« Concerning Violence » : un film sur « Les damnés de la Terre »

 A Madiana jeudi 15 et lundi 19 janvier à 19h 30

concerning_violence—Par Roland Sabra —

Distribué dans plus de vingt pays, souvent récompensé, notamment à la 64ème Berlinale, désigné par Indiewire site étasunien consacré au cinéma indépendant comme le meilleur documentaire de l’année 2014 Concerning Violence le film de Göran Hugo Olsson à généré de très nombreux débats. Le réalisateur suédois développe une sensibilité bien marquée pour les Afro-américains et pour l’Afrique en général. En 2009, son documentaire Am I Black Enough for You retraçait le parcours sinueux du chanteur soul Billy Paul. Le suivant, Black Power Mixtape, portait sur le « Black Power ». Avec Concerning Violence, le réalisateur reste dans le même thème, se penchant cette fois sur la décolonisation africaine (Rhodésie, Libéria , Angola, Mozambique , Guinée-Bissau, Burkina-Faso) en s’appuyant sur le texte de Frantz Fanon  Les damnés de la Terre . « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que par une plus grande violence » cette phrase de Fanon reproduite sur l’affiche dit assez bien comment colons et colonisés sont pris au piège de la violence. La philosophe Gayatri Chakravorty Spivak dans le prologue rappelle fort justement que les décolonisations n’ont jamais abouti à l’instauration de rapports égalitaires entre les hommes et les femmes. Comment se déprendre de modèles européens incorporés ? Comment rompre la circularité de la violence dont en dernier ressort les femmes sont toujours les victimes ? Les combattantes du Frélimo qui disent leur émancipation dans les rangs de la résistance sont les seules à porter les enfants. Leurs compagnons d’armes en sont exemptés. Féministes mais pas trop!

Composé de « 9 scènes de l’autodéfense anti-impérialiste », c’est le sous-titre du film, le travail de Göran Hugo Olsson s’appuie sur l’extra-ordinaire richesse documentaire de la télévision suédoise,alimentée en pleine guerre froide par des cinéastes radicaux très concernés par les luttes anti-impérialistes et plus particulièrement celles menées en Afrique. Ces images d’archives brutales, parfois d’une grande violence comme celles d’une jeune femme amputée du bras doit et qui donne le sein a son enfant lui-même amputé de la jambe droite sont accompagnées d’une lecture en voix off d’extraits du texte de Fanon dit par la chanteuse de soul Lauryn Hill complètement habitée. A ces deux langages vient s’en ajouter un troisième, assez inutile, celui de l’impression sur l’écran du texte restitué par la chanteuse. Des fois que le spectateur ne comprenne pas quoi ? Que le film s’est construit autour de l’oeuvre fanonienne et que les images ne sont venues qu’après ? C’est sans doute la légère ambiguïté du travail de Goran Hugo Olsson. Le choix d’archives de la fin du dernier tiers du 20ème siècle s’il accentue par moment l’aspect intemporel et donc actuel du livre puisque hors d’un temps précis, peine à atteindre son objectif. Si l’indécence bourgeoise des colons blancs n’a pas d’époque, comme le montre admirablement des entretiens, ou des scènes de festivités, les discours militants semblent datés. Non pas dépassés mais ils apparaissent comme ce qu’ils sont et que Fanon dénonce en creux à savoir des sous-produits du discours dominant, incapables de s’extraire du cercle de la violence assujettissant colons et colonisés. Seul Thomas Sankara, bref leader du « pays des hommes intègres », le Burkina-Faso, en quelques phrases sur la nécessité de rompre avec une attitude d’assistés échappe à ce tropisme. Il sera assassiné par son compagnon de route Blaise Compaoré dans un coup d’État, dont on suppose que les Etats-Unis et la France ont été les instigateurs.
On l’aura compris le film intense de Goran Hugo Olsson, qu’il ne faut manquer sous aucun prétexte porte, à notre humble avis, sur le rôle et le statut de la violence dans l’histoire des peuples, les luttes anti-coloniales et anti-impérialistes, qu’il ne s’agit pas de minorer, n’apparaissant que comme les formes historiques de cette problématique au vingtième siècle. L’attentat contre Charlie Hebdo et de façon plus générale la montée des intégrismes fascisants à laquelle on assiste, pose ce questionnement d’une autre manière.
Paris, le 08/01/2015
R.S.

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