Hervé Deluge monte Le tartuffe

—  Propos recueillis par R. Sabra —

 

 

 

Pourquoi monter le tartuffe ici et maintenant en Martinique ?

Tartuffe est l’une des pièces qui a fait l’objet du plus grand nombre de mises en scène au monde. C’est dire si cette dernière pose des questionnements universels.
Pour une équipe artistique martiniquaise se confronter à cette œuvre c’est poser concrètement un défi : celui de nous l’approprier de manière vivante, contemporaine et sans complexe.
C’est aussi établir un pont entre l’éducation nationale et le théâtre professionnel, qui puisse nourrir les espoirs d’une action culturelle soutenue.
Jouer une pièce classique en Martinique 15 fois dans la grande salle de l’Atrium est une gageure et constitue une première. C’est surtout offrir à notre jeunesse l’opportunité d’assister aux représentations d’un spectacle qui ouvre aux enseignants comme aux élèves une large sphère d’investigation. Ainsi qu’à tout amoureux du théâtre classique ou du théâtre tout court.

L’hypocrisie n’est-elle pas nécessaire au maintien de la religion et de ses lois?
-Pourquoi la religion serait-elle nécessairement liée à l’hypocrisie?
Il me semble qu’il existe des gens qui ont réellement la foi et qui l’appliquent avec sincérité, c’est à dire dans l’amour du prochain. Sans exclusions définitives de l’autre et surtout en dehors de ce phénomène de mutation qui a fait des religions, des partis politiques. Et l’on sait tous que la politique engendre la violence.

Molière oppose deux visions, deux faces de la religion :
– Par la voix de Cléante, il se fait l’avocat de la voie du milieu, modérée, raisonnée, tolérante.
– Par le truchement de TARTUFFE, il démonte d’une part les mécanismes pervers du « gourou dominateur » et, d’autre part, les débordements religieux fanatiques qui sont contraires à l’épanouissement de l’humanité.

Comment, en ces temps modernes, ne pas y trouver matière à réfléchir, débattre, questionner ?

Qui sont les hypocrites de nos jours ?

Derrière la critique de l’hypocrisie, dans « Le Tartuffe » se cache une attaque du rôle de certains directeurs de conscience, capteurs d’héritage. « L’hypocrisie est dans l’État, un vice bien plus dangereux que tous les autres »Molière.
Les valeurs morales ne peuvent être transmises que par des gens moraux. Comment voulez vous demander à des jeunes non-construits d’appliquer des valeurs inverses au fonctionnement de la société.
Une société basée sur la réussite et les scandales médiatiques. ET enfin pour nous ? Adultes, n’y aurait t-il pas un Tartuffe en chacun de nous ?

Mais cela pourrait être tout autre troupe de jeunes gens confrontés à l’intégrisme, à la dictature moralisatrice, aux « vices à la mode qui passent pour vertus » Molière (mot à mot).

Et les dévots?
Il y en a de bon et de mauvais, les faux et les vrais. Il ne faut pas croire que quelqu’un qui croit en Dieu est un Salaud. On peut déceler le faux du vrai par une analyse précise du but recherché par celui qui croit et par ses actions.

Stéphane Braunschweig dans sa mise en scène déplaçait le centre de gravité de la pièce vers Orgon, un homme en proie au mal de vivre. Ariane Mnouchkine posait la pièce comme paradigme des intégrismes religieux du côté de l’Algérie en proie à l’islamisme. Il y a bien d’autres lectures, mais la vôtre?

A l’heure ou en Martinique les sectes et autre religions nouvelles font légion, je préfère mettre l’accent sur les pratiques hypocrites et sur ceux qui ont besoin de s’y laisser prendre. Il n’y a pas de Tartuffe sans Orgon. Je mets en scène une société qui est mal sur ses roulettes. Une société dont les soubassements demeurent obscurs, et les désirs mécaniques face a des choix décisifs – avec la grâce de Dieu !
J’ai le sentiment que la famille, au sens large, est ici un noyau de civilisation, marqué ni par le temps ni par le lieu, mais bien par le manège des hommes. Et créer une proximité avec le spectateur, que tout s’entende, jusqu’à la confidence, que tout se voit jusqu’à la mimique, et que le rire franc succède à l’émotion comme le burlesque dénouant le tragique ou non.
Notre Tartuffe est hypocrite dans une société qui favorise l’hypocrisie.
Laissez rouler ! Comme on dit…….Pa ni problèm !…….

N’y-a-t-il pas de l’hypocrite en tout acteur?

-Bien sûr le terme d’hypocrite, désignait chez les grecs l’acteur.-  » Hypocritès » qui signifie  » Faire l’acteur ».
Mais il ne faut pas confondre l’hypocrisie et la fiction réaliste.
Pour qu’un acteur soit crédible il doit être sincère.
Chez Molière comme maintenant, faire des pièces et gueuler contre le pouvoir est la fonction fondamentale de l’artiste. C’est sans doute pour ça que le théâtre a du mal à être, particulièrement sur ce territoire qui curieusement à vu naître Césaire, Fanon, Glissant, et les autres. Sans doute parce qu’ils ont mis la barre morale tellement haute que nos décideurs craignent d’être rappelé à l’ordre chaque fois qu’un comédien porte la parole, partage la pensée……mais je me perds ! ne serais je pas hors sujet ? voir mauvais sujet, je ne sais pas……..

Les personnages de Dorine et d’Elmire ne donnent-ils pas à penser que l’intelligence est féminine chez Molière?

Ce n’est pas que les femmes soient plus intelligentes, c’est plutôt que contre la domination il n’y a qu’une façon de se défendre, c’est la réflexion, la rébellion et la ruse (qui ne sont pas à confondre avec l’hypocrisie.)
Cependant il est évident que le rôle prépondérant des femmes dans Tartuffe montre avec hardiesse la modernité de la pièce en posant les prémisses du féminisme.



Propos recueillis par R. Sabra pour Madinin’Art le 29/09/2011