Haïti : Ethique et État de droit

L’éthique politique est constitutive de la vision constitutionnelle de l’établissement de l’État de droit en Haïti

—Par Robert Berrouët-Oriol ( *) —

Adressé à mon collègue et ami Patrick Tardieu Conservateur général de bibliothèque et professionnel hautement qualifié de l’archivistique et de la bibliothéconomie–, mon courriel du 8 décembre 2025 a pour titre générique et contextuel « Précisions à propos de l’article « Imposture et fraude identitaire à géométrie variable : retour ponctuel et factuel sur l’arnaque à la « soup joumou » instituée par Dominique Dupuy dans la gastronomie de l’UNESCO ».

Il n’est pas fortuit qu’au périmètre des échanges et du débat d’idées citoyens je m’adresse à un « Conservateur général de bibliothèque » : dans un pays à forte tradition orale, Haïti, l’espace de l’archivistique et la bibliothéconomie est celui de la conservation des écrits, des traces documentaires et mémorielles. C’est l’espace où la parole proférée transmigre des différents registres de l’« oraliture » pour s’inscrire dans la dimension « Temps » à travers les mécanismes institutionnels de l’archivistique et de la bibliothéconomie. Une parole proférée trouve un complément essentiel de légitimité lorsqu’un document écrit, qui en signe la transcription, est préservé, archivé : cette parole proférée est ainsi située sur l’échelle du « Temps », elle est l’objet d’une classification, elle devient dès lors identifiable et (re)traçable.

J’avais à l’esprit ces considérations de nature épistémologique en m’adressant à Patrick Tardieu. Également, j’avais à l’esprit que mon interpellation publique l’an dernier de l’imposture et de la fraude identitaire dans l’arnaque à la « soup joumou » relevait de l’éthique politique qui est constitutive de la vision constitutionnelle de l’établissement de l’État de droit en Haïti. Le cheminement de mon questionnement a plusieurs fois croisé en cours de route une difficulté systémique : en Haïti, l’esprit critique/analytique est nié et/ou banalisé et/ou combattu par un nombre indéterminé d’intellectuels qui lui préfèrent les vertus et les doucereuses vapeurs de la pensée unique… « Ann kase fèy kouvri sa » : l’esprit critique/analytique est nié au motif erratique de ne pas soulever de « polémique ». Diantre ! Le débat d’idées est donc souventes fois assimilé en Haïti à la « polémique », à un vulgaire « chire pit », comme si toute intellection critique des idées et des faits de société relevait d’une incongruité, d’une inutile sinon dévoyée quête épistémologique.

L’an dernier, au plus fort du débat d’idées sur l’imposture et la fraude identitaire dans l’arnaque à la « soup joumou », un respectable et vénérable docteur en « Ethnologie et patrimoine » –formé à l’Université Laval et employé rémunéré de la Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO–, a choisi la voie de l’invective plutôt que celle de l’argumentaire scientifique. Rédacteur principal du dossier « technique » utilisé par Dominique Dupuy en vue de faire inscrire la « soup joumou » sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO, le respectable et vénérable docteur en « Ethnologie et patrimoine » a publiquement traité le linguiste-terminologue Robert Berrouët-Oriol de « terroriste intellectuel »…

RAPPEL — Au plus fort du débat d’idées sur l’imposture et la fraude identitaire dans l’arnaque à la « soup joumou », j’ai fait valoir que mon argumentaire (1) exprimait sans ambiguïté le constat que la « soup joumou » fait partie du patrimoine gastronomique d’Haïti au même titre que le « pen patat », le « tiaka » ou le « griyo » ; (2) que ce que je contestait c’était très précisément l’absence de preuves scientifiques établissant l’historicité du statut de la « soup joumou » au titre d’un marqueur majeur de l’identité haïtienne, au titre de « soupe de l’Indépendance ». Ma réflexion analytique a ainsi révélé les dessous du charlatanisme historique et de la fraude intellectuelle. Ainsi, ce qui s’apparente à un verbeux mantra, à une itérative et redondante prolifération de l’anecdotique –la ci-devant « soupe de l’Indépendance–, est aventureusement véhiculé d’année en année sur divers sites, alors même qu’aucune revue scientifique n’a jusqu’à aujourd’hui publié le moindre travail de recherche attestant la véracité d’une telle « fable mythologisée »… Ce que j’ai rigoureusement contesté dans mes articles, et je le répète, c’est l’historicité de la « soup joumou » comme marqueur de l’identité haïtienne au titre de la « soupe de l’Indépendance » : aucun des articles scientifiques, aucun des ouvrages de référence que j’ai méthodiquement consultés ne confirme un tel statut. L’on ne trouve nulle trace de l’affabulation identitariste « soupe de l’Indépendance » dans les ouvrages de référence suivants :

–« Genèse de l’État haïtien », par Laënnec Hurbon. C3 Éditions, 2024.

–« Comprendre Haïti. Essai sur l’État, la nation, la culture », par Laënnec Hurbon. Éditions Karthala, 1987.

« Ti difé boulé sou Istoua Ayiti », par Michel Rolph Trouillot. New York : Koléksion Lakansièl, 1987.

–« Les racines historiques de l’État duvaliérien », par Michel Rolph Trouillot. Éditions Henri Deschamps, 1986 [C3 Éditions, 2016].

J’observe que le libre exercice de l’esprit critique/analytique est garanti dans le « Préambule » de la Constitution haïtienne de 1987 et dans la section consignant tous nos droits citoyens. En voici le rappel : « TITRE III : « Du citoyen – Des droits et devoirs fondamentaux » : Droit à la vie et à la santé ; droit à la liberté individuelle ; droit à la liberté d’expression ; droit à la liberté de conscience ; droit à la liberté de réunion et d’association ; droit à l’éducation et à l’enseignement ; droit à la liberté du travail ; droit à la propriété; droit à l’information ; droit à la sécurité.

Dans l’espace du débat public portant sur divers sujets de société –par exemple la fraude identitaire dans l’arnaque à la « soup joumou », le monolinguisme d’État, sectaire et dogmatique des Ayatollahs du créole–, nier, banaliser et combattre l’esprit critique/analytique est une frontale négation de l’ensemble de nos droits citoyens consignés dans la Constitution haïtienne de 1987. C’est rigoureusement sur ce registre que je situe l’éthique politique, qui est constitutive de la vision constitutionnelle de l’établissement de l’État de droit en Haïti.

Courriel adressé à Patrick Tardieu

Conservateur général de bibliothèque

Cidihca

Montréal

Québec

Montréal, le 8 décembre 2025

Cher Patrick,

Je suis particulièrement ravi de t’informer que j’ai publié une deuxième fois ton remarquable article « Un séjour aux Archives de Londres ». Il est consigné dans mon texte daté du 4 décembre 2025, « Imposture et fraude identitaire à géométrie variable : retour ponctuel et factuel sur l’arnaque à la « soup joumou » instituée par Dominique Dupuy dans la gastronomie de l’UNESCO ».

Paru sur Médiapart, mon article a été diffusé en Haïti sur les 17 plateformes régionales du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH) et sur le fil info de l’Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA). Je me réjouis que l’information contenue dans mon « Commentaire introductif et contextuel » et dans « Un séjour aux Archives de Londres » ait pu rejoindre un grand nombre d’enseignants à travers le pays.

Adossé à la vérité historique, ton article préalablement paru en Haïti dans Le Nouvelliste du 3 octobre 2025 éclaire avec rigueur et hauteur de vue les grossières et rocambolesques manœuvres mises en œuvre par Dominique Dupuy, autrefois porte-parole missionnée à l’UNESCO par les auto-proclamés « bandits légaux » PHTKistes : non dépositaire d’un mandat officiel de la République d’Haïti, elle a tenté de s’approprier et de faire croire qu’elle s’apprêtait à rapatrier en Haïti la reproduction de l’original de l’Acte de l’Indépendance du 1er janvier 1804.

Tu as certainement noté que j’ai situé mon analyse datée du 4 décembre 2025 sur le terrain de l’éthique politique. C’était pour moi l’occasion de préciser que mes interventions citoyennes dans les domaines de la culture et de l’éducation, qui accompagnent mes travaux de recherche en linguistique, participent également d’une veille citoyenne.

Dans un pays, Haïti, qui n’a toujours pas accompli sa déduvaliérisation, il est nécessaire de situer l’action passée du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste sur le terrain exigeant de l’éthique politique.

Sous la houlette du PHTK néo-duvaliériste au pouvoir durant une douzaines d’années, l’État haïtien devenu un État mafieux, un État gangstérisé, a fait appel à nombre de « missionnaires » et d’« intellectuels serviles » afin de légitimer son action en Haïti et en outremer. C’est dans un tel contexte politique caractérisé par la banalisation/invisibilisation de la corruption à tous les étages de la société haïtienne que l’on a vu renaître des variantes arnaqueuses de l’identité haïtienne. C’est dans ce contexte que l’arnaque politique/identitariste de la « soup joumou » a été instituée par le PHTK néo-duvaliériste et mise en scène par Dominique Dupuy spécialement missionnée à l’UNESCO. NOTE — Sur la notion d’« intellectuel servile » voir notre article « Le rôle des « intellectuels serviles » dans l’arsenal idéologique érigé par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste » (Médiapart, Paris, 22 novembre 2024).

Tu as certainement noté que l’arnaque politique/identitariste de la « soup joumou » a encore de nos jours ses défenseurs en Haïti et en outremer, y compris chez quelques rares universitaires qui évacuent l’esprit critique/analytique au profit d’une errance idéologique récidiviste que l’on pourrait retracer dans un hypothétique roman d’Eric Zemmour… Sur le registre tortueux de l’errance idéologique récidiviste, j’ai brièvement mis en lumière l’obscure et complaisante solidarité clanique/patronymique instituée par Stéphane Martelly, écrivaine haïtienne et enseignante à l’Université de Sherbrooke. J’ai relevé que Stéphane Martelly s’obstine à voir –dans mon interpellation publique de l’arnaque identitaire de la pseudo « soupe de l’Indépendance » traficotée par le PHTK néo-duvaliériste–, une obsessionnelle « cabale » contre la personne de Dominique Dupuy, autrefois porte-parole missionnée à l’UNESCO par les auto-proclamés « bandits légaux » PHTKistes. Et j’ai exposé que « Loin de contribuer à une réflexion publique par un article dédié, loin d’apporter le moindre argument crédible et vérifiable, loin d’esquisser la moindre analyse du contenu de mes articles pour en démontrer l’inanité présumée, Stéphane Martelly a délibérément choisi d’enfouir sous une chape de plomb et de fantaisiste déni la prétendue « cabale » qu’elle est la seule à me prêter : déni des faits observables, déni sectaire et refus de l’esprit critique-analytique adossé au culte de l’entre-soi complaisant, clanique et borgne, « à l’haïtienne ». Dans l’espace verbeux, réducteur et mystificateur de la pensée unique, qu’une universitaire cultive l’errance idéologique récidiviste en lieu et place d’une rigoureuse réflexion épistémologique et politique et qu’elle s’enferme dans le poussiéreux grenier d’une obscure et complaisante solidarité clanique/patronymique revient, objectivement, à supporter le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste sur le registre précis d’une arnaque identitaire démagogique et mystificatrice. Sur ce registre précis j’observe que la posture se mue en imposture au motif de récuser une pseudo « cabale sans fin » dont Dominique Dupuy serait la « victime » vertueuse et intouchable ».

Dans un pays, Haïti, qui n’a toujours pas accompli sa déduvaliérisation, il est nécessaire de situer l’action passée du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste sur le terrain exigeant de l’éthique politique : c’est de la sorte que j’ai effectué d’amples recherches documentaires et publié plusieurs articles sur la corruption au Fonds national de l’éducation. En voici la liste :

  1. Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, Rezonòdwès, 20 avril 2024.

  1. La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, Madinin’Art, 3 mai 2024.  

  1.  En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9, Haïti Inter, 7 janvier 2025.

  1. En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers , Rezonòdwès, 18 février 2025.

  1. Le parachutage de Sterline CIVIL à la direction du Fonds national de l’éducation : vers le renforcement de la corruption et de l’impunité dans le système éducatif national d’Haïti, Rezonòdwès, 5 mars 2025.

  1. L’occultation de la corruption au Fonds national de l’éducation : nouvelles acrobaties de Sterline Civil, profuse « missionnaire » du PHTK néo-duvaliériste , Rezonòdwès, 17 juin 2025.

  1. Corruption, détournement de fonds publics, népotisme : le Fonds national de l’éducation défie et échappe encore à la Justice haïtienne , Madinin’art, 22 août 2025.

  1. « Corruption au Fonds national de l’éducation : l’ULCC aux trousses de l’ancien directeur Jean Ronald Joseph », Médiapart, 12 novembre 2025.

Il y a quelques mois, j’ai conceptualisé et mis en route le projet de livre collectif « L’identité haïtienne en question(s) : voix d’hier, voies d’aujourd’hui ». Le paragraphe introductif du document de projet se lit comme suit :

« La mise en route du projet de livre collectif sur l’identité haïtienne a été l’occasion de mesurer en amont combien cette problématique préoccupe des intellectuels et des professionnels d’horizons divers tant en Haïti qu’en dehors d’Haïti. Cette problématique interpelle fortement, elle constitue un champ interrogatif qui, par sa prégnance, son amplitude et son actualité, nous vaudra d’emprunter le chemin exigeant, méthodique et rassembleur d’une véritable « épistémologie de l’identité haïtienne » au sens où l’entend Michel Oriol, de l’université de Nice, lorsqu’il explore « l’épistémologie de l’identité » dans son étude « Le statut épistémologique des théories de l’identité » (Bulletin de psychologie, tome XLVIII, numéro 419, 1995). Sur le registre de « l’épistémologie de l’identité », la réflexion qui sera consignée dans notre livre collectif abordera également « l’objet identité » tel qu’il est circonscrit et analysé dans l’étude « L’objet identité : épistémologie et transversalité » paru sous la direction de Jean-Paul Rocchi, de l’Université Paris 7- Denis Diderot (Cahiers Charles V, n° 40, juin 2006). »

Très cordialement,

Robert Berrouët-Oriol, Linguiste-terminologue, Conseiller spécial au Conseil national d’administration du Regroupement des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH), Konseye pèmanan, Asosyasyon pwofesè kreyòl Ayiti (APKA), Membre du Comité international de mise à jour du Dictionnaire des francophones

Montréal, le 8 décembre 2025.