Conversation épistolaire entre Patrick Chamoiseau et William Parker

En février 2022, au festival Sons d’hiver, le contrebassiste new-yorkais William Parker présenta sa fresque musicale Trail of Tears, évoquant et invoquant les esprits d’un moment tragique de l’histoire nord-américaine : la déportation des Cherokees sur des terres dont ils pensaient qu’elles n’appartenaient à personne. Au même moment ou presque, l’écrivain martiniquais Patrick Chamoiseau revenait de sa recherche de l’épave du Leusden, navire négrier qui coula avec sa « cargaison », au large des côtes de Guyane, en 1738. Pour aborder comme il se doit de tels sujets dans le tout-monde, et esquisser une nouvelle « cartographie du sensible », Patrick Chamoiseau et William Parker ont entretenu une correspondance, entre l’intime et l’universel, ou le pluriversel, durant les quelques semaines entourant la représentation de Trail of Tears. L’intégralité de cet échange est rassemblé pour la première fois dans ce recueil.

In February 2022, at the Sons d’hiver festival, New York bass player William Parker presented his Trail of Tears musical fresco, evoking and invoking the spirits of a tragic moment in North American history: the deportation of the Cherokee to lands they believed belonged to no one. At almost the same time, Martinican writer Patrick Chamoiseau was returning from his search for the wreck of the Leusden, the slave ship that sank with its “cargo” in 1738, on the Guiana coast. In order to tackle such subjects in the Whole-World, and to sketch out a new “cartography of the sensitive”, Patrick Chamoiseau and William Parker have kept up a correspondence, between the intimate and the universal, or the pluriversal, during the few weeks surrounding the Trail of Tears performance. The full text of this correspondence is brought together for the first time in this collection.

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Cher William Parker,

Le monde que nous vivons crée des fraternités improbables. Il est fait de tellement de circulations que des choses nous parviennent, nous habitent, et génèrent des alliances magnétiques. Elles ne sont pas nourries de rencontres physiques, mais profilées dans des visions confluentes du monde. J’ai lu ce que tu dis. J’ai médité sur ta musique. Nous ne cessons d’imaginer le monde, de vivre au monde, de sentir à quel point il nous traverse, et d’étranges fraternités se créent ainsi ; surtout quand cette attention sensible, portée au monde, s’incline d’abord vers ce qui souffre, qui hurle encore, qui a disparu – ou plutôt qui a « désapparu » –, nous laissant ainsi d’étranges sillages d’absences dans lesquelles, dessous des scintillements d’oubli ou des écumes d’indifférences, subsistent de belles leçons pour nos humanités.

Vivre au monde d’abord par ce qui soufre et qui est douloureux, nous préserve de nous accommoder aux forces dominantes, aux verticalités écrasantes, aux « devenirs » majoritaires où seuls s’accordent, dans le concert des plus puissants, les parts les plus sombres de l’humain. Mais il n’y a, dans notre manière d’être au monde, aucun pathos, aucun dolorisme, aucune de ces lucidités amères qui découragent les jouvences nécessaires de l’âme, juste une enfantine commisération, une ample proximité où ce qui touche l’Autre, et qui s’émeut de l’Autre, porte à plus de vie, épelle la joie profonde que garde en elle toute présence vivante. Nous sommes « frères-monde » ainsi, je le sais, je le sens, et cette correspondance que nous entamons-là, je le dis, nous le révélera…

 

Format Broché
EAN13 9782380280272
ISBN 978-2-38028-027-2
Éditeur MAZETO SQUARE
Date de publication 08/02/2024
Nombre de pages 142
Dimensions 19,5 x 12,5 x 1,1 cm
Poids 140 g
Langue françaiss