De la responsabilité des militants et militantes qui appellent le Peuple à lutter pour l’indépendance

— Contribution du CNCP —

Que de chemin parcouru depuis le début des années 70 où ceux qui appelaient notre peuple à se battre pour l’indépendance ne constituaient qu’une infime minorité. Diabolisés par l’ensemble d’une classe politique, gauche et droite confondues, ils étaient présentés au peuple comme des irresponsables qui, en prônant la rupture avec la « mère patrie » coloniale, lui feraient perdre les allocations et les retraites et le jetteraient dans « une misère pire qu’en Haïti ». Après un demi-siècle de luttes pendant lequel les militants de différentes organisations ont été confrontés à la répression policière et judiciaire, aux sacrifices et aux trahisons, nous vivons un moment où les conditions objectives et subjectives se réunissent pour rendre possible la libération nationale.

D’abord, tout au long des dernières décennies, l’évolution de la situation économique et sociale de notre pays a pu révéler à l’ensemble du Peuple Martiniquais la validité des arguments développés par les anticolonialistes conséquents.

Pour perpétuer la domination qu’il exerce sur l’économie du pays, en partenariat avec la caste béké, le pouvoir colonial s’est acharné à combattre tout ce qui pourrait constituer l’ossature d’une économie endogène et autocentrée. Aux obstacles structurels propres aux petites entreprises martiniquaises que constituent une législation et une fiscalité inadaptées, sont venus s’ajouter l’incitation et le soutien à l’installation de petites entreprises venant de France et des pratiques maffieuses visant à entraver l’action des coopératives et des entreprises martiniquaises. Le cas de la SO.COP.MA. et de Jet Aviation Service sont significatifs à cet égard*1.

Parallèlement, notre peuple a subi les conséquences de la montée en agressivité des politiques ultralibérales mises en œuvre dans l’ensemble du monde occidental, politiques qui se traduisent principalement par la destruction des services publics et la suppression des droits à la protection sociale qu’avaient conquis les travailleurs.

Petit à petit, se déconstruit le mythe de la « mère patrie » généreuse et indispensable à la survie de notre peuple.

Dans le même temps, le voile de désinformation et d’aliénation qui étouffait les consciences se déchirait de plus en plus. Deux facteurs y ont notablement concouru. D’abord, les sacrifices consentis par nos aînés, en particulier les plus démunis*2, pour que leurs enfants parviennent au plus haut niveau d’éducation possible ont permis l’émergence d’une large couche de compatriotes dotés d’un bagage intellectuel et de compétences solides. L’arrogance des cadres coloniaux, bénéficiant de privilèges exorbitants, qui sont imposés à la tête de toutes les administrations et entreprises, devient de plus en plus inacceptable.*2

D’autre part, la révolution qui a eu cours dans les technologies de la communication a eu pour conséquence la diffusion d’un flot d’informations alternatives (portées via les radios militantes et, ensuite, les réseaux sociaux), ainsi qu’un grand élargissement du public ayant accès à de nouvelles connaissances. Un bond spectaculaire du niveau de la conscience nationale s’en est suivi.

Le pouvoir colonial ne peut plus désinformer et censurer aussi aisément qu’auparavant.

Toute cette dynamique historique a donc conduit au recul de l’aliénation et a rendu possibles des avancées victorieuses dans plusieurs domaines  tels que la réhabilitation de la langue  créole et du Bèlè ou la revalorisation de l’image de soi*3. Tout cela confortait progressivement le sentiment identitaire de notre communauté qui se manifeste, par exemple, dans le rassemblement croissant autour du drapeau Rouge Vert Noir qui, en dépit de toutes les manœuvres menées pour l’empêcher, s’impose définitivement au plan national et international.

Aux facteurs propres à notre pays, viennent se joindre ceux liés à la situation internationale. 

La France se trouve actuellement dans une situation extrêmement problématique pour trois raisons principales :

1- avec l’ensemble de l’Union Européenne, elle s’est laissée piéger par les USA dans la guerre par procuration que ceux-ci mènent contre la Russie en Ukraine. Les conséquences de ce qui , en réalité, est l’amorce d’un conflit militaire généralisé, sont déjà désastreuses pour l’économie mondiale. La France les subit de plein fouet.

2- les divisions entre les pays de l’UE quant aux réponses à porter face à cette situation viennent aggraver le processus de délitement qui y avait déjà cours.

3- la France, chassée par les peuples africains, est en train de perdre son contrôle sur son « pré-carré » néocolonial.

De tout cela, il ressort que nous bénéficions aujourd’hui d’une opportunité exceptionnelle pour avancer dans la voie de la libération nationale, mais en même temps, que le pouvoir colonial n’hésitera pas à se livrer aux pires abus pour s’accrocher à ses dernières colonies dont notre pays fait partie*4.

C’est là que se pose la question de la responsabilité de ceux qui militent honnêtement pour l’indépendance nationale et la souveraineté de notre peuple.

Ceux-là savent que deux conditions sont absolument essentielles à la victoire de notre lutte de libération :

1- Le renforcement de l’unité au sein de notre peuple,

2- L’élaboration d’une stratégie intelligente et globale pour l’affrontement.

Posant la question de l’unité au sein de notre peuple et regardant la réalité en face, force est de constater que le fossé à combler est énorme.

– Au sein de la classe politique traditionnelle et de son électorat captif, les divisions sont profondes. Les contradictions ne concernent pas des différences de projets politiques*5. Ce qui prévaut, c’est la diabolisation entre adversaires qui se disputent la conquête de postes électifs et la fanatisation des partisans. Des partis sont ainsi ostracisés et des personnes haïes sur des bases purement subjectives, pendant que les questions politiques de fond sont totalement escamotées*6.

– A ces divisions, viennent s’ajouter, plus nuisibles encore à l’émancipation de notre peuple, d’une part, celles qui opposent partisans et adversaires de l’indépendance et, d’autre part, celles qui sévissent entre les différents groupes qui se réclament de l’option indépendantiste.

Qui ne comprend pas que, si une telle situation perdurait, notre peuple ne pourrait jamais s’émanciper et qu’aucune des difficultés auxquelles nous sommes confrontés ne saurait être surmontée ? Ceux qui ont sincèrement à cœur d’atteindre ces objectifs là savent que cela sera rigoureusement impossible, tant qu’une réflexion collective ne nous aura pas permis de dessiner une vision consensuelle de notre avenir commun et tant que nous n’aurons pas construit une solide unité.

Nous devons donc tout mettre en œuvre pour renforcer l’unité et la cohésion au sein de notre peuple. Comme nous l’avons indiqué plus haut, sans cela, il ne sera possible ni d’inverser le rapport de forces entre le pouvoir colonial et nous, ni d’envisager une stratégie efficace pour libérer notre pays. Une telle démarche requiert quatre conditions :

1- Prendre conscience de la nocivité des pratiques de divisions

Chacun devrait réaliser que les divisions sont le plus souvent une conséquence des manœuvres menées par le pouvoir colonial et ses partenaires qui n’ont cesse de « diviser pour régner » et qu’elles contribuent objectivement à renforcer les ennemis de notre peuple. Les militants qui , par exemple, se déchirent dans des cancans irresponsables sur les groupes whats’app peuvent-ils enfin comprendre qu’ils contribuent directement à informer les services de renseignement du pouvoir quant aux meilleurs moyens de dynamiter les organisations et les mobilisations. L’autre effet néfaste des divisions affichées est d’alimenter au sein de notre peuple les doutes et le manque de confiance en notre capacité de construire une meilleure Martinique après l’indépendance.

Tout dans le langage et la pratique des militants conséquents doit donc contribuer à lutter contre le fractionnement de notre société !

2- Dépasser les seules réactions émotionnelles pour penser des ripostes efficaces

La colère suscitée par les exactions du pouvoir colonial et les turpitudes de ses complices est tout à fait légitime. Souvent, hélas, elle pousse à des réactions spontanées, mal préparées, individuelles, minoritaires, non comprises par les masses populaires : c’est une aubaine pour l’ennemi qui trouve prétexte à de nouvelles provocations.

3- Résoudre les contradictions au sein du peuple par le débat serein

Le plus souvent, les divisions qui déchirent le mouvement populaire sont aussi superficielles que dévastatrices. Elles pourraient être surmontées si chacun prenait conscience de la puissance de l’ennemi à combattre, si chacun réalisait l’inanité des querelles de vocabulaire, l’importance de la complémentarité de l’apport des uns et des autres, des valeurs communes animant tous ceux et toutes celles qui militent sincèrement pour la libération de notre pays et l’émancipation de notre peuple. Ceux-là comprendront l’urgence d’impulser entre eux un débat serein sur la base du respect mutuel.

4- Se défaire des tares idéologiques inculquées par les colonialistes occidentaux

Ces dernières décennies, la propagande du système s’est attelée à transformer les militants du mouvement populaire en « citoyens » individualistes, rebelles à l’organisation, méfiants à l’égard de toute formation théorique et politique. Résultat : de nombreux militants, même sincères, restent conditionnés par la pensée occidentale dominante et se retrouvent ainsi désarmés face aux manipulations du pouvoir colonial, de faux prophètes et de néo-gourous.

Depuis toujours, le système s’est donné les moyens de formater l’élite intellectuelle pour qu’elle le perpétue en reproduisant ses modèles. Beaucoup de ceux qui en font partie, s’enorgueillissant des diplômes décernés par l’université de l’autre, considèrent qu’il leur appartient exclusivement de dicter au peuple les voies à suivre. Ainsi voit-on graviter autour du mouvement populaire une aristocratie de militants qui « savent tout », qui « ont réponse à tout »…sauf quant aux moyens concrets d’organiser le peuple pour que celui-ci prenne effectivement le pouvoir et qu’il s’émancipe. Ce sont ceux, qu’à l’époque, on qualifiait de « révolutionnaires de salon ».

L’unité de notre peuple et notre combat pour la libération nationale feront un bond spectaculaire dès lors que chaque militant et chaque militante aura à cœur de reconquérir sa liberté de penser, de se défaire des travers infusés par l’idéologie bourgeoise occidentale, de se former théoriquement et politiquement, d’abandonner les posture de donneur de leçons pour , plutôt, faire fructifier l’intelligence collective.

*

Le cadre général étant tracé, il nous paraît important et urgent d’ouvrir un débat, respectueux mais sans langue de bois, sur les principales questions théoriques et politiques qui, selon nous, alimentent de regrettables divisions entre les partisans de la cause nationale. Nous en avons relevé sept.

1- La prise en compte de notre héritage africain

Commençons par saluer le travail des militants qui permet, enfin, que notre peuple découvre l’importance de l’apport des Peuples Africains à l’humanité. Leur action a valablement balayé l’aliénation que les colonialistes occidentaux étaient parvenus à ancrer dans tous les esprits à coup de mensonges abominables, de manipulation de l’histoire et d’infériorisation raciste des Noirs. C’est une excellente chose! Avec ces militants là, il est indispensable de chercher toutes les convergences possibles. Rappelons aussi que le Panafricanisme a été et est encore un formidable vecteur de l’émancipation des Peuples du continent et qu’Il enseigne à l’humanité que « Tout moun sé moun , menm si tout moun pa menn ».

Ceci dit, nous ne devons pas ignorer le fait que tout courant de pensée s’accompagne de dérives. En l’occurrence, le salutaire retour à la « spiritualité africaine » a pu conduire certains à escamoter la question des contradictions de classe et la nécessité de s’attaquer au système capitaliste. Paradoxalement, ils reproduisent les pratiques de l’Occident qu’ils disent combattre en s’autoproclamant directeurs de conscience, détenteurs de compétences et officiants de rites qu’ils pensent devoir imposer aux « non-initiés ».

2- La prise en compte des élections

L’histoire de toutes les luttes de libération nationale de par le monde est là pour nous l’enseigner :

aucun front de lutte n’est à exclure. Il appartient aux organisations révolutionnaires les plus conséquentes de déterminer celui qu’il faut privilégier ou l’équilibre à établir entre les différents fronts, ceci en fonction de la réalité du terrain et du rapport de force.

L’histoire nous enseigne aussi que les différents partis politiques s’investissent ou pas sur les différents fronts de lutte en fonction de leur vision idéologique et de leurs intérêts de classe. L’expérience des mouvements révolutionnaires a suffisamment montré la nécessité de combattre tant les illusions électoralistes que le gauchisme anti-électoral.

Pour ce qui concerne notre pays, nous constatons que la thèse prétendant que « tous les élus sont des pourris qui courent derrière des mandats » et qu’ils sont « totalement inutiles à la lutte de notre peuple » est profondément erronée ! Ce positionnement a pour conséquence de masquer les luttes de lignes qui opposent les différents partis politiques, discrédite injustement les anticolonialistes qui ne font de l’intervention sur le front des élections qu’un élément de leur stratégie, ajoute de nouveaux obstacles à la construction de la cohésion nationale, ne prend pas en compte les motivations propres à chaque être humain et enfin, alimente l’autodénigrement que les colonialistes ont inculqué comme religion.

3- La question des formes que peut prendre la lutte

«Je suis d’accord avec le fond mais je désapprouve la forme ! » Qui n’a pas entendu ce refrain chanté par les bonnes conscience après que les jeunes militants eurent renversé les insultantes statues coloniales qui trônaient dans les places publiques ? Dans les processus de libération nationale, mais plus généralement dans toutes les dynamiques de transformation historique, les formes de lutte ne se sont jamais cantonnées aux civilités de salon. Dans un contexte où cohabitent les violences d’état, la dégradation des conditions sociales, la détresse des défavorisés et des victimes d’injustice, l’absence de perspectives politiques claires, la révolte et les résistances peuvent s’exprimer sous toutes les formes possibles. Les mouvements populaires n’ont que faire du jugement des défenseurs du système. Le «respect des lois de la République» coloniale ne saurait être un cadre nous limitant. Ce qui doit nous préoccuper, c’est que le mouvement populaire se dote d’une stratégie bien pensée.

4- Le rôle des syndicats dans la lutte contre le colonialisme

Au rejet indifférencié de tous « les politiques » par l’opinion publique, est venu s’ajouter plus récemment la dénonciation de tous « les syndicats ». Il faut dire que c’est là aussi le résultat d’une campagne massive menée, depuis les années 80, par le gouvernement français et le patronat pour discréditer le syndicalisme. Le plus tragique, c’est que certains militants martiniquais (oubliant les immenses sacrifices faits par les syndicalistes, tout au long de notre histoire, et les importantes avancées que leur lutte a rendues possible), ont commencé à faire écho à ces thèses nuisibles au renforcement de l’unité de notre peuple.

Ce qu’il convient de combattre, ce sont les divisions mortifères opposant certains dirigeants syndicaux qui défendent des intérêts de chapelle au détriment de la nécessaire unité des travailleurs, ce sont, aussi, les conceptions corporatistes développées par certaines organisations syndicales (celles qui appellent à déconnecter la lutte pour les intérêts immédiats du combat politique et notamment des objectifs de libération nationale). Mais, ce serait une grave faute politique, un grand cadeau au pouvoir colonial et à la caste dominante, que de priver notre peuple de la force des organisations syndicales.

5- Les formes que peut prendre l’unité sur le terrain

La seule unité qui vaille, c’est celle qui permet aux militants de travailler ensemble sur le terrain, dans le respect mutuel et autour d’objectifs clairs. L’unité ne consiste pas à afficher au bas de déclarations ou de communiqués de longues listes de signatures d’organisations qui se déchirent dans le quotidien ou dont le travail sur le terrain et la représentativité sont plus que problématiques. L’expérience a montré que le travail commun s’en trouve souvent entravé.

Il reste que la convergence d’action entre les différentes organisations du mouvement populaire qui militent effectivement sur le terrain est absolument indispensable. L’important, selon nous, est que chacune des organisations fasse le plus efficacement possible sa part de travail sur le front qu’elle a choisi d’investir. C’est aussi que chacune d’elles soutienne sincèrement les initiatives positives prises par les autres et y participe, quand cela lui est possible. C’est enfin, lorsque des actions communes sont envisagées, que les partenaires s’engagent de façon conséquente et respectent scrupuleusement les décisions communes.

6- La jonction entre les militants d’hier et d’aujourd’hui

Nous pouvons affirmer que tous les anciens militants et militantes indépendantistes ont été baignés de fierté et de confiance en l’avenir quand les jeunes militants ont fait irruption sur la scène politique à la fin des années 2010. La nature de leurs actions traduisait un bond qualitatif dans notre lutte de libération nationale. Jugez-en : libération d’une plage illégalement privatisée, campagne pour extirper le drapeau esclavagiste des commerces, mobilisation devant les centres commerciaux pour exiger la condamnation des empoisonneurs, déchoukaj de statues glorifiant la domination coloniale !

Le pouvoir colonial a bien compris le danger que cette nouvelle donne présentait pour lui et sa réaction a été barbare. Cette situation nous impose de faire bloc pour accompagner cette jeunesse militante. Militants d’hier et d’aujourd’hui doivent absolument se serrer les coudes pour affronter cette nouvelle période que nous abordons : celle d’une lutte frontale avec le pouvoir colonial. Les uns ont tout à apprendre des autres. Par exemple, ceux d’hier doivent transmettre les connaissances théorique qu’ils ont pu engranger pendant leur parcours militant et, surtout, leur expérience en matière de lutte contre la répression. Ceux d’aujourd’hui doivent partager leur expertise, en particulier dans le domaine des communications. Il est urgent de penser les espaces et les formes qui permettront de tels échanges.

7- La validité de l’option indépendantiste

Beaucoup l’ont déjà fait remarquer : depuis près d’une décennie, le débat sur la question de l’indépendance n’occupe plus le devant de la scène. D’un côté, les anti-indépendantistes, pour la plus part, ont atténué leur discours de diabolisation, conscients qu’ils étaient de la montée du sentiment identitaire au sein de notre peuple. En face, la propagande appelant à la confrontation avec le pouvoir colonial a été brouillée  du fait que le courant qui se présentait comme le porte-drapeaux de l’indépendantisme (Gran Sanblé), une fois arrivé « aux affaires » a cantonné ses objectifs à l’obtention de compétences supplémentaires pour la CTM (Collectivité Territoriale de Martinique).

Dans le même temps, beaucoup de ceux qui sont entrés en militantisme ces dernières années, n’ont pas été impliqués dans le débat sur l’indépendance et ont une autre approche de « l’activisme » antisystème.

On ne peut plus, comme certains le font, se contenter de dénoncer les anti-indépendantistes et de montrer leurs travers ou de condamner « l’inconséquence » du peuple. Cela n’aurait pour conséquence que freiner la nécessaire dynamique de cohésion nationale.

Aujourd’hui, il relève de la responsabilité des militants et militantes qui appellent notre peuple à se battre pour la libération nationale de faire prendre conscience à tous que la question de l’indépendance n’est plus simplement une question théorique ou de principe. La poser aujourd’hui est une exigence pratique. La guerre en Ukraine n’a-t-elle pas suffisamment révélé le caractère dévastateur des dépendances même pour les pays dits développés. Pour notre peuple, la conquête de l’indépendance devient plus urgente encore au vu des intentions génocidaires du pouvoir colonial français.

Il est essentiel d’intensifier la lutte pour déconstruire les idées fausses inculquées par les colonialistes. Par exemple, en vulgarisant massivement les éléments permettant de comprendre la situation en Haïti, de découvrir les avancées positives faites par les pays caribéens indépendants, de mettre en lumière les dangers liés au choix des monocultures vouées à l’exportation avec comme conséquence la dépendance alimentaire , dans un contexte de crise économique mondiale et de menaces de guerre généralisée.

Il est aussi essentiel de débattre des questions légitimes et brûlantes que pose la perspective d’une accession à la souveraineté :

– Quelles institutions substituera-t-on au pouvoir colonial ? (On connaît l’échec du « copier coller » appliqué dans les néo-colonies d’Afrique).

– Comment assurera-t-on l’égalité dans la répartition des richesses ?

– Comment gérera-t-on concrètement les contradictions au sein du peuple ? –

– Sur quel type de police et de justice s’appuiera-t-on pour régler les problèmes de délinquance ou d’incivilité ?

L’objectif de tels échanges est de faire réaliser à notre Peuple que c’est ainsi qu’il deviendra acteur de son destin, qu’il jettera les bases d’une démocratie directe et qu’il se donnera les moyens d’exercer concrètement sa souveraineté.

Nous croyons en la supériorité de l’intelligence collective. La convergence des éclairages positifs que chacun portera permettra à coup sur un bond spectaculaire dans la construction du nécessaire consensus*7 et l’élaboration d’une stratégie conquérante.

Bien entendu, il est hors de question de se bercer d’illusions en croyant que, contradictions aiguës et divisions cesseront d’exister. Toutes les luttes de libération menées de par le monde ont toujours été agitées par la lutte des classes. Ceux qui sentent leurs intérêts menacés par la dynamique populaire y font obstacle et parfois collaborent avec l’ennemi. On ne peut, non plus, faire fi de la « nature humaine ». Les débats d’idées, pas plus que la pédagogie, ne peuvent faire disparaître magiquement les égos et les égoïsmes, les conflits de génération et les aliénations. Mais nous avons foi en la capacité de la majorité de notre peuple, dont les intérêts sont communs, à s’unir pour préparer une vie meilleure dans notre pays libéré.

En tout cas, la pratique et les actions concrètes menées pour consolider l’unité au sein du peuple, pour développer un débat constructif et pour contrer le pouvoir colonial, resteront toujours la ligne de démarcation permettant de répondre aux questions « qui est qui ? » et « à quel camp appartient-on ? »

Quant à nous, nous nous réjouissons des avancées substantielles permises par l’engagement des militants culturels, anticolonialistes, écologistes, panafricanistes, des mouvements caritatifs, des jeunes rebelles. De quelque bord qu’ils soient, organisés ou pas, ils ont contribué et contribuent encore à la lutte que mène notre Peuple pour son émancipation.

A tous ceux et toutes celles qui, conscients et conscientes des enjeux, prêts à se remettre en cause sincèrement, déterminés à porter leur contribution à notre lutte pour l’émancipation nationale et sociale, nous lançons un appel fraternel :

« Faisons converger nos efforts grâce à la bienveillance et à des échanges sereins basés sur le respect mutuel. La victoire de notre peuple est à ce prix ».

Pour le CNCP

Le Président, Jean ABAUL, 19 novembre 2022

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Pour mieux appréhender la situation de notre pays, consulter le texte « Présence coloniale de la France en Martinique » sur le site www.jikanbouttv.com. Le « syndrome de Lynch » y est également présenté dans la rubrique « Réflexion ».

*1 L’offensive massive faite actuellement pour interdire à notre peuple la libre utilisation de ses plantes médicinales est particulièrement révélatrice.

*2 A cet égard, nous nous devons de rendre hommage à nos aînés et nous déplorons l’injustice qui leur est faite par ceux qui , incapables de comprendre leurs objectifs d’alors, attribuent leur choix à une volonté d’assimilation.

*3 Ce que nous avons analysé comme étant le « syndrome de Lynch » avait développé dans l’ensemble de la population une vision dégradé de soi, une propension à l’autodénigrement et la distorsion des liens sociaux.

*4 Autrement dit, nous ne devons absolument pas sous-estimer l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir. Notre responsabilité est aussi d’appeler au réalisme ceux qui n’ont pleinement conscience ni de la cruauté des impérialistes, ni des moyens et de la force dont disposent le pouvoir colonial et ses alliés pour s’opposer à la lutte de libération nationale.

*5 Pratiquement rien ne distingue les partis qui ne remettent pas en cause l’appartenance à la « République Française » et à l’Union Européenne : Outre qu’ils ont la même conception libérale de l’économie, ils croient possible de porter réponse aux problèmes de notre pays sans remettre en cause la domination des pays impérialistes sur le reste du monde et en s’appuyant sur les institutions que ceux-ci contrôlent.

*6 Contrairement à ce que prétendent les chantres de l’autodénigrement, cette réalité ne nous est pas propre ; elle est intrinsèque à tous les pays où règne la démocratie bourgeoise occidentale.

*7 Certains associent à tort le concept de « consensus » à la volonté de faire cohabiter des gens aux intérêts contradictoires. Cette vision est totalement erronée. Il s’agit au contraire, par un dialogue respectueux entre des gens dont les intérêts sont les mêmes, de mettre en commun leurs idées pour trouver une réponse qui les prennent toutes en compte. Cette pratique propre aux sociétés précoloniales, est largement plus valable que celle de la « démocratie » occidentale qui oppose majorité et minorité ou qui favorise les alliances contre nature et les fractures au sein du peuple.