Cyclone Mélissa : L’autonomie de la Guadeloupe en question ?

— Par Jean-Marie Nol —

L’ouragan Melissa, le plus puissant jamais enregistré en Jamaïque, a ravagé l’île avec des rafales atteignant 300 km/h . Face à ces “dévastations inimaginables”, causés par l’ouragan, tous les experts s’accordent à mettre en cause le changement climatique, et disent que la Guadeloupe ne sera certainement pas épargnée par ce genre de puissant phénomène météorologique. Alors , Quid de l’irresponsabilité des élus Guadeloupéens qui prônent une autonomie dans le cadre de l’article 74 dans un avenir menaçant et de surcroît dans le contexte d’une France en crise qui ne peut plus payer la note ?
La tentation d’une autonomie institutionnelle de la Guadeloupe, portée par certains élus locaux au nom d’un prétendu « sursaut identitaire » et d’une meilleure gouvernance locale , se révèle aujourd’hui d’une redoutable imprudence. Revendiquer une évolution statutaire dans le cadre de l’article 74 de la Constitution, au moment même où la France s’enlise dans une crise économique, politique et morale sans précédent, relève moins d’un acte de clairvoyance que d’une fuite en avant idéologique . Car jamais le contexte national n’a été aussi instable, jamais la défiance envers les institutions n’a été aussi profonde, et jamais les marges de manœuvre financières de l’État n’ont été aussi réduites. Dans un pays fracturé, désabusé et au bord d’une crise financière de la dette, penser qu’une Guadeloupe autonome pourrait tirer son épingle du jeu ,avec de nouvelles compétences élargies, relève du mirage politique.

La France, affaiblie par le double fardeau du déficit public et du déficit extérieur, s’expose à un risque de déclassement durable. Les taux d’intérêt élevés étranglent les finances publiques, la dette atteint des niveaux records, et les institutions sont fragilisées par la montée des populismes. Dans ce paysage chaotique, la poussée du Rassemblement national – désormais perçu comme une force de gouvernement par près de la moitié des électeurs – annonce un basculement politique dont les outre-mer pourraient faire les frais. À mesure que la France se replie sur elle-même et se polarise, son soutien financier et politique à ses territoires périphériques risque de s’amenuiser. Croire, dans un tel contexte, que l’État continuera à injecter des centaines de millions voire même des milliards d’euros dans les infrastructures et services guadeloupéens relève d’un pari hasardeux.

L’autonomie promise par certains élus se présente comme une illusion de maîtrise, mais cache une réalité économique implacable : la dépendance structurelle de la Guadeloupe à l’État et à ses transferts. Les chiffres sont sans appel : près de 830 millions d’euros ont été débloqués récemment par la « métropole » pour pallier les carences locales dans les domaines de l’eau, de l’agriculture ou du développement urbain. Si demain la Guadeloupe devait assumer seule ces charges, dans un cadre d’autonomie fiscale et budgétaire, le choc serait brutal. D’autant plus que la France elle-même, confrontée à une contraction de ses ressources financières et à des exigences européennes de rigueur, ne pourrait plus renouveler indéfiniment son aide. L’exemple de la Nouvelle-Calédonie, aujourd’hui en cessation de paiement malgré un statut autonome très avancé, doit servir d’avertissement : l’autonomie ne protège pas du naufrage financier, elle peut même l’accélérer.

Sur le plan économique, la Guadeloupe n’a ni la base productive, ni les ressources fiscales nécessaires pour affronter seule les défis du siècle. Les taxes locales, comme l’octroi de mer ou les droits sur les carburants, constituent encore l’ossature budgétaire des collectivités. Or ces mécanismes sont condamnés par les mutations globales : la transition vers les véhicules électriques réduira drastiquement les recettes sur l’essence, tandis que la pression de Bruxelles sur l’octroi de mer menace de priver l’archipel d’une source de revenus cruciale. En outre, les secteurs traditionnels – canne, banane, BTP – traversent une crise profonde, et l’avenir du tourisme semble fragile . La perspective d’une autonomie sans moteur économique solide reviendrait à lâcher les amarres sans gouvernail.

Les partisans du changement statutaire feignent d’ignorer que la Guadeloupe qui ne possède à ce jour aucune richesse , déjà en difficulté pour gérer l’eau, les déchets, les transports ou la santé, n’a pas les capacités administratives ni financières d’un semi – État local. Le déficit de 41 millions d’euros du SMGEAG, les tensions hospitalières, les déficits des collectivités et la dépendance aux aides nationales traduisent une fragilité structurelle. Dans un cadre autonome, ces problèmes seraient démultipliés. Qui financerait les retraites, la santé, les catastrophes naturelles ou les pertes d’assurance en cas de cyclone voire de séismes ? L’État, affaibli et tourné vers sa propre survie budgétaire, ne pourrait plus servir de bouclier. Et la Guadeloupe, livrée à elle-même, deviendrait une économie à risque, incapable de garantir ses filets sociaux et ses services essentiels.

À cela s’ajoutent les bouleversements mondiaux que la Guadeloupe devra affronter, qu’elle soit autonome ou non. Le changement climatique menace directement son existence : montée des eaux, intensification des cyclones de comme en Jamaïque , raréfaction de l’eau potable. Déjà, le déficit hydrique devient un péril majeur pour la stabilité sociale et la santé publique. La dépendance alimentaire, qui atteint 80 % des besoins, expose l’île aux ruptures d’approvisionnement nationales et mondiales. Les risques sanitaires, la fragilité du tourisme face aux crises environnementales, la montée de la violence et des trafics de drogue , le désengagement des assurances et surtout le danger avec les pertes d’emplois imputable à l’intelligence artificielle : autant de menaces qui exigent une solidarité nationale renforcée, non une rupture institutionnelle.

Le futur de la Guadeloupe ne réside pas dans un isolement statutaire, mais dans une refondation économique et culturelle. L’urgence est à la diversification et à l’innovation : investir dans l’agriculture durable, l’économie bleue, les énergies renouvelables, et faire de l’éducation le levier d’une transformation durable. L’intelligence artificielle, qui bouleversera l’emploi et la production, peut devenir un moteur de développement si elle est anticipée par la formation et l’innovation locales. De même, le tourisme doit s’ouvrir à de nouveaux horizons – bien-être, santé, culture – en valorisant les atouts naturels et patrimoniaux de l’île. La création d’un grand musée de l’histoire de la Guadeloupe, d’un musée de la marine coloniale, de parcs de loisirs tropicaux ou d’équipements culturels modernes serait un investissement d’avenir, alliant mémoire, attractivité et emplois.

Mais toutes ces ambitions exigent une stabilité institutionnelle et financière, une vision claire et une gouvernance rigoureuse. L’autonomie, au contraire, introduirait une incertitude dangereuse, en affaiblissant le lien avec la solidarité nationale au moment où le monde entre dans une ère de crises. Les élus qui brandissent cette idée comme un remède magique masquent mal leur impuissance à construire un véritable projet économique. Ils jouent avec le feu d’un isolement qui pourrait transformer l’archipel en laboratoire d’échec politique.

La Guadeloupe n’a pas besoin d’un statut nouveau, elle a besoin d’un projet collectif qui devrait être bâti sur l’article 73 renforcé d’un pouvoir normatif . Un projet qui mobilise les forces vives autour de l’éducation, de l’innovation, de la culture et de la résilience climatique. Un projet qui renoue avec l’exigence du travail, de la responsabilité et de la transparence. Dans un monde incertain, la plus grande audace n’est pas de rompre subrepticement avec la France, mais de réinventer l’avenir dans le cadre de la solidarité nationale au sein de la République. L’autonomie, dans le contexte actuel, ne serait pas une émancipation : ce serait une aventure périlleuse aux conséquences irréversibles. L’histoire récente des outre-mer démontre que ceux qui cèdent à la tentation de la rupture finissent souvent par payer le prix fort de la solitude à l’instar de pays de comme le Venezuela menacé désormais par la puissance militaire des Etats Unis . Pour la Guadeloupe, l’heure n’est pas à la dérive institutionnelle, mais à la lucidité et à la responsabilité.

_« Danmjanm toutouni pa kay an priyè a wòch-galèt »_

Traduction littérale : La Dame-Jeanne nue ne va pas à la prière des galets)

Jean Marie Nol économiste et juriste en droit public*