Émancipation financière des femmes : un combat en progrès, mais encore inachevé
— Par Sarha Fauré —
Soixante ans après l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, qui permit enfin aux femmes mariées d’ouvrir un compte bancaire en leur nom propre et de travailler sans l’autorisation de leur mari, la question de leur autonomie financière reste d’une actualité brûlante. À l’occasion de cet anniversaire symbolique, Forvis Mazars et le réseau Financi’Elles ont dévoilé une étude inédite menée par l’institut CSA. Son constat : malgré des avancées notables, l’émancipation économique des Françaises demeure incomplète.
Des progrès sensibles dans le rapport à l’argent
Les femmes s’emparent de plus en plus des outils de leur autonomie financière. Pour 88 % d’entre elles, l’argent est associé à la liberté, bien plus qu’à la soumission. Ce chiffre grimpe à 98 % chez les professionnelles de la finance. L’argent est perçu comme un levier d’indépendance et de sécurité, en particulier chez les jeunes femmes de 25 à 34 ans, dont 88 % estiment qu’il occupe une place importante dans leur vie quotidienne.
Les mentalités évoluent également dans la manière d’en parler : 71 % des femmes échangent désormais sur les questions d’argent avec leur entourage. Une dynamique générationnelle encourageante se dessine : les femmes plus jeunes manifestent davantage d’intérêt, de curiosité et de confiance dans leur rapport à l’argent que leurs aînées.
L’indépendance financière, une aspiration encore inégalement atteinte
Pourtant, derrière ce discours positif, les écarts persistent. Si 70 % des Français se déclarent autonomes financièrement, seules 63 % des femmes partagent ce sentiment, contre 77 % des hommes. Ce chiffre chute à 54 % chez les salariées à temps partiel et à 42 % pour les femmes de 50 à 64 ans. Près d’une femme sur deux reconnaît que son conjoint gagne plus qu’elle, avec un écart moyen de 1 538 € dans ce cas.
Parmi celles qui ne se disent pas indépendantes, 61 % évoquent une dépendance directe à leur partenaire. Le couple reste ainsi un lieu de déséquilibre économique persistant, marqué par une répartition inégale des revenus et une tendance à la délégation des décisions financières aux hommes.
Faible anticipation et vulnérabilité en cas de rupture
La capacité d’anticipation financière, essentielle pour affronter les aléas de la vie (séparation, décès, maladie), demeure insuffisante. Seules 39 % des femmes déclarent avoir mis en place des dispositifs de protection en cas de rupture. Ce chiffre, bien inférieur à celui des hommes (50 %), met en lumière une fragilité structurelle.
Parmi les stratégies adoptées, l’épargne personnelle est privilégiée (71 %), suivie de la détention de biens propres (35 %) et des contrats de mariage (24 %). Mais dans les familles monoparentales dirigées par des femmes, seules 36 % peuvent financer des loisirs ou sorties, contre 85 % qui parviennent à subvenir à leurs besoins alimentaires.
Cette faible anticipation est aggravée par un rapport au temps plus court chez les femmes, notamment les moins diplômées : 42 % raisonnent principalement à court terme (contre 36 % des hommes), et 51 % chez les femmes issues des catégories populaires.
Un besoin criant de formation et d’accompagnement
Le manque d’éducation financière ressort comme un frein majeur à l’autonomie. Si 81 % des répondants disent connaître leur capacité d’épargne, seuls 38 % en ont une vision précise. Une femme sur deux souhaiterait être mieux informée sur l’épargne ou l’investissement, mais seules 9 % ont suivi une formation sur le sujet. Paradoxalement, chez les femmes de la finance, 75 % expriment le souhait d’être formées, alors qu’à peine 6 % l’ont été.
Les stéréotypes culturels persistent dès le plus jeune âge : les garçons reçoivent en moyenne plus d’argent de poche que les filles, et certaines tâches dites masculines restent mieux rémunérées dans les foyers. Pour Sibylle Le Maire (ViveS), cette inégalité s’enracine dans une culture où les femmes sont encore trop peu préparées à gérer leurs finances de manière autonome.
Le rôle des institutions financières : entre opportunité et responsabilité
Face à ces constats, banques et assureurs se mobilisent de plus en plus pour accompagner les femmes vers leur autonomie. BNP Paribas, Oddo BHF ou encore le réseau Ladies Bank multiplient les initiatives : formations, campagnes de sensibilisation, rendez-vous personnalisés et création de communautés dédiées.
« Il est essentiel de lever les freins sans tomber dans la victimisation. Il faut encourager les femmes à prendre confiance et leur donner les clés pour piloter leur avenir économique », résume Isabelle Loc de BNP Paribas. Pour Alix de Renty (Ladies Bank), il s’agit d’anticiper toutes les ruptures de vie possibles et de bâtir une résilience financière durable.
Vers une culture financière partagée
Si les femmes restent confrontées à des freins spécifiques dans leur rapport à l’argent, la dynamique de changement est en marche. La jeune génération montre une meilleure capacité de projection : 76 % des femmes de 25 à 34 ans estiment pouvoir maintenir leur niveau de vie en cas de rupture, 54 % ont déjà mis en place des dispositifs de protection, et 66 % déclarent ressentir régulièrement un bien-être financier.
Pour Virginie Chauvin (Forvis Mazars), « il est de notre responsabilité collective de faire en sorte que chaque femme, quel que soit son parcours, dispose des mêmes clés pour construire son indépendance économique. » L’émancipation financière des femmes ne doit plus être l’exception, mais la norme.