Exhiber son sexe est-il un geste politique ?

— par Marie Piccoli-Wentzo —
Benjamin Griveaux a renoncé la semaine dernière à sa participation aux élections municipales de Paris en raison de la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo et de photos à caractère sexuel. L’incident n’est pas nouveau et plusieurs hommes politiques ont déjà subi les mêmes déboires : en 2011, l’Américain Anthony Weiner est contraint de démissionner du Congrès pour avoir publié sur son compte Twitter une photo de lui dénudé, puis en 2017, il est condamné à de la prison ferme pour avoir envoyé d’autres photos de son sexe à plusieurs jeunes femmes dont l’une seulement âgée de 15 ans Aujourd’hui connue par l’anglicisme « sexting », cette pratique n’est pourtant pas nouvelle.

Montrer sa force de frappe

Au XVIe siècle, le peintre florentin Bronzino exécute une commande passée par l’amiral de Gênes, Andrea Doria. Le condottiere vient alors de repousser les forces navales ottomanes, et c’est pourquoi il demande à être immortalisé sous les traits du Dieu de la mer Neptune. Bronzino s’exécute et peint l’amiral génois à mi-corps, muni du triton et posant fièrement devant un mât et une voile. Le portrait respecte aussi la traditionnelle nudité des dieux antiques, puisqu’Andrea Doria n’est couvert que d’un mince drapé, qui tombe au-dessous de ses hanches, et découvre au moins partiellement le bas de son corps : le peintre a en effet pris de soin de laisser discrètement dépasser du drapé la base du sexe de l’amiral, élément particulièrement visible du fait d’une touche de lumière posée sur l’endroit à valoriser.

La monstration du sexe du condottiere répond clairement au contexte politique et militaire de la République de Gênes. En exhibant sa virilité, Andrea Doria immortalise sa puissance militaire et maritime, ainsi que sa capacité à diriger des navires de guerre et, bien sûr, à gagner !

Du sexting à la braghetta
Bien que le portrait mythologique d’Andrea Doria soit étonnant, il répond à une mode vestimentaire qui consiste à donner une place très visible au sexe masculin. En effet, depuis le milieu du XVe siècle, les robes portées par les hommes se sont considérablement raccourcies, jusqu’à dévoiler le bas de leur corps, en laissant apparaître leurs jambes moulées dans des chausses, « leurs culs et […] leurs génitoires », selon les termes indignés que Mathieu de Coucy, rédige à Paris en 1467. La partie du vêtement qui cache le sexe est appelée braghetta (braguette en français). Il s’agit d’un cache-sexe amovible, souvent en tissu, qui avait pour particularité de souligner le phallus.

Ces braghette pouvaient effectivement prendre des formes très diverses : on observe aujourd’hui dans les peintures et les portraits de l’époque des cache-sexes de forme ronde, en coquille ou encore en étui pénien. Ces formes étaient toujours proéminentes puisque les braghette débordaient largement des deux pans de la veste masculine. Parfois, des poches y étaient incorporées afin de ranger des lettres, un mouchoir ou même un fruit ! Enfin, des couleurs voyantes ou contrastantes avec le reste du costume ainsi que des décorations finissaient d’attirer le regard sur le sexe masculin. Là encore, l’idée est qu’en soulignant le sexe de l’homme, on met en avant sa virilité, et par-là sa puissance sociale, politique ou militaire.

Se moquer de l’impuissance
L’exemple contraire existe aussi. Pour se moquer du manque de virilité d’un individu, ce dernier peut être affublé d’un phallus cette fois-ci faux et donc risible. Parmi les hommes qui manquent de virilité, se trouve évidemment Joseph, l’époux de Marie, une vierge qui le restera malgré son mariage. L’homme saint est pour cette raison la cible des moqueries, dont les marques envahissent l’art médiéval.

Il est d’abord régulièrement moqué, lors de son mariage, par les prétendants qui auraient voulu épouser la belle et jeune Marie : les soupirants éconduits lui adressent des gestes obscènes, à l’exemple de la fica, une insulte qui consiste, en refermant les doigts sur la paume de la main, à mimer le sexe d’une femme. Mais ce n’est pas tout. Chez le Maître de Memphis par exemple, saint Jean-Baptiste enfant place sa fine croix en bambou de sorte que l’objet rappelle visuellement le sexe en érection que le vieil homme n’a pas ! L’idée étant bien entendu de souligner l’impuissance d’un homme, considéré comme cocu.

Que ce soit pour valoriser un homme ou pour le dénigrer, le sexe tient une place de choix dans les images, ce qui en dit long sur les mentalités à la fin de l’époque médiévale. Malgré tout, la remarque peut s’étendre à notre époque : même si les modalités mises en œuvre sont bien différentes, le sexe exhibé demeure une arme politique des plus efficaces, qu’elle soit voulue ou contrainte, à l’avantage ou à la défaveur de la personne dénudée.

De telles images ne sont plus souhaitables actuellement, comme en témoignent les diverses réactions journalistiques et politiques qu’elles suscitent, que ce soit aux Etats-Unis ou en France, où la classe politique a unanimement condamné la diffusion de ces photos et vidéos. Mais que ces représentations sexuelles soient assumées ou non, elles ont en commun d’attirer le regard sur les attributs purement physiques de nos dirigeants et de les détourner d’autres questions politiques plus essentielles.

Marie Piccoli-Wentzo
illustration : Maître de Memphis, Nativité avec saint Jean-Baptiste enfant, v.1500-1510. Détrempe et huile sur panneau, diamètre : 112 cm. Wood Prince Collection
Pour aller plus loin :

Tobias Boestad, Nicolas Garnier, « Introduction », dans L’insulte et l’injure, Revue de Questes, no 41, 2019.

Maurice Brock, Bronzino, Paris, Éditions du Regard, 2002.

Colette Gouvion, Khadiga Aglan, Braguettes. Une histoire du vêtement et des mœurs, Rodez, Éditions du Rouergue, 2010.

Marie Viallon, Paraître et se vêtir au XVIe siècle (actes du XIIIe Colloque du Puy-en-Velay), Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2006.
Source : Liberation.fr