Clôture du Martinique Jazz Festival 2018

— Par Selim Lander—

Le festival 2018 aura vraiment apporté le jazz au public martiniquais, avec des concerts gratuits sur l’esplanade de l’Atrium mais également à Trois-Îlets, au Lamentin, à Rivière-Salée, au Prêcheur suivis par une assistance nombreuse et souvent passionnée, une vingtaine de concerts en tout, étalés sur une grosse semaine. Les amateurs de la musique classique aimeraient bénéficier d’une aussi riche programmation ! Mais ne crachons pas dans la soupe et félicitons-nous plutôt de l’existence de ce festival, en attendant les « Petites Formes » théâtrales en janvier et les RCM en mars.

La dernière soirée « de prestige », dans la grande salle de l’Atrium, a fait place successivement au pianiste martiniquais Ronald Tulle et à la chanteuse américaine Lisa Simone, deux prestations de qualité quoique dans des genres très différents. Ronald Tulle s’était en effet adjoint pour la circonstance, à côté d’un batteur et d’un percussionniste martiniquais, le bassiste Michel Alibo et le chanteur Tony Chasseur, bien connu chez nous, tous deux emblématiques d’une certaine musique antillaise revigorée par des accents jazzy. Lisa Simone et sa musique groove pour sa part accompagnée par un trio éclectique parmi lesquels on notait la présence d’un batteur d’origine guadeloupéenne. 

A ce point, nous allons une fois de plus nous répéter (ce qui fait beaucoup de répétitions, mous l’accordons). En écoutant avec quelle virtuosité Ronald Tulle enfilait les notes sur son clavier dans un solo époustouflant, nous ne pouvions que regretter l’absence, dans les festivals successifs, de récitals de piano. Qui a assisté, ne serait-ce qu’une fois et ne serait-ce que dans un bar, à la performance d’un pianiste seul avec son instrument qui tient l’assistance captive de sa musique, chacun posant son verre, suspendant sa conversation pour écouter l’artiste, ne souhaite que renouveler cette expérience. Rien de plus simple et de moins coûteux, au demeurant : pas d’instrument à transporter – le Steinway est déjà là – pas d’autres musiciens à défrayer. Dira-t-on que le public martiniquais ne suivrait pas, qu’il est trop habitué à l’accompagnement des basses, caisses et autres congas ? La ferveur avec laquelle il suit et ovationne les solos de piano n’incline pas à le croire.

Fermons cette parenthèse et revenons sur terre (en attendant d’écouter Guy-Marc Vadeleux en solo, comme cela est, semble-t-il, prévu dans le cours de cette année) : Ronald Tulle n’était pas seul sur scène. La première partie commence en effet par un solo de Michel Alibo, pas aussi convaincant qu’on l’aurait souhaité, puis la formation musicale se met en place pour un premier morceau. Tony Chasseur arrivera ensuite, tout de rouge vêtu, pour une première chanson, guère convaincante non plus, mais il ne tardera pas à se « chauffer » et finira par emmener avec lui le public de la grands salle (comble) de l’Atrium, et nous avons, comme toute l’assistance, noté la belle complicité entre le pianiste et le batteur (son filleul dans la vraie vie, avons-nous appris).

°                              °

°

Lisa Simone, elle, est une vraie « fille de », qui a réussi à percer malgré ce handicap. Elle était déjà venue en Martinique. Ce n’est pas une mauvaise idée de l’avoir invitée à nouveau car elle est représentative d’une génération de chanteuses noires américaines qui, sans atteindre les sommets de la génération précédente (celle de sa maman), ne manque cependant pas de talent. Parmi ses musiciens, le guitariste d’origine sénégalaise, Hervé Samb, se détache nettement du lot. On a entendu dans son solo une émule de Jimmy Hendricks, qui sait comment faire chanter, couiner, hurler son instrument. On aurait aimé l’écouter davantage mais c’était Lisa Simone la vedette, n’est-ce pas ? Et il faut lui reconnaître le mérite d’avoir su remuer le public de la salle Aimé Césaire. Il fallait la voir se déplacer à travers toute la salle, le micro dans une main, serrant de l’autre celles des spectateurs en bout de rangée ! Dans une interview à France-Antilles (1er-2 décembre 2018), elle a déclaré qu’elle ne voulait plus faire passer que des « messages de joie […] J’aime qu’on se connecte tous ensemble dans le positif. C’est mon travail de transmettre ces bonnes énergies ». Discours bienvenu, vue la morosité ambiante !