Au cinéma !

"Lulu, femme nue", "Des Étoiles". "Salvo". "Cristo Rey"

LULU+FEMME+NUE Par Selim Lander – Toujours dans la série le CMAC à Madiana, Steve Szebina présente en ce mois d’avril quatre films inédits en Martinique, plus la reprise de The Lunchbox, projeté naguère mais qui mérite effectivement d’être proposé à nouveau aux cinéphiles qui l’auraient raté la première fois. Surprise : un film français à l’affiche : Lulu femme nue de Solveig Anspach, une fable tirée de la bande dessinée d’Etienne Davodeau. Lulu, une jeune dame (Karin Viard), néanmoins mère de trois enfants, décide qu’elle a besoin d’une coupure avec le train-train qu’on devine étouffant de la vie familiale. Habitant un petit village près d’Angers, elle se retrouve un peu par hasard à Saint-Gilles-Croix-de-Vie. Au fil des jours elle y fera deux rencontres qui vont changer sa vie, plus pompeusement, la manière dont elle appréhende la condition humaine : Charles (Bouli Lanners) tout juste libéré de prison, en quête, comme elle d’affection et Marthe (Claude Gensac), vieille dame énergique. Nous ferons connaissance aussi avec les deux frères de Charles (Pascal Demolon et Philippe Rebbot) – deux âmes simples qui se sont autoproclamées ses gardes du corps –, de Morgane – la fille adolescente de Lulu (Solène Rigot), tête à claques mais bon cœur – et de quelques autres personnages également hauts en couleur. Le film ne tire pas à conséquence. A défaut d’être beau, tout le monde est gentil (oui même l’ado Morgane). Il y a bien le mari qui joue le rôle de l’affreux, sale (il est garagiste, alors…) et méchant, mais son rôle est si convenu qu’on a du mal à le prendre au tragique. On rit, on sourit et l’on sort de là plutôt réconcilié avec l’humanité. La photo contribue à notre plaisir : la mer avec les vagues, la lumière rasante sur les maisons vendéennes d’une blancheur immaculée. Il y a même, en prime, pour les nostalgiques des autos d’antan lontan, une Ami 6 Citroën (celle de Marthe). Que dire après tout cela, sinon merci à Etienne Davodeau et à Solveig Anspach !

affiche-Des-Etoiles Changement de décors mais pas vraiment d’atmosphère avec la franco-sénégalaise Dyana Gaye et son film Des Étoiles (après Un transport en commun, sorti en 2009). Ce n’est pas tout-à-fait Babel d’Inarritu mais ça peut y faire penser dans la mesure où l’action se partage entre trois villes et trois pays : Italie, Sénégal, Etats-Unis, soit Turin, Dakar et New York. Des Étoiles est un film fort sympathique qui peut également nous réconcilier avec l’humanité, plus particulièrement celle de ces Africains migrants qui semblent aussi à l’aise dans un marché à Turin, un bar à New York ou une réunion familiale à Dakar. On peut être cosmopolite et profiter à sa façon de la mondialisation, sans être un de ces « bourgeois nomades » décrits par Jacques Attali. Trois personnages principaux Sophie (Marième Demba Ly), à Turin, cherche son mari Abdoulaye (Souleymane Seye Ndiaye), lequel vient justement de partir pour New-York, Tandis que Thierno (Ralph Amousso) a accompli, lui, le chemin inverse de New York jusqu’à Dakar, afin de faire connaissance avec la famille restée au pays. Sophie aura un peu de mal à admettre la disparition d’Abdoulaye, parti sans laisser d’adresse, mais trouvera assez vite son bonheur en succombant aux approches d’un pizzaïolo ukrainien (Andrei Zayats), lui aussi immigré, donc. Thierno se découvrira deux demi-frères auxquels il ne s’attendait pas, tout en essayant de ne pas se laisser submerger par la séduction de sa longiligne et très juvénile cousine, surnommée fort à propos « Bébé Dior » (Johanna Kabou). Seul Abdoulaye semble moins doué pour la vie mais cela ne suffit pas à plomber le film qui laisse l’impression d’un objet roboratif et charmant, parfois même émouvant. C’est filmé sans aucun maniérisme, le scénario ne tisse qu’un minimum de liens entre les trois personnages principaux, mais il faut avouer qu’il est bien plaisant de se balader d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, au gré de ce scénario.

salvo 1 Changement total d’atmosphère, par contre, avec Salvo, œuvre d’un duo de réalisateurs, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, récompensé par le Grand Prix de la semaine de la critique au dernier festival de Cannes. Ayant précisé cela – qui signifie que ce film peut être apprécié – nous nous sentons libres d’écrire que nous l’avons personnellement détesté. Les plans interminables dans la pénombre d’une maison de Palerme étaient-ils destinés à créer du suspense, à faire monter la tension ? Ils n’ont provoqué chez nous qu’un incommensurable ennui ! Nous ne nierons pas que Saleh Bakri qui interprète le premier rôle masculin, variation maffieuse sur le thème de Roméo et Juliette, soit pourvu d’un torse admirable mais, en dehors de cet atout incontestable, on peine à dire quelque chose de positif à propos de ce film. La lenteur au cinéma, la répétition peuvent se défendre, mais elles ne suffisent pas à faire un bon film. Il faut un texte qui envoute (voir L’Année dernière à Marienbad), ou des images qui submergent (voir Le Mépris), or on aurait bien du mal à découvrir l’un ou les autres dans ce film quasiment muet d’un bout à l’autre et au décor misérabiliste ! La prétention, pourquoi pas, tant qu’on se situe vraiment à la hauteur de l’idée que l’on se fait de son propre génie. Le maniérisme, pourquoi pas également, pourvu qu’on ait la manière. Hélas, contrairement au jury de la semaine de la critique, nous n’avons vu ni l’une ni l’autre dans Salvo.

 

Cristo ReyCristo Rey, film venu de Saint-Domingue, clôture cette série. C’est l’œuvre d’une réalisatrice engagée, Leticia Tonos Paniagua, que l’on sent sincèrement choquée par le sort réservé aux Haïtiens en République Dominicaine, autant que par la brutalité des policiers ou la cruauté des voyous. A part ça, Cristo Rey rentre dans la catégorie « film de rue » dont nous avons vu tant d’exemples dans ces séries du CMAC. Et à ce propos, nous sommes tenté de nous demander si les spectateurs du CMAC sont le genre de cinéphiles auquel convient vraiment ce type de films. Une enquête permettrait de le vérifier. Cristo Rey est, au demeurant, d’honnête facture, et sait éviter la vulgarité (parce que l’œuvre d’UNE réalisatrice ?). Quant à l’intrigue, c’est encore une variation sur le sujet de Shakespeare – qui met en scène un Roméo haïtien (James Saintil) et une Juliette dominicaine (Akari Endo) – heureusement mieux menée que dans Salto.

Le CMAC à Madiana, du 10 au 21 mars 2014.