Sébastien MEHAL met en scène un paysage urbain incandescent.

par Scarlett JESUS —

Samedi 24 septembre, à L’ARTOCARPE, au Moule :

 

 

par Scarlett JESUS

Le choix du lieu : Est-il exact de dire que l’exposition se déroule dans un « garage » ? Ne conviendrait-il pas mieux de convenir, l’espace d’exposition étant largement ouvert sur la rue (presque une ruelle), qu’il y a volonté de mettre en lien deux espaces différents. La rue se prolongeant par le garage, et vice et versa. Aucune frontière ne vient séparer le dedans du dehors, l’espace privé (celui du garage) et l’espace public (la rue). Si l’un est un lieu de circulation, de rencontres (mais aussi de manifestations populaires), l’autre est à l’opposé un lieu fermé, destiné à protéger la propriété la privée (la voiture d’un individu) et/ou à entreposer différents objets, des outils de bricolage en particulier. Deux espaces éminemment emblématiques dont s’empare Sébastien MEHAL selon une démarche artistique qui se propose de rendre compte d’un paysage urbain antillais très spécifique. Paysage qui, aux dires de l’artiste, n’existe déjà plus que dans la mémoire (individuelle et collective), et auquel il entreprend de redonner vie. Un paysage urbain complexe et difficile à déchiffrer, parce que secret, mystérieux… L’exposition ouvre donc toutes grandes les portes du garage, pour montrer le travail que Sébastien MEHAL a réalisé à l’issue de sa résidence d’artiste à l’ARTOCARPE. La déambulation à laquelle elle convie les passants est aussi une invitation à la rencontre avec l’Autre et son univers. Une rencontre choc avec l’art contemporain.

 

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Les fils reliant une communauté : Une fois redéfini l’espace comme étant celui de la rue, celui-ci est restructuré, avec un fil conducteur, un éclairage à la fois poétique et nocturne, celui qu’apporte fils électriques et ampoules. Selon une démarche artistique d’une sobriété minimaliste, l’artiste va expérimenter les interactions magnétiques dues à la rencontre de supports et médias différents : le son et la couleur, des volumes et des lignes, des toiles peintes et des installations… Toutes les surfaces et recoins qu’offre ce garage exigu, du sol au plafond en passant par les murs, sont alors repensés, métamorphosés, pour se plier au dessein de l’artiste qui est de redonner vie à un espace urbain moribond. Ainsi l’artiste, jouant sur les deux tableaux, procède à la fois à une extension de l’espace et à une dilatation du temps. A l’arrière plan, une enfilade de très petits tableaux carrés accrochés aux murs crée une impression de profondeur. Il s’agit de trois séries -l’une noire (sur le mur de gauche), la seconde rouge (au centre) et la troisième ocre (sur le mur de droite)-, sensées représenter selon un même procédé des fenêtres ouvertes la nuit sur la rue. La figuration de simples petites ampoules lumineuses, suspendues verticalement à un mince fil, suffisent à suggérer, comme par magie, la vie des occupants des lieux. Un monde aux croyances occultes (le noir), marqué par la violence (le rouge) mais aussi par une certaine sérénité (l’ocre). A la profondeur de champ de cet espace (magnétique) s’ajoute une autre profondeur : celle qui s’ouvre sur l’imaginaire d’une rêverie poétique plongeant dans la nuit de la mémoire… Ailleurs, les limites d’un plafond bas sont elles aussi repoussées par le traitement opéré sur une ouverture située dans la partie supérieure d’un mur. Dans un apparent désordre d’entrelacs, quelques fils rendent compte de la complexité des liens sociaux unissant les habitants d’un même quartier. Les fils électriques s’imposent alors comme métaphore de ce courant qui soude une communauté urbaine. Comme prolongeant cette installation, les fils sont à nouveau figurés, presque en filigrane, dans une œuvre picturale occupant seule le mur blanc situé à droite de l’entrée. Sur l’arrière-plan bleu d’une « nuit antillaise » on suit le tracé d’une diagonale suggérée par deux poteaux électriques élancés qui semblent relier le haut et le bas, le proche et le lointain. La surface plane, dotée d’une troisième dimension s’ouvre vers l’infini, sur une quatrième dimension dans laquelle espace et temps se rejoignent grâce à la toute puissance de l’imaginaire.

La case en feu : Cet espace urbain que Sébastien MEHAL nous donne à voir lui permet de poser parallèlement un certain nombre de questions relatives à l’œuvre d’art, à sa nature, à la place qui lui revient dans la société ainsi qu’à sa fonction. Exposer dans un garage ouvert sur la rue n’est pas anodin. Tout comme ne l’est pas non plus la liberté que s’accorde l’artiste de juxtaposer dans une même exposition tableaux accrochés aux murs et installations. Ou encore de présenter des tableaux qui brouillent toutes les catégories à commencer par celles opposant « abstraction » et « réalisme ». L’élément central de l’exposition, une case en bois en train de se consumer, semble s’interroger sur la pérennité de l’œuvre d’art, et peut-être aussi sur la mort de l’Art. Du moins tel qu’il existait. Que nous donne-t-il à voir (et à entendre) de si subversif ? Une case en bois stylisée qui paraît tourner le dos à la rue et se protéger des regards indiscrets. Extérieurement en bon état, il faut en faire le tour pour en chercher l’entrée et discerner l’origine du puissant souffle et des crépitements qui se font entendre depuis la rue. Curieusement fermée, son entrée est obstruée de pièces hétéroclites qui ont été clouées de façon désordonnée : morceaux de bois, débris de tôles et autres pièces de récupération. Des interstices entre des planches disjointes laissent toutefois entrevoir un intérieur, violemment éclairé, dans lequel des madriers à demi calcinés sont en train de se consumer. Une plaque de rue, dérisoire, gît à terre au milieu des décombres. Certes il s’agit bien ici encore de rendre compte de la mort d’un certain paysage urbain antillais, dans lequel les incendies de cases en bois étaient fréquents. Tout en suggérant, pour paraphraser une formule s’appliquant aussi bien à une bibliothèque qu’à un vieillard africain : « Quand une case brûle c’est tout un monde qui meurt ». Un monde ayant élaboré, à partir de son histoire, un tissu complexe de liens subtils dont on peut même percevoir les vibrations en posant la main sur la case. Mais n’est-t-il pas permis d’y voir autre chose ? Ce qu’une simple description, suffisamment parlante, semble laisser entendre. En premier lieu, que cette installation rend compte, métaphoriquement, de la situation actuelle, éphémère, de l’œuvre d’art contemporaine, l’installation étant conçue pour un lieu spécifique et étant appelée à disparaître. Ne peut-on, par ailleurs, y lire aussi la mise à mort d’une certaine conception de l’Art, et le rôle subversif, incendiaire, d’un art de substitution, celui de la rue qui, tel le Phénix, a vocation à faire renaître de ses cendres ce que l’on a cherché à faire disparaître ? Tout en sacralisant, avec rage, dans un puissant retournement de valeurs, ce qui était jusqu’alors dévalorisé.

 

 

 

29/09/2011