Le spectacle vivant doit-il abandonner Avignon ?

Tribune par Greg Germain

off-2014Le OFF doit-il peser de tout son poids, émigrer, avec les 110 millions de retombées économiques qu’il génère chaque année sur la ville et la région ? Ce serait me semble-t-il sous-estimer la force des festivals qui habitent cette ville. Souvenons-nous : l’un est né de Jean Vilar et de René Char. L’autre, le OFF, 20 ans plus tard, du simple geste de contestation et de liberté d’un jeune auteur, André Benedetto. C’est dire si la résistance est inscrite dans les gènes de l’association qui le pilote et dont j’ai l’honneur d’être le président.
Lorsqu’un parti combat ou simplement dédaigne la culture (qui a jamais entendu ce « Rassemblement » se prononcer sur les enjeux de la culture), une seule attitude nous est possible : avancer fermement vers ceux-là mêmes qui nous inquiètent et les convaincre, un par un, de l’importance et du bien-fondé de nos valeurs. Osons l’affirmer : si nous avons la conviction que les forces de l’esprit doivent triompher, alors nous, artistes, devons nous engager à assumer, résolument, le défi que nous poserait l’arrivée du Front National à la Mairie d’Avignon. Je dirai davantage : ce défi, les forces de la culture doivent l’assumer ensemble, et sur l’ensemble du territoire français. Devrions-nous, avec l’emblématique Cité Papale, abandonner Hénin-Beaumont, Perpignan, Béziers, Fréjus, Saint-Gilles ? Puis, pourquoi pas, ville par ville, les quartiers mal-votants ? Sans doute serait-il plus agréable de rester entre nous. De nous laver les mains des passions complexes qui traversent les peuples, d’éviter la vaste question de l’indifférence de la plupart de nos populations pour le fait culturel, produit de haute nécessité. Nous ne le pouvons pas ! Nous devons accepter de nous coltiner au monde, à ses difficultés, à ses contradictions.
Le OFF est le lieu des brassages : brassage des cultures, brassage des genres, brassage des niveaux de professionnalisation, brassage des formes dites populaires et dites savantes, du divertissement et de l’expérimentation. Le OFF rassemble les imaginaires de toutes les régions de France, celles d’ici comme celles des grands larges, et l’année dernière, ceux des 111 compagnies étrangères représentants 25 pays venus de tous les continents.
Le monde, les mondes, parlent dans le OFF. Souvent bien, parfois mal, et dans une non-hiérarchisation qui nous a souvent été reprochée. Mais c’est ainsi, sans façon, que le monde parle ! C’est pourquoi nous affirmons depuis des années que cette non-hiérarchisation n’est pas une faiblesse mais un atout : elle est le reflet du pays réel, non de ce pays de l’entre-soi, rêvé par certains. Cette absence de hiérarchie entre les cultures, les genres, les niveaux de professionnalisation, cette cohabitation de personnes différentes, d’artistes et de publics aux intérêts divergents, nous avons le devoir, aujourd’hui plus que jamais, de la préserver, de la mettre en dialogue. Alors peut-être aurons-nous une chance de faire émerger une réelle culture populaire, la plus « miraculeuse des armes » contre l’enfermement. J’ai la faiblesse de penser que ce qui vaut pour le OFF vaut pour la société : nous devons partout recréer les conditions du dialogue, sans tricher avec la réalité ou la juger trop basse pour mériter notre intérêt. La résistance à toute forme d’oppression est un droit naturel et aujourd’hui, plus que jamais, il est urgent de le crier. Bien sûr, comme d’autres, moi aussi je crains, si nous étions confrontés à cette terrible réalité que les centaines de milliers de spectateurs, les milliers d’intermittents, artistes et techniciens, les professionnels de la presse et de la diffusion qui sillonnent les rues d’Avignon au mois de juillet hésitent ou refusent de venir dans une ville dans laquelle ils ne se sentiraient pas bienvenus, mais je veux surtout croire que nos compatriotes avignonnais donneront avec fierté leurs voix aux forces de l’ouverture et de l’espérance plutôt qu’à celles du repli sur soi, indigne des valeurs de notre pays.
Et nous, artistes, ne renonçons pas. Prenons aux Affaires Publiques notre pleine part d’artistes : aidons chacun à prendre confiance en lui comme en l’autre, incitons-le à mêler, à sa mesure, sa voix personnelle aux voix du monde. Donnons raison à Edouard Glissant, qui nous l’assure : « la poésie est le plus haut degré de la politique ».