Du théâtre avant toute chose!

— par Roland Sabra —

 

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 Au CMAC les 16 et 17 novembre 2011

  « Le théâtre populaire engagé, orienté, dirigé, dicté par les représentants de l’Etat, par les politiciens, n’est pas un théâtre populaire, mais un théâtre concentrationnaire, impopulaire. Le théâtre populaire, c’est le théâtre d’imagination, le véritable théâtre libre. Les idéologues de la politique ont voulu faire main basse sur le théâtre et l’utiliser à leur profit comme un instrument. Mais l’art n’est pas ou ne doit pas être l’affaire de l’Etat. C’est un péché contre l’esprit que d’entraver la spontanéité créatrice. L’Etat n’est qu’une superstructure artificielle de la société. L’Etat n’est pas la société, mais les hommes politiques veulent utiliser, contrôler la création dramatique pour leur propagande. Le théâtre peut en effet être un des instruments rêvés de toute propagande, de ce que l’on appelle  » éducation politique « , c’est-à-dire de détournements et de bourrage de crâne. Les hommes politiques ne doivent être que les serviteurs de l’art et de l’art dramatique tout particulièrement. Ils ne doivent pas en être les dirigeants, et surtout pas les censeurs. Tout leur travail doit consister à permettre le libre développement de l’art et de l’art dramatique tout spécialement. Mais l’imagination leur fait peur. » Eugène ionesco dans un Message pour la Journée Mondiale du Théâtre le 27 mars 1976
A cette déclaration d’intention, ce positionnement très clair sur le théâtre politique on opposera Ionesco lui-même, ou plus exactement une de ses pièces les plus célèbres « Rhinocéros » et pour être encore plus précis la lecture qu’en a fait Emmanuel Demarcy-Mota dans sa mise en scène cette année au Théâtre de la Ville. Il s’agissait là ni plus ni moins d’ un pamphlet politique contre l’obscurantisme sarkozyste ! Comme quoi une œuvre publiée n’appartient plus totalement à son auteur. C’est toujours cette thématique d’une insuffisance de la politique à répondre aux seules questions qui vaillent : « que sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous »1 qui traverse l’oeuvre de Ionesco et que l’on retrouve donc dans «Le solitaire » présenté les 16 et 17 novembre 2011 dans la salle Frantz Fanon du CMAC. La pièce est un montage de textes issus du seul roman de Ionesco et qui porte donc le même nom que la pièce mise en scène par Jean-Louis Martinelli. A trente cinq ans le personnage, sans nom, –mais est-ce vraiment utile?– hérite de suffisamment d’argent d’un oncle d’Amérique pour ne plus avoir à travailler, il achète un appartement, se partage entre beaujolais, femme de ménage et soliloque philosophico-métaphysique gravitant autour des trois questions précitées et auxquelles il n’y a bien sûr pas de réponses.
François Marthouret est excellent comédien, il nous donne une leçon de diction remarquable et son talent sur scène illumine la salle, le travail des lumières de Jean-MarSkatchko est superbe, la mise en scène millimétrée. Le parti pris retenu est celui de montrer que l’on peut philosopher dans des situations les plus improbables, que cet exercice ne requiert aucune condition particulière,. On peut donc philosopher au lit, en caleçon, en tournant en rond autour du lit de sa chambre, et n’importe quelle situation de la vie ordinaire est sujette à interrogation, le verre de vin, le repas, la fenêtre sur cour, la vue plongeant sur la place du village. il en est de même dans les situations extraordinaires, comme une guerre civile flirtant plus ou moins avec la bouffonnerie, et l’âge ne fait rien à l’affaire. Tel Obélix on ne se remet pas d’être tombé, enfant, dans le chaudron métaphysique… Le propos est intemporel, ce qui est souvent la marque des « grands » textes. Il résonne avec l’actualité d’aujourd’hui.
D’où vient alors ce sentiment d’ennui, cette tendance de l’attention à décrocher ? La première difficulté tient à l’adaptation d’un roman au théâtre, on ne dira jamais assez qu’il s’agit là d’une gageure rarement relevée avec succès, et ce d’autant plus que cette adaptation se résume à un montage de textes. La deuxième difficulté tient au texte lui-même qui aussi beau soit-il, penche par moment du côté de la dissertation philosophique quelque peu pontifiante. Le questionnement métaphysique, les envolées vers l’imaginaire, semblent par moment un peu vides de contenu, un peu superficielles. Comme l’écrit Ionesco lui-même « On ne doit pas philosopher quand on n’est pas un grand philosophe ». Par moment on se dit : Diable, que ne s’est-il appliqué à lui-même cette forte maxime ! « Le solitaire » est empreint d’une grande nostalgie, celle d’une enfance illuminée mais à jamais perdue et à laquelle le personnage ne renonce pas, s’éloignant du monde de ses congénères, préférant le confort du rêve à la dure matérialité d’une réalité récusée d’office comme porteuse de mensonges et de dissimulation.
Peut-être aurait-il fallu, Ionesco pour Ionesco, nous en montrer un autre : plus théâtral peut-être.
1(Antidotes, Gallimard 1977)
Fort-de-France le 16/11/2011