Confinement allégé : les sombres enjeux de la crise du Covid 19 pour les entreprises de Martinique !

— Par Jean-Marie Nol économiste et ancien directeur de banque —

Le 1er novembre 2020 , afin de lutter contre la propagation du virus Covid-19, la Martinique, comme l’Hexagone, a été placée dans une situation de confinement , et puis le 25 novembre dernier, sur décision du ministère de l’outre-mer, il a été procédé à la réouverture des commerces dit « non essentiels ». Mais le hic c’est que demeure en l’état, les restrictions de circulation, et subsiste la fermeture des bars et des restaurants. C’est là dans ce contexte que nous considérons que l’onde de choc de la
crise sanitaire est encore devant nous. Alors que se profile une crise économique , une troisième vague sociale risque de commencer à déferler bientôt sur la Martinique. Il n’y aura pas de reprise en V de l’économie martiniquaise , un rebond de la consommation immédiat. Le retour va être long, progressif, comme engourdi, le moral et l’enthousiasme débordant de travailler pour sauver encore ce qui peut l’être, n’y seront pas tout de suite.

Le principal problème des entreprises pendant la crise du COVID-19 reste en effet le manque de trésorerie: Baisse du chiffre d’affaires, craintes de faillites, demandes de financement auprès des banques, retards de paiement…notre enquête personnelle auprès d’ anciens clients chefs d’entreprises témoigne des nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les dirigeants de TPE-PME depuis le début de la crise.

Les entrepreneurs enregistrent une forte dégradation de leur trésorerie avec la crise du Covid-19. L’activité est en berne. De fait, les entreprises ont eu recours aux mesures d’aides pour faire face à la crise sanitaire : majoritairement au chômage partiel, au report des échéances sociales ou fiscales, et aussi aux prêts garantis par l’État (PGE) .

Le prêt garanti par l’Etat ou PGE doit permettre aux professionnels de couvrir leur perte de chiffre d’affaires durant la crise. Mais ce dispositif n’est pas sans danger pour les entreprises elles-mêmes et les finances publiques.
A notre modeste point de vue d’ancien banquier, le PGE est une bombe à retardement.

En effet, certains économistes redoutent que le PGE soutienne des entreprises qui auraient dû faire faillite même sans le coronavirus.
Déjà, avant la crise, déjà 18% des entreprises martiniquaise créées depuis plus de 10 ans, couvrant 20% des employés en Martinique , pouvaient être qualifiées de « zombies ». C’est-à-dire des entités qui ne font pas suffisamment de bénéfices pour payer leurs charges et qui s’endettent pour tenir le coup. S’il est trop tôt pour le quantifier, le risque de voir augmenter ces « entreprises zombies » est bien réel, avec comme conséquence de voir diminuer la productivité globale de l’économie et de casser sa dynamique normale qui est celle de la destruction créatrice théorisée par l’économiste Joseph Shumpeter.

Souvent les plus fragiles, les TPE et travailleurs indépendants sont les premiers à souffrir de la crise sanitaire. Pour elles, les annonces du gouvernement sont essentielles. Mais entre l’intention, la matérialité des aides et la réalité sur le terrain, il subsiste des difficultés de mise en œuvre.

« Avan tiraj tout lotri bèl » (Avant le tirage toute les loteries sont belles)

L’espoir fait vivre, certes, mais tout ce soutien massif de l’Etat et de la collectivité territoriale de Martinique risque d’être un cautère sur une jambe de bois dans la mesure où l’insuffisance de la trésorerie pour préserver l’emploi et l’activité, les perturbations chez les fournisseurs et l’accès difficile aux crédits sont les principaux problèmes auxquels les entreprises doivent faire face.

Dans un contexte concurrentiel déjà difficile avant la crise, les restrictions imposées par les pouvoirs publics, les défis sanitaires et les répercussions économiques du COVID-19 compliquent encore la situation de nombreuses entreprises martiniquaises.
Il ressort de notre propre enquête que le plus grand problème est l’interruption des flux de trésorerie. Plus de la moitié des entreprises ont déclaré que la pandémie avait un impact financier élevé ou moyen sur leurs activités. Seulement un tiers des répondants ont déclaré disposer de fonds propres suffisants pour la relance. Les micro et petites entreprises (9 salariés ou moins) sont les plus touchées.

Une autre récente enquête , a été menée auprès de certains chefs d’entreprises, notamment des commerçants et PME . Les entreprises ont été interrogées sur la continuité de leurs activités, leur santé financière et leurs effectifs.
Près de 80 pour cent des entreprises ont déclaré qu’elles prévoyaient de maintenir leur personnel, une réponse plus courante parmi les moyennes entreprises. Toutefois, environ un quart des répondants ont dit s’attendre à perdre plus de 20 pour cent de leurs effectifs au cours de l’année prochaine.

Pour l’avenir, il faut se préparer à des circonstances imprévues et atténuer les risques inhérents à une perturbation des activités commerciales. Moins de la moitié des entreprises interrogées disposaient d’un plan de continuité des activités lorsque la pandémie a frappé, un manque de préparation d’autant plus marqué parmi les micro et petites entreprises. En outre , il est essentiel que les pouvoirs publics renforcent leurs mesures d’aide aux entreprises pour leur permettre de se relever. Quatre entreprises sur dix ont déclaré ne pas avoir les fonds propres nécessaires à la relance des activités, et deux tiers des entreprises ont déclaré que les fonds dont elles disposaient notamment PGE étaient insuffisants. Ces problèmes de financement ont été signalés d’abord dans le secteur du tourisme et de l’hôtellerie restauration , ainsi que dans le secteur du commerce et de la vente au détail.

C’est une enquête en forme d’avertissement pour les pouvoirs publics et les élus . Le climat social déjà tendu dans les entreprises en Martinique pourrait bien devenir explosif si l’on n’y prend pas garde.
Le pire n’est jamais sûr, bien-sûr. Mais étant donné les perturbations déjà provoquées par le virus aujourd’hui on peut s’attendre à des bouleversements de notre modèle économique , de notre organisation des institutions , voire d’une post-crise économique et politique avec la déflation qui guette la Martinique . Selon la dernière publication de l’Insee, en octobre 2020, les prix continuent leur baisse en Martinique (– 0,3 %). Les prix des produits manufacturés et ceux de l’énergie diminuent (respectivement – 1,3% et – 0,7%). Ces baisses sont en partie annulées par la hausse des prix de l’alimentation (+ 0,5 %) et des prix des services (+ 0,1 %). Par rapport à octobre 2019, les prix à la consommation diminuent de 0,3 % en Martinique.
Au total, la tendance est à la baisse progressive des prix avec à la clé un risque de déflation.
Nonobstant cet aspect des choses concernant cette baisse des prix, le phénomène de déflation pourrait par exemple s’envisager comme ceci : la croissance et l’emploi patinent, la consommation diminue ; les banques restreignent le crédit du fait de leurs difficultés , l’investissement des entreprises recule à la fois du fait de la limitation de l’offre de crédit, de la tendance au désendettement et/ou du fait des perspectives moins optimistes ; du fait de la moindre activité effective les entreprises diminuent leurs prix, les marges reculent ; les anticipations sur les conditions économiques à venir deviennent pessimistes, les entreprises licencient et/ou diminuent les salaires, l’investissement ralenti largement du fait des incertitudes ou anticipations négatives; en parallèle les consommateurs repoussent leurs achats puisque les prix sont attendus à diminuer ; le mouvement de baisse de la consommation est amplifié par la baisse de l’emploi, la baisse des salaires ; c’est le scénario d’une spirale négative pour la Martinique et l’on peut d’ores et déjà noter les prémices d’un nouveau danger pour l’île , une déflation salariale qui pourrait s’installer durablement, avec des conséquences dramatiques.
Tant qu’une situation de chômage de masse prévaudra en Martinique , la pression sur les salaires sera à la baisse , d’autant que la hausse de la pauvreté pèsera sur les revenus des ménages et sur les salaires, nourrissant ainsi la déflation salariale.

La crise économique interdit aujourd’hui toute visibilité. Pire, pour tout un pan de notre économie, il n’y a plus de liquidité. Bien que l’Etat supplée à l’absence ou l’insuffisance de chiffre d’affaires , l’exercice 2020 /2021 sera désastreux pour bon nombre de nos entreprises . La différence se joue aujourd’hui entre ceux qui ont de la trésorerie et ceux qui n’en avaient pas ou peu avant cette crise.

Le combat à court terme est bien celui de résister et l’essentiel se joue sur le pilotage de la sortie de crise qui passe par le déconfinement total de l’économie martiniquaise . Mais n’en doutons pas, la sélection darwinienne qui en découle sera impitoyable. Ceux parmi les entrepreneurs qui sortiront indemnes de cette période inédite de confinement ne ressortiront pas plus forts, mais au contraire peut-être moins bien préparés au futur pour affronter la crise économique et sociale qui peut s’annoncer dévastatrice, si l’on n’y pas garde . De fait , il devient urgent que l’état accélére la levée de toutes les restrictions à l’activité normale des entreprises en Martinique à l’instar de la situation actuelle en Guadeloupe.

 » A fòs makak karésé ich li, i tjwé’y. « 

(A force d’avoir caressé son enfant, le macaque l’a tué.)
Signifie qu’à trop vouloir bien faire, on finit par tout détruire….

 

Jean-Marie Nol économiste et ancien directeur de banque