, une opportunité figurative que mon imaginaire travaille et que je retranscris en tableau abstrait ».

Mais sa peinture n’est pas une traduction, encore moins une illustration des poèmes de Césaire. Césaire, c’est la force de la perspective, « la force de regarder demain ». C’est la direction.

Ces paroles fortes, cette détermination, cette peinture qui relève d’une certaine radicalité, tout cela a bien été perçu par J.W. Franklin (p.126) : « Aucun compromis. Aucune négociation. Elle est intraitable sur ce qui touche à sa peinture. Ella a peint des tableaux où tout est dur, excessif, impitoyable… ».

Mais il est bon de noter que J.W Franklin, qui semble très bien connaître MC-N, ajoute, et quelque part, nous les poètes sommes rassurés, « …qu’elle a peint des tableaux où «  tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté ».

M.C-N se reconnaitra peut-être dans Claire Lejeune : il faut savoir « comprendre le feu, pour entrer dans l’amitié de l’eau».

Conclusion

L. Benoist nous dit que «  tout geste de l’homme est affecté d’un coefficient considérable d’émotion ».

Il est vrai qu’une œuvre d’art peut s’imposer à nous, peut nous frapper, nous sidérer, peut exercer sur nous une certaine fascination que seuls le coup de cœur et l’émotion débordante peuvent expliquer.

L’œuvre de Michèle Charles-Nicolas peut relever de la catégorie précitée.

Mais si la raison qui analyse, classifie, compare, adhère ou rejette est repoussée pour un temps, il faut la convoquer, car dans son ensemble son œuvre ne se livre pas, ne s’abandonne pas facilement à nos désirs.

La démarche analytique nous a semblé nécessaire pour entrer dans le monde poético-pictural de Michèle Charles-Nicolas. Comprendre la pensée et le projet esthétique, soutenus par une philosophie et un humanisme militants, nous a semblé utile pour définir et apprécier le geste créatif de Michèle Charles-Nicolas.

Si M.C-N dit que sa peinture n’est ni photographie, ni autorité ; si elle dit que sa peinture n’est pas la traduction des poèmes de Césaire ; si elle dit que sa peinture n’est pas une illustration des poèmes de Césaire, qu’est-ce alors ?

A tout bien regarder, après analyse de sa pawol, après son écoute attentive, après la lecture savante de ses confessions, je pense que c’est l’idée du poème, la pensée profonde du poème qu’exprime Michèle Charles-Nicolas dans sa peinture. C’est l’idéogramme, signe graphique qui représente un sens, c’est bien l’idéogramme du poème qu’elle projette sur la toile en un geste de reconnaissance et d’initiation. L’idéogramme est le miroir dans lequel MC-N regarde, questionne et bavarde avec Césaire, admirative et peut-être craintive en même temps.

Cette façon de voir se rapproche de Tarkovsky (cité par le plasticien Serge Goudin-Thébia, dans son article sur Victor Anicet- 15.06.94) : « L’Art est un hiéroglyphe du réel».

Pour finir, nous avons recours à cette citation du Dr Maurice Lipsedge, page 121 du livre, « Il y a dans cette peinture les indices de ce que E. Burke appelle « le sublime ».

« Immanence. Dans l’intensité de la vibration d’Aimé Césaire » par Michèle Charles-Nicolas (madinin-art.net)

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Janvier /Février 2024