Des dettes bien apurées

"Le faiseur" d’Honoré de Balzac

—Par Jean-Pierre Léonardini—
le_faiseurEmmanuel Demarcy-Mota, directeur du Théâtre 
de la Ville, s’empare de la pièce d’Honoré de Balzac, 
le Faiseur, créée au Gymnase le 23 août 1851, soit 
un an après la mort de l’auteur à Paris, rue Fortunée ! (1). Le héros de la fable, que Barthes qualifia d’« œuvre limite » du romancier par excellence, c’est Mercadet, homme couvert de dettes et qui jouit de l’être, sorcier du capitalisme naissant qui retombe toujours sur ses pattes en inventant à la volée des opérations financières qui tiennent du tour de passe-passe et de la poudre aux yeux, en une suite effrénée de péripéties drolatiques et amères à la fois, pour le plus grand désespoir et l’accommodement final de comparses 
(sa femme, sa fille à marier, plus un entourage de filous divers) lorsque l’argent vrai tombe du ciel en la personne d’un gendre putatif qui se révèle plein aux as.

Pour signifier l’état de permanent déséquilibre de Mercadet et de son monde de naïfs et d’aigrefins conjugués, Yves Collet a dû concevoir un ingénieux plateau mobile en pente qui contraint les figures en jeu à des efforts de grimpette et de retombées successives. Les costumes (Corinne Baudelot), résolument d’aujourd’hui, nous renvoient au monde où nous sommes ; de la créance individuelle et planétaire et 
de la perpétuelle menace de la contrainte par corps. Cela se ponctue de la chanson Money entonnée en chœur. C’est joué avec une sorte de joie mauvaise bénéfique, dans un climat de vitesse nerveuse au rythme des cours de la Bourse. La machine textuelle de Balzac est au fond moliéresque, jusque dans la chute, et déjà moderne par l’abstraction financière qu’elle semble anticiper. Serge Maggiani dessine en finesse et rouerie un Mercadet à s’en lécher les doigts de gourmandise. Bel et bon entourage de personnages traités en relief : Valérie Daswood, Sandra Faure, Céline Carrère, Gaëlle Guillou, Sarah Karbasnikoff, Philippe Demarle, Gérard Maillet, Pascal Vuillemot, Stéphane Krähenbühl, Joris Casanova, Walter N’Guyen 
et Charles-Roger Bour. Balzac, sa vie durant criblé 
de dettes, trouve là son compte à titre posthume.

Jean-Louis Martinelli, familier de l’Afrique, 
et singulièrement du Burkina Faso, présente Une nuit à la présidence, pièce qu’il a écrite et mise en scène 
à partir d’improvisations des comédiens (2). Sous la forme du cabaret satirique, on assiste à la soirée d’exception où le président (Moussa Sanou), flanqué de la première dame (Blandine Yameogo), de la ministre de la Culture (Odile Sankara), en présence d’un représentant de l’ex-Françafrique (Nicolas Pirson), autorise un peuple de musiciens chanteurs (musique de Ray Léma) à pénétrer dans sa demeure. Aux magouilles politico-financières de l’homme au pouvoir vont s’opposer les revendications de justice sociale émises par les artistes… Propos clair, net, sans bavures. On peut penser qu’il trouve sa pleine validité sur place, dans maints pays d’Afrique. C’est interprété en un mélange d’apparente ingénuité et de malice certaine, par des gens qui savent de quoi il retourne. Gilles Taschet signe une scénographie dont l’élégance est soulignée par 
la mise en lumière de Jean-Marc Skatchko. On lit dans 
le programme un extrait du fort discours prononcé 
en juillet 1987 par Thomas Sankara à Addis-Abeba. 
Il proposait un « front uni contre la dette ». Décidément 
on n’en sort pas. Trois mois après, il était assassiné.

(1) Théâtre des Abbesses, jusqu’au 12 avril. Belle Bible autour 
du spectacle, avec textes de Baudelaire, Barthes, François Regnault, entre autres…

(2) Aux Amandiers de Nanterre, jusqu’au 30 mars.

http://www.humanite.fr/culture/des-dettes-bien-apurees-561603

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Un spectaculaire Faiseur ! Un opéra burlesque et grinçant. Une variation brillante et drôle sur la dette et les dérives de la finance. Philippe Chevilley, Les Echos

Quelle bonne surprise que ce Faiseur de Balzac par Emmanuel Demarcy-Mota ! Du bonheur ! Stéphane Capron, sceneweb

Emmanuel Demarcy-Mota travaille ici avec sa troupe d’excellence. Il tire le drame vers une comédie musicale à couplets. Ici, on chante en chœur et en anglais, on danse. Balzac est à Broadway mais n’a rien perdu de sa férocité et de son ironie ravageuse. A voir d’urgence ! Armelle Héliot, Le Figaro 24 mars

C’est joué avec une sorte de joie mauvaise bénéfique, dans un climat de vitesse nerveuse au rythme des cours de la Bourse. (…) Serge Maggiani dessine en finesse et rouene un Mercadet à s’en lécher les doigts de gourmandise. Jean-Pierre Léonardini, L’Humanité, 24 mars

On connaît le Balzac romancier mais on vérifie que les génies transforment tout ce qu’ils touchent en or, à l’image de ce « faiseur » qui est une pépite. Serge Maggiani qui irradie la pièce dans le rôle de Mercadet, qui s’illusionne lui-même en marchand d’illusion. Jack Dion, Marianne 2,  23 mars

Ce génie de la littérature prouve encore une fois, avec cette pièce formidable, que sa vision de la société, hallucinante de clairvoyance, va de pair avec un sens des dialogues et de la formule qui font mouche du début à la fin.(…) Une distribution épatante, pétillante de fantaisie et pleinement engagée. Les lumières et la scénographie d’Yves Collet ainsi que la musique de Jefferson Lembeye participent à la réussite de ce spectacle réjouissant, démoniaque et terriblement contemporain ! Hélène Kuttner, Pariscope.fr

La pièce mérite une belle vie posthume. Le Faiseur dresse un tableau de la folie financière comme seul pouvait le peindre un observateur du monde de l’argent. Gilles Costaz, Le Point.fr, 22 mars