Combat politique et querelles politiciennes (suite)

— Le n° 311 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —

Rectificatif :

  Nous présentons nos excuses pour une malencontreuse omission dans le dernier article sur le « congrès des élus ». En évoquant le vote à l’unanimité de ce congrès, nous n’avons pas signalé que les élu·e·s du Gran Sanblé et de Peyi-a avaient boycotté la séance avec des explications fortes. Une déclaration préalable de Daniel Marie-Sainte, des écrits de Francis Carole, entre autres, ont mis l’accent sur le caractère bâclé de la préparation de ce congrès, sur l’absence de volonté d’associer la minorité aux débats, sur l’oubli des maires dans l’essentiel de la démarche, sur la priorité accordée aux discussions avec le pouvoir à travers le C IOM. On ne peut que partager cette critique d’une stratégie majoritaire qui, au fond, table sur la sagesse introuvable du pouvoir colonial.


ALLER PLUS LOIN

Nous pensons néanmoins qu’il faut aller plus loin. La constitution d’un bloc d’élu-e-s comprenant tous les partisans d’un changement institutionnel, faisant suite à une large consultation de la « société civile », serait certes supérieure au cafouillage actuel.

La plupart des maires, pourtant membres du « congrès des élu-e-s », ont, comme on dit, voté avec leurs pieds. Elles et ils ont brillé par leur absence.
Mais pourquoi le rôle du peuple devraitil se réduire à être « consulté », lors même qu’il est le protagoniste incontournable ?

 En lui refusant ce rôle majeur dans une question qui le concerne au premier chef, on conforte l’indifférence, la dépolitisation de larges secteurs de la population. Face à un État, qui chez luimême, se montre aussi sourd aux clameurs de la rue, c’est le chemin inverse qu’il faut prendre. Le rôle des élu-e-s se réclamant des masses populaires, c’est de les impliquer dans toutes les phases d’une négociation avec l’État, qui n’a de chance d’être positive, que si elle est basée sur un rapport de force, c’estàdire sur la mobilisation populaire. Que ce chemin comporte des difficultés est une évidence, mais on ne saurait en faire l’économie.


PUISER DES LEÇONS DANS NOTRE HISTOIRE

 La tradition locale est plutôt que le peuple explose en colères périodiques, et que les élus discutent « pour lui » au sommet. C’est bien ce qui s’est passé en décembre 59. Aujourd’hui, où la complexité des problèmes est plus grande, où l’exigence de participation citoyenne et, en même temps, la défiance populaire sont plus fortes, il est urgent de compléter l’expérience de décembre 59 par celle d’août 71, c’estàdire de la « Convention du Morne Rouge ».

Nous ne prenons pas celleci pour une panacée absolue. En 1971, elle s’était déclarée Convention pour l’autonomie (et non pour l’autodétermination), et surtout elle s’est bien vite perdue en chemin, sans doute pour n’avoir pas été assez préparée dans les masses, audelà des cercles militants. Elle avait pourtant acclimaté, pour les dernières colonies, le mot d’ordre démocratique de l’assemblée constituante. L’humanité progressiste n’a encore rien trouvé de mieux pour enclencher des processus de changement d’institution avec la participation des masses.

L’expérience toute récente du Chili prouve que l’assemblée constituante, en soi, ne garantit rien. Le niveau de conscience et d’organisation des masses reste l’élément déterminant. Mais on ne fait pas progresser ce niveau de conscience, en cantonnant le peuple au rôle de consultant éparpillé. Ce peuple à qui on donne la parole seulement en bout de course, pour dire oui ou non à tel ou tel texte, quand ce n’est pas simplement à tel ou tel article d’une constitution bien éloignée de lui.

En organisant l’élection d’une assemblée constituante à la proportionnelle intégrale comme réclamée en 1971, on permet au peuple de choisir des constituants, et donc de dire clairement ses préférences entre les projets qui lui auront été présentés. Cette procédure permet au mouvement ouvrier et populaire d’intervenir dans le débat, de peser sur le résultat de ladite élection. Dans un tel contexte, on a une chance de voir des alliances se constituer sur la base d’idées, de programmes, et non sur la base politicienne de vouloir éliminer tel ou tel, de barrer la route à tel ou telle.

UNE AUTOCRITIQUE ?

La volonté du Gran Sanblé de faire émerger du Congrès des élus un projet politique résonne comme une autocritique sévère de leur lamentable manœuvre électoraliste d’alliance « de gestion » (sic) avec la droite réactionnaire, en mettant de côté la question politique de l’institution la plus politique du pays.

Rappelonsleur toutefois, qu’une autocritique est plus crédible et donc plus fructueuse lorsqu’elle se donne comme telle, en tirant les leçons du temps perdu à l’occasion de ce deuxième grand moratoire de notre histoire récente.


ET NOUS ?

En tant que composante du mouvement ouvrier et populaire, nous appelons toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans le combat des classes subalternes, qui veulent faire avancer la Martinique d’enbas, à se regrouper, à dépasser le cadre étroitement politicien dans lequel nous risquons d’être enfermés, c’est-à-dire, à mettre en chantier le projet commun qui tiendra en mains les deux bouts de la chaine que sont les angoisses et souffrances du quotidien, avec l’ankayaj dans le corset du statut colonial.

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