« Il n’y a pas de génocide par substitution » : la demi-vérité.

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Cet aphorisme conjugué sous le mode universel par de jeunes et audacieux intellectuels de la Fabrique décoloniale a dû faire bondir plus d’un fidèle de feu Aimé Césaire ainsi que la foultitude de sachants et de perroquets qui se sont appropriés, en son premier degré, la célèbre expression du poète, « génocide par substitution ». C’est l’une de ses formules qui, avec la négritude ou le moratoire, a été la plus reprise en Martinique et dans les DOM en général. Nul doute que si elle avait pris pied en Hexagone-pas- en Métropole- en France, on l’eut comparée au « Grand remplacement » et accusé de racisme le Nègre fondamental.

Un jour de novembre 1975, dans un discours à l’Assemblée nationale, le député Aimé Césaire avait introduit sa locution dans un discours où il s’était, à travers ce qu’il avait appelé le stirnisme, permis de confectionner un costume en trois parties au secrétaire d’Etat à l’Outre-Mer, Olivier Stirn. Ce jour-là, en son 3ème point, il avait dans la même phrase utilisé le terme « génocide par persuasion », mais le choix fut fait, le terme substitution était plus intellectuel et plus mordant, donc plus conforme pour ceux qui estimaient le slogan convenir parfaitement à la lutte anticolonialiste. Les emprunteurs n’avaient pas besoin de savoir vraiment de quoi parlait Césaire et en quelles circonstances il avait prononcé cette savante formule. Ce n’était pas le sujet.

Le propos a donc été instrumentalisé par la nomenclatura comme argument pour condamner les départs en France des années 1960-1970, de sorte que les adeptes de la littérature dite décembriste – en mémoire aux évènements de décembre 1959 jusqu’alors présentés en des termes insurrectionnels – ont fait leur miel de l’expression « génocide par substitution ». Les « petits-enfants » de La Fabrique décoloniale viennent rompre cette odieuse uniformité, et c’est heureux. Mais en indiquant avec raison que le BUMIDOM n’a eu ni pour objectif ni pour résultat de favoriser un génocide dans les DOM, ils ne contredisent pas Césaire, lequel n’a jamais prétendu le contraire, quoi que disent les contempteurs de l’institution. En effet, Césaire ne visait pas celle-ci et les mouvements de population de l’époque, ce que votre serviteur a rappelé en ces termes, dès le mois de janvier 2008 : « Monsieur Césaire n’a jamais dit ça ». L’expression de Césaire fut une métaphore par laquelle il a exprimé son opposition à un projet prévu pour la Guyane.

L’homme de lettres faisait grand usage du sens figuré des mots, de la métaphore et même de la catachrèse, figure de style qui permet d’employer un mot au-delà de ce que permet son sens strict. Aussi, par l’adjonction de la locution par substitution le mot génocide dépasse, en l’atténuant ou le relativisant, son sens de destruction physique et biologique. Dans le cas qui nous concerne, il ne pouvait pas y avoir d’ambiguïté. Il ne s’agissait pas encore d’y faire migrer des H’mongs comme je l’ai moi-même cru dans un premier temps, mais de favoriser la venue en Guyane d’une trentaine de milliers de Français de toutes origines, pour une population de 60 000 autochtones. Avouons que la métaphore de M. Césaire n’était ni sans intérêt ni absurde. Son explication vaut mieux qu’un slogan. « Le génocide, dit-il, n’est pas forcément violence et éradication. Des peuples entiers ont finalement été évacués de l’histoire parce qu’ils ont été recouverts, laminés, absorbés. En tout cas, l’histoire nous a rendus méfiants : nous redoutons le génocide par substitution, même s’il s’agit d’un génocide par persuasion ».

Quoi qu’il en soit, selon La Fabrique décoloniale, la migration domienne n’a pas constitué un génocide par substitution ni un grand remplacement. Et Césaire n’a pas fait le rapprochement démagogique avec le BUMIDOM, que certains avaient cru ou souhaité. Serait-on en voie de mettre fin à ce fantasme ? En revanche, le projet d’introduire en Guyane des arrivants dans les proportions envisagées pouvaient justifier les craintes du député Césaire. Le projet du gouvernement n’ayant pas eu de suite, il est permis de croire que le « mot » de Césaire a pu être déterminant dans ce renoncement.

Dès lors, l’affirmation négative des « petits-enfants » ne saurait prétendre au caractère absolu voire universel. Je dirais plutôt : « Il n’y a pas EU de génocide par substitution ».

Fort-de-France, le 20 octobre 2023

Yves-Léopold Monthieux