Fin de grève au crédit agricole : Les tenants et aboutissants d’un effroyable gâchis à venir !

— Par Jean-Marie Nol, économiste financier —

credit_agricole_gwada_40%L’art n’est donc pas seulement, comme on dit, celui de terminer une grève ; il consiste aussi dans la façon de la faire !

La grève au crédit agricole de Guadeloupe s’est achevée hier soir avec la signature d’un protocole d’accord finalisé de façon laborieuse et qui voit la direction du crédit agricole sortir de ce conflit totalement discréditée et affaiblie tant les concessions à l’intersyndicale ont été nombreuses . La direction du crédit agricole s’est littéralement couchée sur tous les points de la négociation . Mais est -ce à dire que les salariés du crédit agricole sortiront renforcés de ce bras de fer sur les 40% de vie chère . Rien n’est moins sûr, car le modèle économique et coopératif du crédit agricole est à bout de souffle , et des bouleversements importants sur l’emploi ne sont pas à exclure dans les 2 ou 3 années qui viennent .

Les salariés du crédit agricole ne vont -t-ils pas devoir eux mêmes se consumer sur le feu allumé par leur propre grève ? La direction a clairement signifié aux grévistes qu’elle allait taper fort, en gelant toutes les embauches au sein de l’entreprise et en redéfinissant une nouvelle feuille de route qui s’apparenterait fort, selon nous , à une prochaine restructuration de l’organisation du crédit agricole de Guadeloupe . Il s’agit là clairement d’une première mesure de rétorsion de la part de la direction . Comme le disait Napoléon, mais à propos de la guerre, « l’art de la grève est simple et tout d’exécution ». Un premier bilan de ce conflit fait ressortir un climat social extrêmement dégradé et tendu au sein de la caisse du crédit agricole de Guadeloupe .

En période de crise et à l’heure où l’on entend beaucoup parler de risques psychosociaux, dans les banques, comprendre et appréhender la notion de dégradation de climat social peut devenir capital pour l’avenir de la banque verte en Guadeloupe . Car ce climat social pourra devenir une sorte de baromètre de l’entreprise et déterminer sa rentabilité.

Car, c’est en partie du climat social que dépendront la compétitivité et l’attractivité de l’entreprise.

Résumons donc : le climat social est un indicateur de la bonne santé humaine et sociale de l’entreprise. C’est un baromètre qui, à partir d’indicateurs, symptômes d’un malaise, établit la qualité des relations entre les salariés et leur travail, des relations entre collaborateurs de même niveau hiérarchique ou de niveaux hiérarchiques différents, etc. En gros, c’est un concept qui permet de dire : « dans cette entreprise, il fait bon travailler » ou au contraire « fuyez cette entreprise comme la peste, c’est devenu un calvaire ».

Souvenons-nous des vagues de suicide chez Orange : ces événements tragiques étaient des symptômes ; les symptômes d’un climat social catastrophique. Et pour rétablir un bon climat social, l’entreprise a dû dépenser pas moins de 900 millions d’euros ! Un climat social dégradé, en plus de nuire à la productivité, peut donc coûter extrêmement cher s’il n’est pris en compte que trop tard. D’où notre perplexité devant la volonté de la direction du crédit agricole à jeter de l’huile sur le feu . C’est quelque part une forme de rupture volontaire du pacte qui lie à la fois les employés et l’entreprise . Mais quel est le but recherché ? – Selon nous, c’est la transformation progressive du crédit agricole en banque en ligne mobile . Désormais les salariés du crédit agricole seront au cœur de la tourmente digitale de l’entreprise crédit agricole. La leçon à tirer de ce conflit est que plus aucune entreprise en Guadeloupe et Martinique ne peut ignorer les transformations rapides qu’entraîne aujourd’hui le digital – des transformations d’ordre technologique bien sûr, mais aussi et surtout organisationnel et managérial.

C’est dans ce contexte que le crédit agricole de Guadeloupe va désormais aborder une longue période de faible croissance économique défavorable à ses activités d’intermédiation et de transformation.

La marge d’intermédiation est constituée par la différence entre les intérêts perçus sur la distribution de crédits et les intérêts versés par la banque pour se financer. N’importe quelle banque peut donc proposer des financements à taux faibles ce qui augmente la concurrence et diminue la marge d’intermédiation. De son côté, la demande de crédits rebondit peu, conséquence d’une croissance molle, si bien qu’en 2015 la croissance des prêts a été de 1% et est prévue en hausse de 1.6% pour 2016. L’activité de transformation est également menacée. Elle consiste à emprunter à court terme pour placer les fonds obtenus à long terme, le taux d’emprunt étant inférieur au taux de placement, la banque réalise une marge à travers la courbe des taux. Or celle-ci est désespérément plate : la faiblesse de l’économie mondiale empêchent tout rebond significatif des taux longs. En outre, les nouvelles exigences réglementaires en termes de liquidité limitent drastiquement les opérations de transformation.

L’évolution du rapport avec le client ainsi que l’émergence du BANKING MOBILE constituent désormais de nouveaux challenges à surmonter pour le crédit agricole de Guadeloupe . La banque de détail, qui représente l’essentiel des profits du crédit agricole (22 Millions de bénéfices pour la caisse du crédit agricole de Guadeloupe en 2015 ), connaît une crise d’identité profonde et l’agence bancaire en est le symbole. L’adoption de la banque en ligne ou sur mobile par les générations les plus jeunes fait diminuer la fréquentation des agences et donc les commissions. Les démarches les plus courantes sont désormais toutes réalisables gratuitement via Internet. Il n’a donc pas été anodin de voir fleurir depuis quelques années les offres de banque exclusivement en ligne des banques traditionnelles. Hello Bank pour BNP et BforBank pour le Crédit Agricole, ont rejoint les pionnières que sont Boursorama pour la Société Générale ou encore Fortuneo du Crédit Mutuel Arkea. Il n’empêche, le réseau d’agences coûte cher et les dirigeants du crédit agricole l’ont bien compris en voulant peser sur la masse salariale . Les annonces de fermetures se multiplient : la Société Générale a récemment indiqué vouloir fermer environ 20% du nombre de ses agences d’ici 2020 alors que BNP Paribas en a déjà supprimé un peu plus de 10% depuis 2012. D’autres banques ont choisi de ne pas fermer d’agences mais de les faire évoluer afin d’en réduire les coûts tout en conservant un point de contact avec le client : évolution des horaires, aménagement de l’espace pour en faire un lieu plus convivial, amélioration du service grâce à des équipes de conseillers, chacun spécialisé dans son domaine (épargne, crédit, assurance) pour répondre au mieux aux besoins du client. Le réseau bancaire du crédit agricole de la Guadeloupe se caractérise par un maillage territorial très développé par rapport à la moyenne des autres banques, La Banque Postale non comprise. Mais force est de constater que ce maillage est aujourd’hui obsolète et que nombre d’agences ne sont plus rentables notamment dans les communes rurales de la Guadeloupe .C’est pourquoi, nous pensons que demain, une fois la grève terminée , le crédit agricole sera soumis à de profonds changements organisationnels et les salariés en feront pour l’essentiel les frais même s’ils sont tentés de crier victoire après le retrait par la direction du projet de suppression des 40% pour les nouveaux embauchés .Enfin, le vieil adage « le client est roi » va prendre tout son sens en Guadeloupe, le client exigeant plus de considération, de personnalisation et de conseil spécialisé et sur mesure.La précarité croissante du travail modifiera les règles en terme de gestion des ressources humaines et le réveil risque d’être dur pour les employés du crédit agricole à l’horizon 2018, car trois phénomènes concomitants pousseront à l’essor des nouvelles technologies dans la banque du crédit agricole de Guadeloupe : l’Internet, le mobile et le « sans contact » Sur le marché bancaire, le portable va devenir, via l’Internet mobile et le SMS, un complément sur des services spécifiques, en attendant d’être l’instrument universel de la banque au quotidien…Sans conteste, il y aura des destructions d’emplois et la direction , qui a selon nous, en parfaite connaissance du caractère ultra- sensible des 40% et pour des raisons de management stratégique volontairement allumé et attisé le feu, aura ainsi beau jeu d’en imputer la faute aux salariés grévistes à l’heure des comptes.

Les fermetures d’agence ne se traduiront pas forcément par une vague de licenciements puisque 20 % des employés de banque ont plus de 55 ans et partiront à la retraite dans les années à venir. Néanmoins, avec la révolution numérique, le nombre d’emplois créés par l’industrie bancaire aux Antilles va très fortement diminuer. Et cela constitue un enjeu majeur puisque le secteur bancaire représente en France 370 000 salariés dont 70% en banque de détail ( aux Antilles c’est environ 5000 emplois directs et indirects ).

Enfin la banque de détail subit la concurrence de nouveaux acteurs qui profitent des technologies digitales pour pénétrer l’industrie bancaire : les fameuses FinTech. Que ce soit dans le prêt entre particuliers, les cagnottes en ligne, le financement participatif de projets ou encore la gestion du patrimoine, les FinTech sont partout. La banque subit aujourd’hui ce que d’autres secteurs ont connu avant elle : la distribution classique dépassée par la désintermédiation des acteurs du e-commerce ou encore l’hôtellerie qui a dû faire face à l’arrivée d’intermédiaires supplémentaires avec les OTA (i.e. agences de voyage en ligne) comme Expedia. Certaines banques ont néanmoins pris les devants en rachetant des FinTech à succès. Ce fut notamment le cas de Crédit Mutuel Arkea qui a racheté le site de cagnotte en ligne Leetchi. Mais attention, il ne faut pas réduire les FinTech aux seules start-ups. Preuve de cette brèche ouverte dans le modèle bancaire, l’opérateur téléphonique Orange a récemment décidé de racheter Groupama Banque pour se lancer dans la banque sur mobile….en précisant qu’elle s’appuiera sur son réseau d’agences, physique cette fois-ci, pour convertir ses clients. Surtout, n’oublions pas les ambitions, à peine voilées, des grands acteurs du digital comme Apple ou Google dans le paiement. Certes ce n’est pas une activité centrale des banques mais cela pourrait constituer une étape vers le développement d’une offre complète de services bancaires. Forts de leurs millions de clients et assis sur des montagnes de liquidités, ces acteurs ont les capacités financières de le faire. Seule la réglementation les en empêche pour le moment. Or, Uber a démontré à quel point un modèle digital pouvait bouleverser une industrie réglementée.

Quelle stratégie de réorganisation d’après grève pour le crédit agricole de Guadeloupe ?

L’affrontement des trois grands réseaux en Guadeloupe que sont la Banque postale, le Crédit agricole et les Caisses d’épargne/CEPAC est inévitable. Trois banques fondées sur des valeurs fortes : l’exclusion sociale pour la Banque postale, le développement local pour le Crédit agricole, le logement social pour les Caisses d’épargne. Forts de la densité de leurs réseaux respectifs, ces établissements ont tous trois progressivement convergé vers la banque de détail généraliste. Trois banques « trop proches pour s’ignorer, trop semblables pour ne pas s’affronter », pour reprendre l’expression de Jacques Lenormand, directeur général en charge du développement du Groupe Crédit agricole.Demain, le rapprochement entre Caisses d’épargne et Banques populaires va exacerber la lutte pour le leadership de la banque de détail avec le Crédit agricole.

Selon nous 25 % des agences de banque en Guadeloupe et Martinique ne seraient pas rentables et c’est le cas du crédit agricole de Guadeloupe .Le ralentissement attendu de la croissance du produit net bancaire de la caisse du crédit agricole s’expliquera par une concurrence et une pression tarifaire accrues, notamment sur l’activité liée aux crédits immobiliers où les marges se sont très fortement resserrées du fait de la forte baisse des taux d’intérêts . Le sujet des fermetures d’agences n’est certes plus tabou : Mais fermer des agences purement et simplement ne permet pas de répondre au rôle futur des agences. On peut cependant déjà distinguer de nouveaux usages, via de multiples expérimentations et actions déjà engagées par le crédit agricole comme une présence forte dans les centres commerciaux de Destreland et Milenis ou encore des agences spécialisées par segment de clientèle . La relation client et l’expérience client se réorganisent au sein du réseau crédit agricole .Autre exemple intéressant et lancé tout d’abord par le Crédit Agricole Val-de-France : l’agence par projets. L’Espace projets du Crédit Agricole Val-de-France, situé à Chartres, n’a pas pour but de se substituer aux agences traditionnelles. Les opérations courantes ne sont pas traitées dans cet espace, uniquement prévu pour les projets de la vie des particuliers (naissance, études, prêts à la consommation, prêt immobilier). L’espace est ouvert aux clients et prospects. Pour les clients, il est possible de communiquer avec le conseiller de son agence via visioconférence. Le Crédit Agricole de Champagne Bourgogne a ouvert à Dijon « L’Autre Agence« . L’agence se distingue aussi par son organisation en mode projets. Les conseillers traitent des dossiers baptisés « Je change ma voiture », « J’ai un projet immobilier », « J’ai une rentrée d’argent », « Suis-je bien assuré » et pour les professionnels « Je crée mon entreprise ».

On le voit, le secteur de la banque de détail bouge, investit et se prépare pour demain. Il n’y a pas de modèle prédéfini mais chaque banque doit mener sa propre stratégie que le client doit suivre et comprendre. L’établissement financier gagnant sera celui qui apportera le plus de nouveaux produits et services à ses clients. Le Crédit agricole de Guadeloupe, n’hésitera pas demain à vendre du mobile ou de la télésurveillance en direct. Pour le client, il s’agit surtout de trouver un conseiller sur tous les points de contact : mobile, PC ou agence.Quoiqu’il en soit, au crédit agricole de Guadeloupe, l’agence restera indispensable car les Guadeloupéen n’ont pas d’appétence pour une banque 100 % numérique. Le crédit agricole croit toutefois à l’existence d’une clientèle B2B éligible à une offre 100% mobile et mène une réflexion dans ce sens. L’  « omnicanal » est la clé : le mobile s’insère dans les étapes du parcours client – citons l’exemple d’un entretien avec un conseiller par téléphone suivi de l’envoi d’un contrat qui sera validé sur mobile – mais l’humain reste le pivot, en agence à condition d’être réactif, mais pourquoi pas aussi, dans le cadre d’une relation à distance en visioconférence. Chez les professionnels, où l’usage de la tablette est très développé, le constat est le même. Reste à savoir si ce modèle à la française ne sera pas réinventé et préempté par un des acteurs de la nouvelle économie. Peut-être le client pourra-t-il opter demain pour My Google Bank et organiser lui-même sa place bancaire pour y faire son marché…De toute façon,  » Kod a yanm ké mawé yanm « …..au crédit agricole de Guadeloupe »

Aux salariés du crédit agricole de Guadeloupe de prendre la mesure du défi afin d’éviter que ce coup d’essai de la direction sur les 40% ne se transforme en coup de grâce avec l’accélération du numérique pour une banque coopérative locale vieille de près 100 ans et qui n’a jamais vraiment évolué, dans son modèle, depuis.

Jean-Marie Nol