« Claude Gueux », un manifeste contre la peine de mort.

—Par Roland Sabra —

guillotine

Le combat pour l’abolition de la peine de mort est une constante chez Hugo. Dés 1827 il écrit « Le dernier jour d’un condamné un mort », publié en 1829. Il en écrira trois préfaces. En 1834 il reprendra le thème avec « Claude Gueux » dont nous avons eu la possibilité de voir une représentation à Fort-de-France cette semaine. En 1848, le 15 septembre à l’Assemblée constituante il déclare : « « Je vote pour l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort. » En 1862, dans Les Misérables, il dénonce le système du bagne.

« Claude Gueux » est un texte court d’une vingtaine de pages bien moins souvent présenté que « Le dernier jour… » objet d’un véritable engouement théâtral. Pas une année au Festival d’Avignon sans qu’il n’y ait cet Hugo là.

Les trois quarts du récit de « Claude Gueux » personnage réel du XIXème siècle, concernent sa vie, sa condamnation et son exécution. « Un hiver, l’ouvrage manqua. Pas de feu ni de pain dans le galetas. L’homme, la fille et l’enfant eurent froid et faim. L’homme vola. Je ne sais ce qu’il vola, je ne sais où il vola. Ce que je sais, c’est que de ce vol il résulta trois jours de pain et de feu pour la femme et pour l’enfant, et cinq ans de prison pour l’homme. »

A la prison de Clairvaux, Claude Gueux, doté d’un féroce appétit, établi son empire sur les autres prisonniers. Il se lie d’amitié avec Albin qui lui offre la moitié de son pain. Il entretient avec le jeune détenu une relation quasi filiale. Jaloux de l’aura qui entoure Claude Gueux, du respect et de l’estime que lui témoignent les autres détenus, le directeur des Ateliers, M.D., change de lieu de travail son compagnon Albin. Les demandes d’explications de Claude Gueux auprès de M.D., restent vaines. Il finit par lui donner un ultimatum.

« Monsieur le directeur, rendez-moi mon camarade.

— Impossible, dit le maître.

— Il le faut pourtant, dit Claude d’une voix basse et ferme ; et, regardant le directeur en face, il ajouta :Réfléchissez. Nous sommes aujourd’hui le 25 octobre. Je vous donne jusqu’au 4 novembre. »

Dés lors l’enchaînement tragique se met en place. Il va aboutir à la mise à mort de M.D. Claude Gueux tentera vainement de se suicider. Il sera finalement condamné à mort et guillotiné.

Le travail présenté, totalement fidèle au texte original, est une mise en scène  de Guillaume Dujardin, assisté de Guylène Hedou , dans une scénographie de Manu Cèbe avec François Frapier dans le rôle de Claude Gueux. La création s’est faite il y a déjà 12 ans. Formidable conteur le comédien nous tient en haleine tant qu’il est dans le récit de la vie de son personnage. Récit clair, ponctué de suspensions, de silence, bien choisis, de ruptures de tons appropriées aux différents moments de la narration, soulèvent l’attention sans jamais la relâcher. Le déplacement dans la salle, dans les travées, entre les spectateurs, met en valeur une proximité recherchée et largement assumée, au risque de paraître par moments, artificielle. Sa tenue, on ne peut plus contemporaine, achetée au bazar du coin, chemise hors du pantalon, chaussures quelconques, nous dit clairement qu’il est des nôtres, que ce qu’il a à nous dire est encore de notre de notre temps. Pas sûr pour autant.  La scénographie, un fauteuil en bois qui supporte un portrait du condamné, une dizaine de bougies posées sur le sol, semble un peu surfaite, mais bon on a vu pire.

La rupture brutale intervient dans le texte même de Victor Hugo. Le dernier quart du récit est un discours un peu sentencieux, moralisateur, qui fait décalage avec ce qui l’a précédé. On passe d’un récit de la quotidienneté à des envolées civilisationnelles. Il y est question de Rome, de la Grèce, de la France, de l’Europe, de Jésus, de Voltaire et des évangiles. L’attention du spectateur  retombe, décroche, sans doute convaincu par avance de l’ineptie et du scandale de la peine de mort, le discours ne porte plus. Depuis la décision courageuse prise contre la majorité de l’opinion publique de l’époque, en 1981, nous vivons dans un pays abolitionniste. Aujourd’hui peu de politiques, exceptés à l’extrême droite, réclament le rétablissement de la guillotine, ou de quelques substituts plus hypocrites. Nous ne doutons pas qu’ils puissent y avoir dans la salle quelques nostalgiques d’une époque ou la France se tenait en hideuse compagnie avec  certes les États-Unis mais aussi l’Iran, la Chine, la Corée du Nord et quelques charmantes démocraties du même acabit. Ce n’est pas la pièce de Victor Hugo qui les fera changer d’avis. Ils sont sourds. A moins que le choix en faveur du maintien de la peine de mort ne relève d’un champ hors raison, un champ dans lequel cohabitent quelques objets hors de la pensée, comme les choix politiques ou les choix d’objets sexuels…

In fine, le  « Claude Gueux » présenté est un spectacle inégal, obéré par une rupture du discours narratif du texte que le réel talent du comédien ne peut toujours relever.

Fort-de-France, le 19/03/2014

R.S.

La pièce « Claude Gueux »   a été écrite par Victor Hugo. Elle est mise en scène par Guillaume Dujardin. Assistante à la mise en scène : Guylène Hedou / Avec : François Frapier / Scénographie : Manu Cèbe

Le 18 mars à Fort-de-France

R.S.