« Histoire du voile, des origines au foulard islamique » de Maria Giuseppina Muzzarelli

— Par Cécile Dunouhaud —

Bayard, collection « Constellations », 2017, 258 p., 21,90 €

Cécile Dunouhaud | Août 28, 2017 | Histoire générale | 0 |
Titre original : A capo coperto. Storie di donne e di veli, traduit de l’italien par Martine Segonds-Bauer
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur : « Évoquer aujourd’hui une femme voilée, c’est immédiatement penser au hijab ou à tout autre vêtement couvrant la tête ou le corps des femmes dans le monde islamique. Beaucoup les portent dans les pays occidentaux, non sans polémique. Pourtant c’est bien dans l’histoire de l’Occident qu’il faut chercher la prescription faite aux femmes de se couvrir. Partons donc à la découverte d’une coutume millénaire, attestée par la Bible et la statuaire grecque, par les Pères de l’Église, les lois du Moyen Âge, et d’innombrables témoignages artistiques et littéraires.
Le voile était une prérogative des femmes mariées, endeuillées, ou même des religieuses. Signe de pudeur et de modestie, aussi léger dans sa texture que lourd de symboles, le voile était cependant un accessoire qui suivait ou faisait la mode, un élément fondamental du luxe et de l’élégance – comme peut l’être encore aujourd’hui le foulard portant la griffe de grands couturiers. »

L’auteur : Maria Giuseppina Muzzarelli est une historienne italienne enseignante à l’université de Bologne, spécialisée dans l’histoire médiévale. Auteure d’une thèse consacrée au Mont-de-Piété en Émilie-Romagne durant cette période, elle est également diplômée de philosophie, et membre de la Société internationale des études franciscaines. Maria Giuseppina Muzzarelli a présenté ses recherches dans de nombreuses universités dans le monde. L’un de ses thèmes de prédilection est l’histoire du vêtement à laquelle elle a consacré plusieurs publications1 .

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Question d’actualité devenue hautement sensible en Europe depuis quelques années, Maria Giuseppina Muzzarelli revient à travers cet ouvrage sur l’histoire du voile en Occident en général et en Italie en particulier. L’historienne se base essentiellement sur les sources italiennes du bas Moyen Âge, les autres périodes n’étant abordées que de manière volontairement superficielle en guise de rappel et de prolongement de sa réflexion.
En introduction, l’historienne médiéviste part d’un double constat : d’une part, « quelque soit les époques les régions ou les cultures, les femmes ont constamment porté sur la tête […] un voile » et d’autre part, le voile est devenu objet de polémiques en Occident depuis son retour en force dans la communauté musulmane. Mais ici il n’est pas question de la filiation entre le voile européen et musulman contrairement à ce que le titre pourrait laisser supposer. L’historienne se donne avant tout pour but de comprendre qui se couvre la tête, et pas uniquement avec un voile, pourquoi et pour quels résultats .
Dans un premier chapitre, M.G. Muzzarelli revient sur le voile en tant qu’héritage de l’Antiquité païenne récupéré par le christianisme. A l’époque il est porté essentiellement pour distinguer les femmes mariées des célibataires et des prostituées ; en Grèce la femme le porte aussi pour des raisons de pudeur et de modestie, tandis qu’à Rome il est associé religieusement aux Vestales. Il est probable que Paul de Tarse ait en tête leur exemple lorsqu’il rédige sa Première lettre aux Corinthiens, dont les prescriptions vestimentaires servent de base par aux réflexions chrétiennes. Cependant, M.G. Muzzarelli rappelle les écrits d’un autre auteur plus radical dans sa pensée, Tertullien qui fait de la femme un être suspect, porteuse de pêché, devant donc être mise sous contrôle et vouée de fait à la modestie voire à une certaine disparition dans l’espace public. Le voile et plus généralement le couvre-chef, devient l’instrument de ce contrôle et la traduction vestimentaire de la soumission naturelle et obligée de la femme à l’homme et à Dieu.

Ainsi, au cours du Moyen Âge, deux figures de la femme s’opposent : Eve et Marie. Mais si d’un côté le fait de se couvrir la tête, élément le plus important du corps humain, ne se discute pas on constate que plusieurs phénomènes viennent nuancer les comportements avec l’existence des vierges in capillo, une législation variable d’une ville à l’autre et enfin le voile, ou plus souvent le couvre-chef, qui devient de plus en plus sophistiqué et un moyen d’étaler son luxe et son rang dans la société. Entre Marie et Eve, une troisième voie finit par s’ouvrir avec l’arrivée et le développement de la mode (chapitre 2). En s’appropriant et en réinterprétant l’obligation de se couvrir la tête par la multiplication des ornements (rubans, guirlandes, plumes …) et des plis sophistiqués, la femme s’attire cependant la critique des représentants de la foi. Le franciscain Jean de Capistran (1386-1456) consacre par exemple tout un traité à la question pour réaffirmer les trois motifs indissociables pour lesquels la femme doit se voiler (rappeler le péché originel, montrer sa soumission et ne pas provoquer le péché de luxure) et surtout désormais comment elle doit le faire en fonction de sa situation. Il prône la simplicité de la coiffure et condamne sans détour les ornements, signes de séduction et d’incitation à la luxure4 . Le « couvre-chef du Diable » (chapitre 3) devient dès lors l’un des centres de préoccupation des lois somptuaires adoptées par les villes italiennes au cours du bas Moyen Âge. Une réglementation très précise est établie et toute infraction est sanctionnée : ainsi à Florence en 1330, les guirlandes peintes ne sont pas autorisées, tandis qu’à Bologne à la fin du XVIe, la quantité d’or présente sur le voile ne doit pas excéder la somme de 3 écus. La couleur et la longueur du voile sont également réglementées : par exemple à Foligno, les prostituées doivent porter un voile bleu foncé d’un empan et demi de long (5).
Parallèlement, la peinture et divers documents iconographiques de l’époque permettent d’aborder visuellement les aspects des couvre-chefs (chapitres 4 et 6). Les portraits des femmes de la haute société mais aussi ceux de la Vierge qui, tout en obéissant aux codes de simplicité qui doivent dominer sa représentation, donnent une idée de l’aspect matériel du voile. Elle porte ainsi selon les peintres, comme le Titien soit un voile léger quasi transparent ou à l’inverse un drap lourd et épais. L’auteure achève de démontrer qu’il n’existe pas d’unité dans le temps et l’espace de l’Italie du bas Moyen Âge et que le style varie en fonction de l’air du temps et de la législation.

Synonyme d’incidents et de polémiques de nos jours, le Moyen Âge n’est pas en reste (chapitre 5). A l’époque, arracher le voile d’une femme n’est pas un geste anodin : il revient à accuser une femme de prostitution et à remettre en cause publiquement son honorabilité. Autorisé dans ce sens, il est aussi sanctionné selon le contexte.

Enfin, M.G. Muzzarelli s’intéresse aux aspects économiques du voile. Partie intégrante de la garde-robe de la femme de la plus modeste à la plus fortunée et accessoire de mode, le voile et les couvre-chefs font par conséquent l’objet d’un commerce important à l’échelle européenne. Les femmes y occupent une place importante en tant que productrices de soie, modistes (comme Mona Caterina) fabricantes ou commerçantes, parfois reconnues par leurs pairs masculins. En 1497 lors de sa fondation, les merzadri autorise les femmes fabricantes d’arete à adhérer à leur confrérie.

M.G. Muzzarelli revient ensuite sur trois voiles particuliers qui ont perduré : le voile de la mariée (chapitre 7), celui de la veuve (chapitre 8) et celui de la religieuse (chapitre 9). Pour cette dernière, elle rappelle combien le voile est synonyme de l’identité de la moniale et de son ordre religieux, sur lequel la mode a parfois une influence. L’auteure note d’ailleurs combien l’Église garde un œil sur la question en notant que Vatican II a rappelé les obligations de décence et de fonctionnalité du voile porté par les religieuses.

Enfin, après avoir remis en perspective le voile et la tête des femmes en tant qu’objet de contrôle par l’Église et la société, abandonné au cours des XIXe et XXe siècles (chapitre 11), l’historienne revient sur le foulard actuel, sa définition, et le malaise que son port suscite. Les questions que le voile islamique provoque renvoient à une histoire longue que beaucoup ne souhaitent pas voir revenir.

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Quelques réserves : le point faible de l’ouvrage demeure l’iconographie. L’ouvrage, de petite taille, est accompagné d’un porte folio modeste de 14 pages qui ne met pas en valeur les documents iconographiques choisis et qui n’accompagne pas le texte. Le mélange des tableaux italiens et des images publicitaires mettant en scène le hijab reste maladroit pour un sujet qui demande une certaine rigueur. Dommage aussi que le recueil du Vénitien Cesare Vecellio, daté de 1590, présentant des images d’hommes et de femmes du monde connu d’alors ne fasse pas l’objet d’une meilleure présentation visuelle.
Cependant, la publication et la lecture de cette étude sont salutaires car elles peuvent permettre de comprendre pourquoi la femme peut se sentir légitimement mal à l’aise face à un vêtement obsolète dont la signification a longtemps été lourde de sens car culpabilisante. De même, elle peut également permettre aux femmes le portant actuellement de saisir et de comprendre les clés culturelles de ce malaise légitime et de s’approprier une histoire qui leur est inconnue.

Cécile Dunouhaud

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