« Femmes noires ». Exposition de Karine Joseph-Rose

— — Par Philippe Charvein — —

L’exposition de Karine JOSEPH-ROSE est construite autour d’un impératif : célébrer les femmes noires dans leur diversité par le biais de leurs visages. Visages multiples, saisis dans leurs déclinaisons les plus diverses ; vecteurs des expressions les plus diverses, elles aussi ; que ce soit la sérénité, la détermination, le défi ou le bonheur.

Autant d’expressions traduisant une volonté, chez l’artiste, de promouvoir une identité féminine se déployant, s’exposant au regard de tous ; une identité féminine affirmant et affichant sa présence envers et contre tout.

Derrière ces nombreux visages, sublimés pour la plupart, se trouve cette volonté, chez Karine JOSEPH-ROSE, d’inscrire cette identité féminine dans un absolu aux allures d’éternité ; dans une sorte de renaissance perpétuelle, préservée des affres de l’oubli et du néant ; de là l’emploi du procédé de la « technique mixte » (impliquant également celui de la « tempéra ») par le biais duquel des couches de peinture se superposent à d’autres, sans risque d’effacement pour telles ou telles.

La préoccupation majeure de Karine JOSEPH-ROSE est de mettre en lumière un visage féminin inscrit dans un processus de renaissance permanent. Un visage préservé de la déchéance et de la destruction physiques.

Cette perspective est illustrée à travers des toiles aussi diverses que : « Evanescence », « Emergence 2 », « Profil » et « Emergence 1 ». Point commun rassemblant ces toiles : cette mise en évidence d’un visage…envers et contre tout ; un visage qui est là, rehaussé.

Sur la première toile que nous venons d’évoquer, notre attention se porte sur le visage serein d’une femme…en train de dormir…ce sommeil étant peut-être celui de la mort, comme l’indique le titre : « Evanescence ». Titre qui laisse entendre une disparition prochaine.

Pourtant, la tragédie de la mort est précisément contrecarrée par la sérénité de ce visage féminin…auréolé, rehaussé d’une gerbe florale inédite ; gerbe florale avec laquelle il se fond presque. Les fleurs présentes sur la tête de la femme contribuent d’ailleurs à l’embellir, lui conférant une grâce indicible.

La deuxième toile que nous avons mentionnée (« Emergence 2 »), poursuit et renforce le mouvement initié en mettant en évidence un visage féminin qui se confond littéralement avec un arrière-plan coloré…visage que nous voyons à peine, sans doute sur le point de s’estomper, mais se régénérant paradoxalement de toutes les énergies qui émanent de la nature, de la terre. Sans multiplier les faits, nous pouvons relever la « chevelure » incandescente, de même que les couleurs jaune et orange marquant les énergies premières et primaires ; cette énergie à l’état brut se déployant et irradiant la femme ainsi représentée.

Manière, pour l’artiste peintre, de figurer un visage rehaussé de vitalités ; un visage transcendé d’énergies au moyen desquelles il parvient à l’éternité !

S’agissant de la troisième toile que nous avons citée, un fait marquant capte d’emblée notre attention : l’absence – paradoxale – de visage féminin.

En lieu et place de celui-ci, nous remarquons plutôt la présence d’un ensemble floral magique ; lequel – de manière métonymique – évoque malgré tout ce visage symbole d’éclosions, comme le marquent ces deux fruits jaunes imposants.

Il est intéressant de remarquer que le titre de cette toile (« Profil »), rappelle de manière symbolique le visage féminin…de profil, lui aussi, présent sur la toile intitulée : « Evanescence ». Manière, pour Karine JOSEPH-ROSE, d’inscrire le visage de la femme noire dans un processus – magique – de renouvellement permanent…à l’instar d’un ensemble floral qui surgit de l’informel de la nuit et affiche d’emblée la réalité signifiante de ses ramifications vitales !

Sur la dernière toile que nous avons citée (« Emergence 1 »), c’est à un visage saisi de face que nous avons affaire. Un visage de femme qui émerge d’une sorte de… « rideau » et qui affiche d’emblée la réalité de sa présence physique ; de sa beauté presque palpable.

La force de cette toile réside sans doute, à cet égard, dans cette opposition entre une réalité informelle (ces tracés colorés « tombant en lambeaux ») et la réalité formelle d’un visage émergeant soudainement et nous regardant d’emblée…un visage où se reflète la vie !

Le visage de ces femmes noires est d’autant plus important aux yeux de Karine JOSEPH-ROSE qu’il est le médium principal au moyen duquel elles adoptent les expressions et les postures qui leur conviennent ; elles parviennent à une liberté certaine, hors d’atteinte de toute tentative de domination ou d’enfermement.

Nous pouvons, dès lors, relever des toiles aussi diverses que : « Force 1 », « Force 2 », « Force 4 », « Zayann », « Lumière », « Joséphine » et « Sourire ».

S’agissant des trois premières réalisations mentionnées, l’intention artistique de Karine JOSEPH-ROSE est d’emblée perceptible dans le titre générique choisi : mettre précisément en lumière la « force » émanant de ces visages de femmes ; une « force » intrinsèque au moyen de laquelle elles soutiennent le regard posé sur elles.

Sans multiplier les faits, nous sommes d’emblée sensibles à ce visage plein de détermination mis en évidence sur la première toile mentionnée. Un visage qui surgit de l’ombre, rehaussé, par ailleurs, par la peinture bleue étalée sur lui s’imposant comme une seconde peau et par les deux boucles d’oreilles imposantes, symboles d’une sensualité à la force inédite.

Visage stylisé d’une femme – qui s’impose comme un être fabuleux, hors normes – prête à affronter le monde extérieur ; à en découdre, comme en témoignent ces deux yeux qui ne cillent pas, nous fixent intensément.

La position de profil de ce visage, accentue également l’air de défi émanant de celui-ci…l’air de défi de cette femme affirmant sa présence et sa féminité.

Perspective différente sur la deuxième toile évoquée car mettant en évidence un visage marqué par l’orgueil, mâtiné de dédain.

L’orgueil de cette femme regardant de haut, toisant même son vis-à-vis. S’agit-il d’une posture princière ? L’élément marquant, quoi qu’il en soit, est ce visage rejeté en arrière ; mis en lumière qui plus est, sans aucun artifice particulier. Visage de celle qui est sûre et fière de sa dignité et de son origine !

Notons, dans le même temps, cette mise en évidence de l’imposant collier qui lui enserre le cou et qui s’impose comme un signe de distinction…de pouvoir.

Notons, enfin, ce jeu de clair-obscur qui met en « lumière » un visage voulant sortir de l’anonymat et s’affirmant en tant que tel.

Quand le visage permet au sujet représenté d’accéder à une dimension cosmique, auréolée d’infini…voilà précisément le cas de figure que nous rencontrons dans la troisième toile citée. Toile sur laquelle s’affiche l’imposant visage d’une femme à la « coiffure » zébrée de taches de peinture s’imposant comme une myriade d’étoiles

Le visage de la femme ainsi représentée s’impose à cet égard comme un… « astre » d’un nouveau genre, serti de ses « anneaux » …un « astre » incontournable !

Quand le visage devient l’un des médiums permettant la promotion d’une identité personnelle et collective…voilà le cas de figure que nous trouvons sur la toile intitulée : « Zayann » et sur laquelle il est possible de voir une belle femme aux locks fournis ; cette chevelure si singulière rehaussée d’une coiffe rose.

Deux éléments marquants s’imposent à nous. D’abord ce titre, « Zayann », renvoyant à de nombreux métissages culturels et porteur de multiples significations, parmi lesquelles nous trouvons l’allusion à la forêt créole, alors que la toile que nous avons sous les yeux met en lumière (et dans tout son éclat ; dans toute sa transparence, signe de permanence) un visage de femme, parsemé de couleurs, préfigurant une « jeunesse » éternelle… comme si l’artiste peintre voulait ainsi dépasser le simple concept pour mieux célébrer – et avant tout- la personne humaine, native de cette région du monde : cette femme créole en l’occurrence dont nous voyons clairement le visage.

Ce même visage un peu rêveur, ensuite, fixant un horizon inconnu de nous mais dont on devine qu’il invite à la vie et au bonheur ; riche de perspectives futures !

Même orientation philosophique, mais parti pris esthétique différent sur la toile intitulée : « Lumière ». Toile sur laquelle il nous est possible de voir le visage d’une femme noire en contrepoint d’un arrière-plan constitué de carrés colorés ; visage rehaussé, qui plus est, de couleurs diverses illustrant sans doute l’unité des pays africains.

Derrière ce visage, sans doute faut-il voir, à la fois, une personnification et une métonymie de ce grand continent dont la force et la… « lumière » sont précisément condensées par cette femme fixant – elle aussi – un horizon inconnu de nous, préfigurant les constructions et les projections parmi les plus diverses, symboles de hauteur et de grandeur !

Le visage qui respire la vie, c’est précisément ce que nous voyons sur la toile intitulée : « Joséphine ». Toile qui rend hommage à Joséphine BAKER à travers l’évocation d’un visage stylisé au sourire particulièrement appuyé.

Elément marquant, cependant, à propos de cette réalisation artistique : elle reprend l’affiche de Jean CHASSAING (affichiste de son état) datant de 1931. Volonté, chez Karine JOSEPH-ROSE, d’immortaliser une femme confrontée aux préjugés de son temps et ayant malgré tout su se mobiliser en faveur des valeurs humaines !

Perspective développée sur cette autre toile intitulée : « Sourire » et sur laquelle nous sommes surtout sensibles à ce large sourire – sourire lumineux – de cette femme : métaphore saisissante d’une humanité rayonnante, ouverte aux possibilités de la vie !

Philippe CHARVEIN, le 31/10/2025