Foire des cons : demander le programme

— Par Yolène de Vassoigne —

Je voudrais avoir la naïveté de la nouvelle née, mais sans doute ai-je vécu trop de vies pour être l’ourse qui danse à la foire des cons.

DEMANDEZ LE PROGRAMME !

FOIRE DES CONS

Chouette ! Une semaine « pour l’emploi des personnes handicapées »… oups… vous vouliez dire « en situation de handicap »… ah ça serait trop long sur le programme ? Tant pis ! Allez, va pour les « handicapés »…

Wouah ! Tout un programme : « Jobdating, forum emploi handicap, conférences, session de formation, opérations en entreprises …mais aussi animation grand public, gala handi sport, cycle de témoignages vidéos de personnes en situation de handicap en emploi, ateliers et jeux de rôle »… On va s’éclater, ça va être la foire, la drôle de fête, avec le feu d’artifice en apothéose peut-être…

Un million de personnes handicapées travaillent…. et moi je suis où ? Nulle part, je ne travaille pas donc je n’existe pas… Pas grave, ils ont omis de dire combien ne travaillent pas. Curieux ces chiffres, on leur fait dire ce qu’on veut, tout et n’importe quoi…

30 ans ? ça existe, une loi Handicap et emploi ? Jamais entendu parler… et elle dit quoi cette loi ? Que ce qui m’arrive, à moi et à des tas de gens comme moi qui ont la tête à l’envers, c’est normal, c’est cool ?

Tiens amusons-nous à jouer aux chiffres

2,5% de personnes en situation de handicap embauchés quand la loi dit 6% ! Pas de quoi se taper la poitrine et là, aucune évolution… involution !

1350 personnes en situation de handicap en emploi à la Martinique, pas toutes à temps plein… 200 emplois via Cap Emploi comptabilisés dans les 1350. Pas de chiffres pour Pôle-emploi ni les missions locales, dommage … pourtant ça n’aurait pas été bien compliqué de les avoir si on avait voulu… mais peut-être bien qu’ils sont dans les 1350 déjà listés…

1800 demandeurs d’emploi en situation de handicap… ou plutôt à avoir déclaré leur handicap ! Quand on sait que beaucoup, l’écrasante majorité s’agissant du handicap psychique, ne font pas état de leur handicap qui constituerait un frein majeur à leur embauche… allez, on peut doubler, voire tripler ce chiffre sans risque de se tromper, surtout si on tient compte de toutes ces personnes en situation de handicap, chômeurs non inscrits comme demandeurs d’emploi ou qui ont été radiés pour une raison quelconque pour faire baisser les chiffres du chômage. Car dès lors que vous n’êtes pas « dans une recherche active d’emploi » vous êtes radiés au bout d’un certain temps. La « recherche active » c’est quoi ? Envoyer des CV, prendre des RV d’embauche, prospecter tous les jours… quand vous êtes sans formation (et même si vous en avez, ça ne fait pas de différence), que vous n’avez pas d’expérience professionnelle (et même si vous en avez, ça ne fait pas de différence), pas grand-chose à mettre sur un CV et même si vous avez quelque chose, parfois beaucoup à mettre, ça n fait pas de différence), quand vous n’avez pas Internet (et même si vous l’avez, ça ne fait pas de différence), parfois pas de sous pour payer les transports (et même si vous pouvez, ça ne fait pas de différence), ou tout simplement pas l’énergie ou la motivation… c’est sans doute là la « différence »… Convoqués en moyenne une fois par mois, les demandeurs d’emploi sont tenus d’apporter à chaque entretien la preuve de leur « recherche active d’emploi »… ça les tue ! Si vous saviez à quel point cette contrainte de « recherche active d’emploi » leur met la pression et est angoissante pour les personnes en situation de handicap psychique qui n’osent pas affronter le monde extérieur, qui ne bénéficient d’aucun soutien ni accompagnement pour cette « recherche active »… alors évidemment ils sont les premiers à se faire radier et dès lors ils n’existent plus nulle part… pas demandeurs d’emploi ils ne sont RIEN, tout juste des zombies… Ils ont l’AAH ? C’est vrai certains perçoivent l’AAH (Allocation Adulte Handicapé) mais beaucoup non. Et quand ils l’ont, beaucoup ne se satisfont pas de cette situation d’assistés, bloqués avec une allocation qui plafonne à 800€ mensuels. Avec ça on est en dessous du seuil de pauvreté, on ne peut pas se loger (un studio c’est à partir de 350, 400€ + les charges eau électricité etc), se nourrir, se vêtir, se déplacer, payer ses soins médicaux, aller au cinéma ou au spectacle. Avec ça, on survit… chez ses parents quand ils sont là, des parents souvent retraités qui eux-mêmes survivent, parfois de l’AAH qu’ils partagent avec leur enfant…

55 maintiens dans l’emploi…. Sans doute des accidentés ou des dépressifs pour la plupart… Dommage ils ne disent pas combien ont perdu leur job du fait de leur handicap mais moi j’en connais en situation de handicap psychique à avoir perdu leur job.

Il est question de montrer des vidéos de personnes en insertion professionnelle qui témoignent sans nul doute tous d’une insertion « réussie ». Où les témoignages de tous ceux et toutes celles pour qui ça n’a pas marché, qui ont perdu leur emploi… on n’en aura sans doute aucun. Mais ça, faut pas le dire…

On dit quoi sur ce programme ? Qu’on « va me mettre en relation avec un employeur » ? C’est ce qu’ils appellent le « job dating » (merci pour toutes les personnes en situation de handicap qui ignorent ce terme anglais). De toutes façons je sais que moi avec ma folie, mes pensées en vadrouille, mes voix tonitruantes, on n’voudra pas d’moi. Dès qu’on m’aura demandé « quel est votre handicap ? » je connais la suite… ils partent en courant… tout, un fauteuil roulant, un aveugle, un sourd, mais surtout pas un fou dans mon entreprise ! Je n’ai rien contre ces personnes mais vous me comprenez… Quel employeur dira sincèrement le contraire, donc bas les masques, le job dating, c’est pas pour moi. La plupart des personnes souffrant de troubles psychiques en emploi ont trouvé un job, souvent précaire, dans leur famille directe (père ou mère chef d’entreprise).

Où LEUR FORUM, l’espace POUR DIRE ?

Où leur a-t-on donné la parole pour parler de leur vécu, de leurs difficultés, de leurs attentes, de leurs espoirs et de leurs désillusions, de leurs difficultés d’accès à l’emploi malgré tous leurs diplômes parfois, où pour parler de leur rêve brisé ? Nous au GEM (Groupe d’Entraide Mutuelle)on entend ça…

Où pour parler de l’absence d’accompagnement et de soutien, de l’immense solitude dans ce parcours du combattant pour accéder ou se maintenir dans l’emploi ? De dossiers remplis et envoyés restés sans réponse… de dossiers auxquels il manque toujours quelque chose et qu’on met de côté, tout en bas de la pile… et qui ne ressurgiront jamais à la lumière… le noir ils connaissent… Nous au GEM on entend ça…

Où pour dire leur vision des choses, leur ressenti, apporter leur témoignage sur la façon dont cela s’est passé, se passe avec Pôle-emploi, la MDPH, Cap-emploi, le milieu de l’entreprise ? Nous au GEM on entend ça…

Où pour parler de la stigmatisation générale, de leur obligation de taire leur handicap face à un monde du travail non inclusif, de leur obligation de cacher leur qualité de travailleur handicapé par crainte de voir ainsi dressé un obstacle majeur à leur embauche ? Nous au GEM on entend ça…

Où pour parler de leurs difficultés au sein de l’entreprise, à se maintenir dans l’emploi, de leurs efforts surhumains pour être aussi compétitifs que leurs collègues, de peur que « ça » ne se voie, de peur d’être licenciés pour insuffisance professionnelle ou arrêts de travail répétés ou prolongés ? Où pour parler de leurs difficultés à assumer un temps plein, 35h, avec tous ces traitements abrutissants qui leur coupent les jambes, leur anesthésient le cerveau, leur causent bien des problèmes somatiques… diabète, hypertension, les reins qui bloquent et débloquent… Nous au GEM on entend ça…

Où pour parler de la stigmatisation sur le lieu de travail ? De la surdité de leur entourage professionnel, de l’absence d’écoute et d’empathie, de leurs relations pourries avec leur hiérarchie, leurs collègues de travail, et de l’impact sur leur vie personnelle ? Où pour parler des fois où ils ont rechuté à cause de tout ça ? Nous au GEM on sait ça même s’ils sont très peu à travailler, même s’ils n’osent pas ou ne savent pas se plaindre, nous au GEM on sait…

Où pour parler de leur exclusion de l’ESAT sans raison à cause d’un environnement nocif et toxique qui ne leur donne aucune chance, aucun horizon autre que… la porte ! Exclus à cause de leur handicap ! J’ai vu ça…

OU LEUR FORUM, l’espace POUR ÊTRE ÉCOUTÉ ?

Sans aucun accompagnement, aucun soutien, combien vont avoir le courage de se lever pour se pointer là et affronter un employeur, alors même qu’ils n’osent pas affronter la journée à venir, alors même qu’ils n’osent pas s’affronter eux-mêmes… Que peut-être ça gamberge dans leur tête, ça fait mal partout, ça fatigue tant de se déplacer… et jusque là-bas… à l’IMS… ils ne connaissent même pas cet endroit éloigné… et ils n’ont pas d’argent pour le transport et d’ailleurs y a-t-il un transport pour aller là-bas ? C’est où, c’est comment ? Tu peux bien faire ça, non ? Eh bien non je ne peux pas, c’est trop compliqué tout ça…

Le handicap psychique, c’est ça, toutes ces réalités-là, mais toi tu n’ connais pas…

Vous dites une semaine pour l’insertion professionnelle des personnes « handicapées » ? D’abord vous ne savez même pas parler… je ne suis pas « handicapé » je suis en situation de handicap… à cause de tout ça… VOUS me mettez en situation de handicap majeur à cause de tout ça…

Une semaine POUR l’insertion professionnelle des personnes handicapées. C’est vu d’avance… On fera venir les media et on se tapera la poitrine pour dire que tout va bien dans le meilleur des mondes, pour étaler tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on fait POUR les personnes en situation de handicap… et surtout SANS ELLES… une fois de plus. Mais on m’a oublié, moi, avec ma tête qui gamberge, mes jambes qui ne me portent pas, moi avec ma folie… Devrais-je vous dire merci ? Trop fatigué, je préfère rester dans ma bulle, je vais dormir…

Le chemin sera long de l’acceptation des personnes mises en situation de handicap en tant que partenaires. L’empowerment, connais pas, en tous cas ce n’est pas pour demain à moins que… armés de leur courage et de leur détermination ils ne se lèvent pour dire C’EST ASSEZ !… On a ce job à faire avec eux dans les GEM.

Au nom de tous ceux que nous accompagnons au quotidien, exclus d’une société non inclusive, oublieuse qu’on juge le degré d’évolution d’une société à la façon dont elle traite ses fous…

Au nom de mes fils exclus qui connaissent ce parcours, ou plutôt ce non-parcours de vie…

C’est parfois dans la caricature, dans la dérision aussi, que surgit l’étincelle de conscience qui changera le monde

N’est-ce-pas ?

Yolène de Vassoigne.

09/11/2017