Faut-il réaffirmer le collège unique ou privilégier une orientation précoce ?

La refondation de l’école, c’est un sujet qui fait réagir. Lorsque nous avons proposé aux lecteurs du Monde.fr de donner leur point de vue sur l’un des points de tension qui a surgi à l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation sur l’école – faut-il réaffirmer le collège unique ou privilégier une orientation précoce ? –, nous avons reçu plusieurs dizaines de contributions en quelques heures. 

Que ce soit en tant qu’enseignant, retraité de l’éducation nationale, ancien élève ou parent d’élève, beaucoup s’inquiètent de l’état actuel de l’école. Trop cloisonné pour certains, le collège doit s’adapter aux profils différents des élèves, quitte à professionnaliser certains parcours dès la sixième. Pour d’autres, au contraire, l’orientation doit être la plus tardive possible, pour éviter tout dispositif qui enfermerait trop tôt les élèves dans une filière. Mais la plupart des contributeurs pensent qu’avec plus de souplesse, on peut trouver un équilibre entre « collège universel » et professionnalisation prématurée.

Nous avons sélectionné quelques-unes de ces contributions.

  • « The right man in the right place », par Alfred Raveau, 82 ans, maître de conférences honoraire en didactique des langues

Jusqu’à l’adolescence, les aptitudes intellectuelles de l’enfant sont en constante évolution pour de nombreuses raisons (contexte, personnalité, environnement, etc.). C’est pourquoi une analyse trop prématurée des aptitudes peut devenir rapidement catastrophique, si elle ne correspond pas aux aptitudes réelles qui se dessinent peu à peu. Mais petit à petit, l’éventail des envies se referme, se précise, et peu à peu l’enfant se connaît. Il apparaît donc essentiel que l’éventail des stimulations intellectuelles liées à la connaissance soit le plus ouvert possible, le plus tôt possible, jusqu’à l’adolescence. Comment l’enfant peut-il trouver sa voie si on ne lui propose qu’une partie des voies possibles ? De quel droit va-t-on « orienter » quelqu’un vers une profession dont il n’a aucune idée, uniquement parce qu’on a détecté certaines « aptitudes » ? Un enseignement trop « ciblé » comporte un risque énorme : celui de faire de l’adolescent un adulte malheureux. Par contre, l’appréhension du monde du travail ne doit pas être comprise comme un obstacle au développement de la culture générale. C’est tout le contraire. L’adolescent doit prendre conscience petit à petit de la compatibilité nécessaire entre la culture générale et l’exercice d’un métier. Ce sont les deux stratégies cumulées qui l’aideront à choisir le métier dans lequel il se plaira. « The right man in the right place. » Un adulte équilibré, qui exerce un métier dans lequel il se sent bien.

  • « Donner à l’enfant le temps, les structures et la matière pour se construire lui-même », par Monique Lalario

Institutrice publique avant d’être professeure des écoles, il m’a toujours semblé qu’il était tout à fait inopportun de « penser » l’école en termes d’économie. Non pas par idéologie, mais parce que, si l’on place comme on le doit l’enfant au centre de ses préoccupations d’enseignant, on voit bien qu’il faut lui donner le temps, les structures et la matière pour se construire lui-même en tant qu’individu, plutôt que de l’orienter en fonction de critères sociaux et économiques qui seront étrangers à sa liberté d’être.

Il me semble qu’aujourd’hui, où nos jeunes sont promis à plusieurs exercices professionnels et à une grande mobilité au cours de leur vie active, la nécessité d’un vaste socle de compétences solides et de connaissances générales préparant à une grande diversité d’apprentissages est plus que jamais nécessaires.

A quoi sert en effet de les entraîner dans une orientation diplômante de plus en plus longue, le master s’ajoutant désormais à la licence, pour passer par le chas de l’aiguille d’un secteur professionnel qui, peut-être, disparaîtra dans les dix ans qui suivent, où ils risquent de n’être plus performants dans les cinq ans à venir s’ils y trouvent à s’employer sans s’expatrier ? Si je ne sais utiliser que trois doigts de ma main droite, comment ferai-je pour me nourrir alors que j’aurais besoin de tous les doigts de ma main gauche ? Apprenons donc à notre jeunesse l’usage de ses deux mains d’abord et de toute sa tête : elle saura s’adapter tout au long de sa vie.

  • « Laissez-les vivre », par embe

Déjà, les futurs bacheliers sont sommés de choisir les études supérieures avant l’heure. Le marché de l’emploi est de plus en plus limité et fluctuant, donc imprévisible et hasardeux. Quant aux centres de formation d’apprentis, ils font une sélection souvent sévère des candidats, même bacheliers. Dans ces conditions, les possibilités pour chaque enfant doivent rester le plus largement ouvertes et donc l’orientation-éviction doit rester la plus tardive possible. A moins que le nombre de passerelles puisse réellement permettre des retour sur d’autres voies. Mais ce n’est pas envisageable après dix ans de destruction massive du système éducatif et du réseau des centres d’information et d’orientation (CIO) par la droite libérale et sarkozyste.

  • « Stop au collège unique », par Shell

Oui, les enfants sont égaux en droits. Non, ils ne sont pas égaux devant les apprentissages. Il faut arrêter de donner les mêmes enseignements à tous. De nombreux élèves décrochent, car ils sont en échec, et un grand nombre d’entre eux ont un projet professionnel mis à mal par leurs livrets scolaires, car il faut un bon dossier pour avoir la possibilité d’étudier dans le secteur professionnel de son choix. Laissons-les donc aller apprendre un métier plutôt que de les condamner à l’échec scolaire puis professionnel et donc social.

  • « Le collège unique est une machine à broyer les élèves les plus faibles », par Julie Deleplancque, 29 ans, professeure d’espagnol dans la Seine-Saint-Denis

Enseignante en espagnol, j’ai découvert cette année l’univers du collège dans trois établissements de la Seine-Saint-Denis, après deux années (« stage », puis première année en tant que titulaire) en lycée. Mon constat : le collège unique part d’une belle idée, celle de donner sa chance à chacun, mais au nom d’un égalitarisme bon teint, il ne fait selon moi qu’enfoncer les élèves les plus faibles, qui arrivent déjà bien démunis de l’école primaire, incapables de s’adapter à l’organisation personnelle qu’implique le collège (en termes de « ballet » des professeurs notamment) et aux nouvelles matières qui leur sont imposées, alors même que les bases ne sont pas acquises (expliquez-moi comment s’approprier deux nouvelles langues quand les structures du français ne sont pas assises).

J’entends déjà hurler à la mort : on trierait les élèves dès 11 ans, quelle honte ! Et les obliger à endurer une scolarité qui est une souffrance et une source d’humiliation permanente, au nom de nos beaux principes, n’est-ce pas une honte ? Quelles solutions : une forme de collège parallèle, avec moins de profs, moins de matières, une salle attitrée, stable et bien équipée pour chaque classe (révolution : les profs se déplaceraient) dans laquelle seraient conservé tout le matériel (livres, cahiers, stylos, de toute façon, dans certains quartiers, 90 % des élèves ne font pas leurs devoirs), des petits effectifs et un encadrement de vie scolaire resserré…

  • « Le collège unique est une hérésie », par Olivier Dhénin, 35 ans, écrivain, dramaturge, enseignant

Je suis professeur de lettres, j’enseigne à Créteil dans un établissement APV (prévention violence, faute de label ZEP). J’ai des élèves doués, des élèves moyens, des élèves qui ne font rien, des élèves a-scolaires. Certains rêvent aux aventures de Ralph et Simon dans Sa Majesté des mouches, d’autres aux manipulations machiavéliques de Richard III. D’autres encore aux Ch’tis à Las Vegas. Bref. Je ne connais personne qui soit pour le collège unique chez les enseignants (qui pourtant votent en majeure partie à gauche). Pourquoi ? Mais parce que comment croire que nous avons tous la même intelligence, le même intérêt pour l’étude, le même désir de savoir ? On est tous d’accord pour donner à chaque enfant le maximum de chances. Mais il faut être honnête : si pour maintenir le collège unique on doit brader les savoirs, quel intérêt ? A la rigueur à quinze par classe pourquoi pas. On pourrait toujours essayer de lutter pour avoir un minimum d’attention sur un poème de Michaux ou un portrait de Balzac. Les élèves demandent à présent cent pour cent d’intérêt chacun. Mais un pour vingt-cinq rend ce rapport impossible. Je ne suis pas malheureux à Créteil, je suis simplement désemparé devant tant de misère sociale et intellectuelle qu’on me demande de réparer en une année, sans offrir de perspectives concrètes aux élèves : à quoi ça sert l’école ? A quoi ça sert d’apprendre ? Comment sortir de la cité ? Ils passeront dans la classe supérieure, alors autant zoner plutôt que de plancher sur Thérèse Raquin.

 

Lire l’ensemble des témoignages sur Le Monde.fr | 15.03.2013

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Quelle loi, quelle refondation pour quelle école ?

A l’heure où le Parlement examine le projet de loi pour la refondation de l’école de la République, qui compte aujourd’hui un élève sur cinq en situation d’échec scolaire, il est important de revenir sur les grandes orientations de cette réforme :

  • – La priorité à l’école primaire, car c’est à ce stade des apprentissages que tout commence mais aussi que se creusent parfois irrémédiablement les inégalités qui, sociales à l’origine, se transforment en inégalités scolaires ;
  • – La formation des enseignants, qui garantit la qualité du service public d’éducation, avec la création dès la rentrée 2013 des nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), dont le principe est l’entrée progressive dans le métier à partir d’une préprofessionnalisation dès l’année de licence ;
  • – La révision des rythmes scolaires, préconisée par les experts depuis longtemps, qui instaure une nouvelle semaine scolaire dans les écoles maternelle et élémentaire ;
  • – La mise en œuvre d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, pour la scolarité obligatoire, qui fasse sens pour l’ensemble des élèves et repose le principe réaffirmé du collège unique.

Cette loi de refondation, qui conduira à réinvestir dans les moyens humains avec la création de 60 000 postes programmés sur la durée de la législature, situe la pédagogie en son cœur.

Ce projet de loi qui modifie le code de l’éducation a pour ambition de poser les bases de l’école du XXIe siècle.

 

Yves Durand, député PS du Nord, rapporteur du projet de loi pour la refondation de l’école, et Olivia de Grandchamp, professeure de Lettres, auteurs de Quelle loi, quelle refondation pour quelle école ? (Fondation Jean-Jaurès, 7 mars 2013, en téléchargement gratuit)