Crime esclavagiste et engagement sociétal et mémoriel

Du constat à la perspective de changements1

Par Pierre Pastel Sociologue/ Psychothérapeute

Contre la barbarie esclavagiste et ses résurgences délétères, la pertinence de tout acte mémoriel réside dans le passage à l’acte politique, économique, institutionnel et éducatif.

Nous n’ignorons pas que c’est l’acte qui, à la suite de l’engagement, construit en définitive l’espace. Si l’intention est la maxime de l’action, l’action confirme, affirme l’intention. Nous sommes parvenus à ce carrefour où la profession de foi doit rencontrer la volonté politique. Commémorer, dans le désir d’expérimenter un « vivre-mieux-ensemble », c’est tout mettre en œuvre pour que « ce que l’histoire nous a légué comme indignité » ne se reproduise plus jamais. La mémoire ne peut être une posture, au risque de dissimuler une imposture. Elle doit être un agir sincère et sans équivoque pour que nos humanités fragmentées produisent un meilleur monde par tous et pour tous.

Voilà déjà plus de 20 ans que le sociologue Pierre Pastel, à travers ses travaux et ses diverses communications, tente d’établir la « ligne de cœur » entre l’urgence d’un cheminement intérieur de chaque citoyen et la traduction dans le marbre du réel de notre projet humain commun sociétal. YP

« Aujourd’hui, en ce 23 mai 2021, nous sommes aux termes du 12 ième Festival Outre-Mer en Bourgogne commémorant la fin légale d’une barbarie dont notre pays, la France, a été une des chevilles ouvrières dans le monde occidental : la traite et la mise en esclavage des personnes noires.

Ne nous y trompons pas.

Nous savons que les commémorations ne sont pas une fin en soi et qu’elles ne valent que 2 :

– pour le passé qu’elles honorent ou qu’elles déplorent : encore faut-il que ce passé soit identifié et reconnu par tous,

– pour le présent qu’elles tendent à pacifier, à apaiser à condition que la reconnaissance mutuelle de l’humanité de l’autre soit effective,

– et surtout pour les perspectives qu’elles annoncent : il s’agit de mieux construire et vivre ensemble à condition que la légitimité de la présence des uns et des autres ici, en France, aujourd’hui, soit reconnue, acceptée ET RESPECTÉE, que la citoyenneté pleine et entière pour tous soit manifeste.

C’est ce que nous disions dès le premier festival outre-mer organisé ici en ces terres de Bourgogne, rendant hommage en premier lieu aux victimes de ce long crime mais aussi aux artisans locaux de l’échec fait à cette sauvagerie industrialisée et institutionnalisée.

Concernant ces perspectives, ne nous y trompons pas non-plus.

Toute perspective n’est que promesse et toute promesse est un mensonge potentiel. 3

Combien d’entre nous, ici présents et à travers tout le territoire français, se sentent assez de détermination, de conviction, de responsabilisation pour transformer ces promesses en non-mensonges, en clair, en réalité effective avec des résultats spécifiques et mesurables ?

C’est au feu de la gestion de la chose publique, politique, sociale, culturelle, économique, de l’éducation, et de LA TRANSMISSION historique, que l’on reconnaît les ingénieurs quotidiens du respect, de la concorde sociétale, de la paix individuelle et collective.

D’aucuns ne cherchant pas à saisir la portée d’une telle démarche commémorative et mémorielle concernant la traite des personnes noires et de l’esclavage préfèrent botter en indifférence pour dire que ce type d’investissement ne fait pas partie de leur programme politique, comme si le respect de soi et de ses congénères serait conjoncturel… ou commanderait son inscription dans un programme politique.

D’autres se font spécialistes de la pesée pour allouer le financement nécessaire pour réussir ce vaste programme menant à l’échec du racisme et de la discrimination :

-ici, c’est en milliardièmes de milliardièmes de millionièmes de grammes que l’on raisonne et l’on se retrouve au pays des yoctogrammes de piécettes d’euros.

-et là, au contraire, c’est en milliards de milliards de kilogrammes que l’on raisonne et l’on se retrouve au pays des tonnes de billets d’euros.

C’est à croire qu’il existerait des groupes, des peuples qui auraient, en France et dans le monde, le monopole de la souffrance et du devoir de mémoire, et d’autres qui devraient s’interdire de souffrir et de se souvenir…

Enfin, c’est au pays du silence que certains nous invitent, face aux conséquences humaines, civilisationnelles actuelles de cette longue tragédie sur nos relations, sur nos comportements, sur la santé de nos sociétés.

Rappelons que le Silence est d’or lorsqu’il consacre la quiétude effective de l’homme et qu’il est fiel, qu’il est crime lorsqu’il encense la putréfaction de l’HUMAINE QUINTESSENCE4

Vous affirmerez avec moi :

-celui qui sait n’est plus ignorant,

-cependant nous ne sommes pas dupes ; le constat n’est pas le changement.

Agissons ! »

1Pierre Pastel , « Discours prononcé lors du dépôt de gerbe au monument aux morts en hommage aux victime de la traite négrière et de l’esclavage (Monceaux les mines ; 23 mai 2021)

2Pierre Pastel , « Toutes les promesses sont des mensonges potentiels», Alizées et Madinin’Art, janvier 2011 –

3Pierre Pastel, « La traite négrière et l’esclavage : du devoir de faire mémoire ensemble ». Conférence, Mai 2008, Seyssins/sère)

4 Pierre Pastel , « La normalité n’est pas la santé : civilisation gangrenée, civilisation malaisée », Madinin’art, Mars 2011