Claude Gueux, adapté de Victor Hugo

claude-gueuxPar Selim Lander – Le spectacle présenté mardi dernier dans la salle Frantz Fanon du CMAC (une salle bien remplie de spectateurs qui se montrèrent satisfaits – qu’on se rassure tout de suite) cumulait d’entrée les  deux principaux désavantages si souvent présents dans le « théâtre » d’aujourd’hui : un texte non théâtral et un seul comédien. Le « seul en scène » présente pour la production l’avantage évident de réduire le coût au minimum (tout en augmentant néanmoins le nombre des comédiens au chômage et en privant les spectateurs des interactions entre les comédiens, qui font normalement une grande partie du charme du théâtre). Quant à l’adaptation d’un texte non théâtral, elle ne s’explique pas seulement par le fait que les monologues et soliloques – écrits ou non au départ pour le théâtre – ne sont pas en nombre illimité : il s’agit d’une véritable mode chez les metteurs en scène contemporains qui prennent ainsi assez aisément la posture d’un auteur.

Claude Gueux est une œuvre de Victor Hugo que l’on peut ranger dans la catégorie des contes moraux. Un ouvrier analphabète mais intelligent, et même non dépourvu d’éloquence et de charisme, se trouve contraint par une société injuste, celle de la Restauration en l’occurrence, à voler et ensuite à tuer. Il sera condamné à mort par un jury incapable de trouver les circonstances atténuantes pourtant évidentes aux yeux de tous les lecteurs, ou auditeurs, de cette histoire. Histoire émouvante, d’autant plus qu’elle est inspirée d’un fait divers et d’autant plus qu’elle est racontée par Victor Hugo. Il y a déjà du Jean Valjean dans ce Gueux-là !

Mais comment « faire théâtre » avec un simple récit ? Malgré tout son talent – qui semble réel – et sa présence, le comédien (François Frapier) se trouve dans l’incapacité de s’élever au-dessus du rôle d’un simple conteur. Prendre à partie l’auditoire, comme il le fait à plusieurs reprises, est d’ailleurs typiquement un truc de conteur. Nous étions donc conviés à écouter un conte. Comme celui-ci était, on l’a dit, émouvant, personne ne s’en est plaint – au contraire, on l’a dit aussi. F. Frapier fait tout ce qu’il faut, au demeurant, pour animer son récit : il monte et descend de la scène, il s’avance dans les travées, au plus près des spectateurs, il brandit un portrait censé représenter Claude Gueux, il se juche sur un tabouret pour esquisser le discours du procureur, lors du procès d’assise, etc. La lumière des projecteurs reste discrète pour ne pas anéantir celle qui vient des bougies disposées à intervalle régulier sur le devant de la scène. Rappel salutaire, car – l’imagine-t-on ? – l’électricité n’existait pas encore à l’époque de Claude Gueux ! (1)

Le spectacle s’organise en deux temps. D’abord le récit de la vie du malheureux ouvrier, ensuite la morale tirée par l’auteur (Hugo). Sans doute cette dernière est-elle nécessaire. Cependant, elle est par nature moins vivante que les avatars de l’existence de Gueux. La tension, alors, se relâche et le spectacle se termine en laissant les spectateurs dans l’incertitude, ce qui explique pourquoi les applaudissements tardent à démarrer. Laisser le comédien assis dans un fauteuil pendant ce second temps du spectacle ne semble pas le meilleur parti qui s’offrait au metteur en scène (Guillaume Dujardin).

Le 18 mars 2014 au CMAC de Fort-de-France.

(1)   C’est seulement en 1878 que l’Américain Thomas Edison concevra une ampoule susceptible d’être produite industriellement.