Exposition Georg Baselitz au Centre Pompidou : comment renverser le sens de la représentation.

— Par Dominique Daeschler —

Dans une exposition chronologique, le centre Pompidou a fait le choix de jouer son va-tout avec l’immense, le démesuré, qu’il s’agisse des toiles ou des sculptures. On y découvre un Baselitz brut de décoffrage avec souvent un clin d’œil à l’expressionnisme. Enfant en RDA, Baselitz naît près de Dresde dans une Allemagne détruite par la guerre, coupée en deux, subissant les conséquences du nazisme. Que faire de la violence, comment vivre dans une société sans dessus – dessous ? Baselitz confesse être reparti à zéro : à lui de trouver ses propres mythologies, à lui de trouver sa propre renaissance et son style. La déformation des corps, des choses sera un de ses traits distinctifs. Alors ses peintures sont chaotiques, blessées, à vif. Les personnages sont cabossés, aux aguets de leur vie intérieure. Reste à tout renverser : que faire de l’héroïsme et de la définition d’une virilité triomphante ? Entre blessés de guerre, pénis hypertrophiés, Baselitz prend le contrepied d’une imagerie normée.

Il fragmente l’homme : série des pieds noueux couverts de plaies, têtes chauves sur de longs cous de girafe. La figure humaine est morcelée, il faut la découvrir sous des amas de pigments étalés avec rage ; elle flotte souvent dans le cosmos. L’image est renversée : à partir de 1969 Baselitz peint à l’envers, les personnages marchent sur la tête et le travail de la matière ( souvent au doigt) prend le dessus sur le sujet.

La mémoire de la reconstruction de Dresde revient hanter l’artiste : étonnante série de ces sculptures jaunes en bois, semblant taillées à la hache, représentant les femmes de Dresde qui ont déblayé la ville. Rien n’est apaisé. Dans sa série Remix Baselitz reprend le thème d’anciennes toiles, avec une peinture plus fluide voire dégoulinante.

Vient le temps des silhouettes brumeuses, toujours à l’envers (technique d’ empreintes appliquées sur des fonds unis), naviguant sans boussole dans l’univers. Baselitz n’en finira pas avec ses fantômes – jonglant avec les héritages artistiques de Munch, Dix, Soutine – sauf à devenir fantôme lui-même.

Dominique Daeschler