« Fabula Buffa » : Bouffon et politique

— Par Roland Sabra —

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  Carlo Boso en personne est venu nous faire la leçon, nous rappeler les origines de la Commedia dell Arte. Avec l’accent italien en prime. Nous avons écouté. Nous avons retenu. Apparue au XVI ème, siècle son origine est sans doute plus lointaine. Dés l’époque romaine il existe une tradition populaire de pantomimes qui ne prendra forme que beaucoup plus tard après moult pérégrinations. Le nom lui-même est sujet à variation : Appelé aussi commedia all’improviso  (à l’impromptu), commedia a soggetto  (à canevas) ou commedia popolare  (populaire), ce genre a reçu ces noms divers par opposition au théâtre littéraire (commedia sostenuta ), apparu en Italie dès les premières années du XVIe siècle. Sa caractéristique essentielle et qui lui donnera le nom sous lequel il nous est parvenu est une fixation, une formalisation des codes scéniques que l’on retrouve presque intacts de nos jours. Les personnages sont eux aussi très normés, deux vieillards, deux jeunes hommes amoureux, deux jeunes femmes amoureuses, deux valets, deux servantes auxquels viennent s’ajouter à l’occasion des acrobates, des danseurs des chanteurs etc. Les paires de rôles sont typées. Si l’un des vieillards est riche et avare, l’autre est pédant et ridicule  si l’un des valets est ingénieux l’autre est balourd bien qu’étant tous les deux fourbes etc.

La troupe est itinérante et parcourt les provinces aux idiomes aussi nombreux que différents : le canevas de la pièce et donc le texte sont donc réduits au minimum mais en contrepartie le discours du corps, la gestuelle sont donc abondamment sollicités, ce qui exige des comédiens souplesse, habileté, capacité d’improvisation. C’est cette forme théâtrale toujours vivante, que l’on songe au travail de Copeau, Dullin, Barrault, ou encore à celui de Giorgio Strelher au Piccolo Teatro de Milan, qui nous a été montrée avec « Fabula Baffa » d’après « Mystère Bouffe » de Dario Fo , prix Nobel de littérature, les 14 et 15 janvier 2011 au Théâtre de Foyal. La troupe est ici réduite au minimum puisqu’ils ne sont que deux sur scène à nous narrer la parabole de l’aveugle et du paralytique miraculés, rétablis par la grâce du Christ et désormais contraints de travailler pour gagner la pitance qu’ils obtenaient auparavant par la mendicité. La bonté d’autrui est une calamité. Il faut se défier de ceux en général et là du Christ en particulier qui veulent votre bien. Ils n’avaient rien demandé et Il les a sauvés et ils n’en sont que plus malheureux. On peut donc aimer son malheur, le polir et le faire briller de sa plainte incessante et surtout le préférer à tout changement. Et quand l’aveugle miraculé veut s’essayer lui aussi à la bonté et qu’il veut en remerciement sauver le Christ sur la croix , qu’il veut le déclouer, celui-ci refuse… La satire porte aussi, on l’aura deviné, sur l’Église romaine sans qu’elle soit nommée autrement que « La multinationale ». Théâtre de bouffonnerie qui nous donne à rire, à réfléchir et à penser. Les deux comédiens sont formidables de métier. Dans une scène de pendaison simultanée particulièrement réussie ils nous donnent à voir et l’arbre et la corde et le nœud coulant qui les étrangle avec pour seul accessoire leur talent de suggestion.

On ne dira jamais assez combien le public et les artistes martiniquais ont besoin de voir ces formes théâtrales venues d’ailleurs. Ces derniers surtout, non pas pour imiter ou copier servilement des formes théâtrales historiquement et socialement déterminées, mais pour en tirer la quintessence, pour se les approprier, les assimiler ( oh! le gros mot), les digérer, les transformer car il n’est de culture que métissée. Alors, à quand un théâtre martiniquais qui mettrait en scène la société d’aujourd’hui, sur le mode d’une satire politique et sociale?

R.S.

16 janvier 2011 à Fort-de-France