Guadeloupe : la crise de l’eau, entre effondrement du service public et marché noir

— Par Sabrina Solar —

En Guadeloupe, une crise de l’eau chronique et systémique continue de bouleverser la vie quotidienne de près de 400 000 habitants. Malgré une ressource en eau abondante sur l’île, plus de 60 % des foyers subissent des coupures prolongées et régulières, parfois plusieurs semaines d’affilée.

Cette situation, ancienne mais aggravée depuis 2024, est due à un réseau vétuste (avec jusqu’à 70 % de fuites), une gestion défaillante, des pollutions récurrentes, et une gouvernance locale minée par les conflits, les détournements et les retards de financement.

Un réseau au bord de la rupture

Certaines canalisations datent de plusieurs décennies, avec un taux de renouvellement ridiculement bas (0,5 % par an, loin des standards nationaux). Les pertes annuelles dépassent 50 millions de m³ d’eau potable. La moitié des stations de traitement des eaux usées est hors normes, aggravant les risques de contamination.

Coupures, colères et contournements

Face à des coupures à répétition, les habitants vivent dans l’inconfort, la frustration et parfois l’humiliation : impossibilité d’assurer l’hygiène de base, tensions psychologiques, explosion des coûts pour accéder à une eau potable sûre.

Un marché noir de l’eau s’est développé dans ce vide institutionnel, avec des prix pouvant atteindre 100 € le m³, soit 30 à 40 fois le tarif normal. Hôtels, particuliers et commerçants recourent à ces filières illégales pour survivre.

Un tourisme frappé de plein fouet

Les coupures d’eau touchent également les zones touristiques clés comme le Gosier ou Sainte-Anne. Résultat : taux d’occupation des hébergements en chute libre (de 85 % à 40 %), clients mécontents, demandes de remboursements, et plages fermées pour cause de pollution bactérienne.

⚠️ Pollution et risques sanitaires

Les contaminations de l’eau sont fréquentes, avec des taux de nitrates, pesticides et bactéries au-dessus des normes. Certaines familles investissent dans des systèmes de filtration onéreux ou dans l’achat massif de bouteilles, ce qui pèse lourdement sur les budgets.

Une gestion publique en crise profonde

Depuis des années, le SIAEAG puis le SMGEAG, structures responsables de l’eau, accumulent dysfonctionnements, déficit chronique et mauvaise gestion. Le rapport de la Chambre régionale des comptes évoque une période de « gestion abracadabrantesque ». Des détournements de fonds ont été condamnés. En 2023 et 2024, des millions d’euros de subventions ont été suspendus par l’État.

Des sabotages (en mars 2024 et février 2025) ont aussi aggravé la situation, mettant jusqu’à 130 000 usagers dans le noir hydrique.

Promesses politiques, défiance populaire

Le gouvernement a annoncé plusieurs plans d’urgence, dont un soutien de 35 millions d’euros annuels, des travaux de rénovation, des citernes d’appoint et des outils de suivi en ligne. Mais les habitants restent sceptiques, dénonçant un décalage entre les annonces et la réalité du terrain.

La colère gronde, sur les réseaux (#balancetonsiaeag), dans la rue et dans les urnes. La question d’une privatisation partielle de la gestion de l’eau refait surface, alimentant un débat brûlant entre urgence, efficacité et justice sociale.

Pour une gouvernance transparente et responsable

La Guadeloupe vit une crise de l’eau à la fois technique, sanitaire, économique et politique. Résorber cette situation exigera bien plus que des rustines : une refonte profonde du système, des moyens à la hauteur, et surtout une gouvernance transparente et responsable pour restaurer la confiance des citoyens.