Coup de poing contre le racisme

Mardi 24 octobre 2017 à 21h 30 en VO. Madiana

Detroit, Kathryn Bigelow, États-Unis, 2 h 23.

— Par Cécile Rousseau —
S’inspirant d’un drame méconnu pendant les émeutes de Detroit en 1967, la réalisatrice dresse un portrait choc d’une société américaine toujours rongée par la haine raciale.
Un homme noir abattu de dos par un policier blanc. Une petite fille en train de jouer chez elle tuée par l’obus d’un tank. Alors que la guerre du Viêt Nam fait rage, durant l’été 1967, à ­Detroit, les émeutes raciales sont matées par une répression sanglante. C’est dans cette ambiance électrique qu’un homme noir tire des coups de feu avec un simple pistolet de course depuis l’Algiers Motel, déclenchant un déferlement de brutalités de la part des forces de l’ordre. Les policiers blancs, guidés pour certains par une haine viscérale, débarquent sur place. Kathryn Bigelow filme cette nuit de cauchemar avec une tension extrême.

Experte en chocs émotionnels, de Démineurs à Zero Dark Thirty, elle sait faire résonner les coups et siffler les balles. Le spectateur est percuté de plein fouet par le malaise des suppliciés, dont le personnage de Larry Reed, chanteur du groupe soul The Dramatics, qui verra ensuite sa carrière s’arrêter net. Ce choix de la violence paroxystique et de scènes de guerre urbaine très maîtrisées permet de déverrouiller les consciences pour mettre au jour ce racisme systémique. Dans cet hôtel transformé en parabole du ghetto dans lequel l’Amérique maintient les descendants d’esclaves, le suspense pervers à huis clos évoque aussi les Chiens de paille, de Sam Peckinpah.

À travers cette reconstitution minutieuse, émaillée d’images d’archives, Kathryn Bigelow raconte cette société gangrenée de l’intérieur depuis ses origines. En prologue, l’utilisation des peintures de Jacob Lawrence et le retour rapide sur l’histoire des Noirs américains paraissent naïfs, mais sont à l’image de la méconnaissance des États-Uniens de leur propre passé. « L’histoire n’est pas le passé, c’est le présent », écrivait James Baldwin. Ultradocumentée sur ces événements, la cinéaste se laisse pourtant aller au schématisme. Anticipant peut-être un procès en légitimité pour revenir sur cet épisode oublié mais toujours sensible, la réalisatrice (blanche) semble remplir un cahier des charges, tombant dans l’évidence avec sa galerie de personnages : les Blancs ne sont pas tous pourris et les Noirs, conscientisés. Si la réussite formelle est indéniable, cette volonté d’exhaustivité et cet excès de didactisme reflètent un manque d’âme.

Reste un coup de poing politique, un retour nécessaire sur une amnésie collective en ces temps troublés. Cette spirale de violence et son impunité judiciaire arrivent en écho à l’assassinat de Trayvon Martin en 2012 et là celui de Michael Brown à Ferguson, faisant resurgir la contestation militante, avec la création du mouvement Black Lives Matter (« les vies des Noirs comptent »).
Cécile Rousseau
journaliste
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