«EO», chez Jerzy Skolimoswski, l’homme n’est plus le centre du monde

Dimanche 4 décembre à 19h 30  / Madiana

— Par Siegfried Forster —

À 84 ans, Jerzy Skolimowski nous amène sur une autre planète. Né en 1938 à Lodz, cette grande figure du nouveau cinéma polonais vient de très loin. Fils d’un résistant polonais mort au camp de concentration de Flossenbürg, Jerzy aidera sa mère pendant la Seconde Guerre mondiale à cacher des tracts sous son lit… Après la guerre, sa mère travaille comme attachée culturelle à Prague où Jerzy sera un camarade de classe de Vaclav Havel.

Son nouveau film EO, distingué par le prix du Jury au dernier Festival de Cannes, démarre comme une histoire d’amour entre Kasandra et son âne. Mais à la fin de la séance surgit l’amour pour un cinéma capable de nous donner accès à un autre monde, à un monde moins anthropocentrique – à travers des images nouvelles et des hors cadres surprenants, des bruits inattendus et des sans voix subitement audibles, sans oublier les soubresauts de l’âme d’un âne aussi tangibles que le bleu du ciel.

Une odyssée cinématographique

Quand l’histoire d’EO commence, nous gardons encore l’illusion de regarder un film sur un âne. Kasandra, équilibriste dans un petit cirque animalier, aime Hi-Han plus que tout. Leur numéro artistique plein d’osmose est l’un des points forts du Cirque Orion. Et même en dehors du spectacle, femme et âne semblent vivre ensemble avec une compréhension totale qui, naturellement, ne passe pas par les mots. Puis surgissent des manifestants considérant l’existence de cirques animaliers comme une maltraitance des animaux. Une nouvelle loi interdisant les spectacles d’animaux signifie la fermeture du cirque. Les « biens vivants » sont confisqués, Hi-Han est envoyé dans un haras loin de Kasandra. C’est le début d’une Odyssée, aussi bien pour l’âne que pour nous.

Car, précisément, à ce moment du départ forcé, un constat énorme s’impose à nous : la caméra ne se concentre plus sur les larmes de Kasandra, mais bascule sur la douleur de l’âne. Et un scintillement rouge vif et des lasers verts bousillent notre vision habituelle. Ce détournement visuel nous fait entrer en territoire inconnu.

Le gros plan qui nous plonge dans les yeux du baudet pousse notre regard à franchir la porte vers un autre univers, plus conditionné par les préoccupations humaines. Pendant une heure et demie, entre des fermes et des haras, entre des routes et des ruisseaux, entre des forêts et des montagnes, entre la Pologne et l’Italie, nous vivons sur grand écran les expériences et les perceptions de l’âne. Au rythme des pas d’un âne, nous pénétrons dans un Nouveau Monde, parfois accompagné d’une musique grandiose, de Beethoven à Pawel Mykietyn, souvent en écoutant simplement le concert de la nature.

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