Cinq questions à Jean-Baptiste Barret, photographe.

— Propos recueillis par Matilde dos Santos Ferreira, critique d’art et curateur indépendant —

L’exposition « De feu et de pluie » visible à la Fondation Clément jusqu’au 11 novembre, réuni 16 artistes martiniquais ou vivant ou ayant vécu en Martinique autour du volcan comme métaphore de la négociation entre construction/destruction (au niveau humain, naturel, social,…). Elle créé un espace pour penser la vie aux Antilles continuellement entre bâtir et démolir, ériger et raser, marquer et effacer, en réponse et en résistance à des menaces diverses. Les œuvres exposées évoquent les mémoires recomposées, le chaos, les jaillissements et les tremblements de toute création, l’échanges d’énergie, l’état du monde l’instant d’après.

Jean-Baptiste Barret est un des artistes de l’exposition. Son œuvre « Un démiurge » a été créé spécialement pour « De feu et de pluie ».

Matilde dos Santos – Qui est Jean-Baptiste Barret ?

Jean-Baptiste Barret : J’ai du mal à me dire artiste ; je dis plus souvent : je suis photographe, c’est une manière de mettre un peu de distance je crois. En fait, je fais des images. Je le fais pour me rapprocher de mon intime. Pour moi il n’y a rien de plus apaisant que de regarder une image. C’est peut-être un truc de l’enfance…. En grandissant je me suis mis à faire les images que je voulais voir. Et si j’ai des aspirations c’est d’en faire plus. Créer, car dans la création il y a des hauts et des bas, certes, mais quand on est porté par le mouvement de la création, la vie devient plus facile et enthousiasmante. Je garde vers l’art un regard d’enfant, je me laisse émerveiller facilement. Du coup je conceptualise peu, je reste plus proche de l’émotionnel. Paradoxalement je peux me référer à l’histoire de la peinture (occidentale) mais je crois que ça reste plus émotionnel qu’intellectuel. L’art est surtout réconfortant pour moi. Je peux avoir un œil critique mais je ne vais pas forcément avoir un discours critique, ou mettre en conversation différentes œuvres. Ce que j’aime dans le travail des autres c’est entrer dans l’œuvre et y adhérer, …même si parfois j’y adhère moins… J’aime dans la photo le fait que c’est figé. Je peux l’ausculter, regarder tous les détails, m’intéresser aux traits d’un dessin. La vidéo, l’image en mouvement en revanche me parle moins.

MDS : Est-ce que l’art soigne ? Soi-même ? l’autre ? Le monde ?

JBB : Ce serait formidable si l’art pouvait soigner l’autre et le monde, mais je ne crois pas. Soigner les autres me semble un peu prétentieux. Soigner le monde me semble carrément impossible…Peut-être quelques personnes en regardant des œuvres se sentent bien ou mieux, pour quelques heures, quelques jours, … mais ça ne va pas plus loin. En revanche, moi, c’est sûr que ça me soigne. Certes il y a toujours une relation entre l’égo et la création… mais créer m’apaise. Le démiurge de « de feu et de pluie » m’apaise, je suis content de l’avoir fait ; je devrais dire, je suis content de l’avoir rencontré. Quand je regarde la photo je ne pense pas au moment où on a fait la photo, mais au personnage. Les images d’autres artistes m’apaisent aussi, donc oui, l’art agit sur les autres, mais ne soyons pas trop prétentieux non plus.

MDS : L’artiste a-t-il un rôle dans la société et quel serait ce rôle ?

JBB : Oui il a un rôle, mais lequel ? L’idéal serait que tout le monde soit artiste. En fait je crois que le rôle de l’artiste est de défendre l’humanité. Je ne veux pas être prétentieux, ni moraliste, ni dire que cela ne sert à rien, je pense que l’artiste défend l’idée de l’humain, au même titre qu’un philosophe. En fait l’artiste a le même rôle qu’un philosophe : faire réfléchir les hommes sur ce qu’ils sont, parce qu’au final notre problématique principale, c’est qu’on est des êtres humains et qu’on doit vivre ensemble en harmonie et quand on oublie cela la société dérive vers l’inhumain.

Photo 2 exposition « de feu et de pluie », Fondation Clément du 22 septembre au 11 novembre 2021, vue salle carrée avec « Un démiurge » en premier plan.

MDS : Parle nous de ta création, ton processus de création et de ta pièce « Un démiurge », dans l’exposition « de feu et de pluie » …

JBB : Ma création est le plus souvent en rapport avec le paysage et la nature. Plus le paysage, en fait. Ici, en Martinique, la nature est si présente qu’il serait difficile de passer à côté, mais dans d’autres endroits, il y a des paysages non naturels qui m’intéressent. Sans pour autant être un street-photographe, je suis aussi un photographe des espaces d’activité, des bords d’autoroutes, des sortes d’espaces intermédiaires. Étrangement ces espaces qui ne sont nulle part, font partie des choses qui me rassurent. Parfois même cela me rassure de façon très intime.

Dans ces espaces soi-disant vides, on suppose qu’il y a eu du mouvement ou qu’il va y en avoir, car ce sont des espaces de circulation. Lorsque je rajoute des personnages dans une œuvre, je me sens en création, alors que quand je fais des photos d’espaces, je fais de la cueillette. Pour une photo comme « Un démiurge » , j’ai du tout créer …et cela est très satisfaisant ; je fais une narration, je raconte une histoire, fantastique, surnaturelle, peu import. Je raconte ou me raconte une histoire, toujours ce rapport à l’enfance… L’histoire n’est pas forcément complète, mais il y a un potentiel de récit, on pourrait l’utiliser pour raconter une histoire pour endormir un enfant. C’est ce que m’intéresse.

Photo 3 Série « S’insérer », n10, 2017

JBB : Pour « Un démiurge », on est parti sur l’idée de la montagne Pelée et de la forêt, … on avait parlé de la présence humaine, et pour moi c’était bien d’avoir justement une présence humaine dans la forêt. Si c’était un parking, une photo de l’espace, aurait suffi pour la narration ; mais dans la forêt pour être dans la narration, je ressens le besoin d’ajouter un petit bonhomme qui passe par là. Je suppose que c’est parce qu’en tant qu’humain on est quand même très extérieur à la forêt. J’ai donc trouvé une sorte de personnification de la forêt. En fait il est entre les deux, il passe un peu dans le cadre, il ne court pas non plus, il est quand même un démiurge, demi-ourgos, un créateur, un demi-dieu, donc un intermédiaire entre le divin (la nature) et l’humain (non-divin). Pour moi il incarne le surnaturel… En même temps, Il est taquin, et ça c’est la magie de la création, car je ne l’avais pas prévu… j’avais fait d’autres séries comme « Les contes de nuit » ou la « Mythologie au bidon » avec un aspect mythologique avant mais elles étaient plus graves. « Un démiurge » est venu comme ça, plus léger. Il y avait une intention de ma part bien entendu, mais pas trop directrice. Mais c’était un moment où j’étais moi-même léger, donc je l’ai fait avec légèreté. Dans d’autre circonstances, ou il y a quelques années, penser au divin c’était plus lourd. Maintenant il y a une sorte d’acceptation. Je considère aujourd’hui que l’existence du divin est acquise, je ne me pose plus la question dans les mêmes termes. Disons que je peux évoquer le divin sans avoir l’air sérieux…. d’ailleurs dans la mythologie il y a des trucs joyeux ou ironiques ou taquins. Le démiurge est joyeux et taquin… comme ce petit être des forêts brésiliennes dont tu m’avais parlé.

MDS : oui, ta photo m’a fait penser à Curupira, petit être surnaturel qui vit dans la forêt et qui aime faire des farces aux humains, farces que les humains prennent plutôt mal.

JBB : Voilà , les dieux de la mythologie, en fait, soit ils ignorent les humains et vivent leur vie, soit ils font des blagues aux humains. Aujourd’hui je pense que croire à la légèreté du divin c’est de l’ordre de la vraie foi, pas la foi de la religion, mais la foi de la spiritualité. Mon intention était, par rapport à la montagne Pelée d’éviter la tristesse, la pesanteur de la catastrophe (St-Pierre. Le démiurge me permet d’évoquer le cycle naturel, la possibilité d’éruption, mais sans la gravité, et je parle de volcan parce qu’on est dans le thème, mais ça peut être n’importe quel cataclysme, feu de forêt, une sècheresse, un mauvais temps…

Photo 4 – Série contes de la nuit – « Oh ! La prudence », 2001, d’après Simon Vouet et Jean Leon Jerome

MDS: On dirait quand même que le vert de la forêt est couvert de cendres….

JBBS : Oui c’est le fait de désaturér complètement le vert, ça renforce le côté magique, ça permet de prendre de la distance.

J’avais déjà en tête un travail dans la forêt. Cela fait longtemps que je me « prends le mur » de la forêt… Ce que je veux c’est prendre de la distance avec le réel dans la forêt… et ce n’est pas évident. J’ai fait beaucoup de photos, Je tâtonne encore, j’essaye de cerner des individus (un arbre, une plante) ou un espace. En fait, j’ai souvent envie d’y placer un personnage, car c’est ce qui me permet de raconter une histoire, plus facilement. Et cette forêt est exceptionnelle…. J’essaie de garder le même émerveillement que celui j’avais quand je suis arrivé ici, il y a trente ans. Je pense à « La jungle » de Lam. Ce tableau m’impressionne, car c’est un mur… En revenant sur le triptyque, le fait qu’il y ait destruction il y a forcément renaissance, et avec le démiurge sans nom, sur la dernière photo je voulais suggérer la reconstruction. Si on observe la photo, on voit qu’il laisse la lumière revenir, il la regarde. Laisser venir la lumière, ça c’est la renaissance, la reconstruction.

MDS : Quel était l’impact de la pandémie sur ta création et ton actualité ? Quels sont les projets à venir ?

JBB : Mon projet d’avenir est toujours de retourner dans la forêt. « Un démiurge » pourrait bien devenir une série. En fait, je cherche depuis longtemps ce que j’ai vu récemment dans l’exposition de Sebastião Salgado à Paris : la faille dans la forêt ; la faille pour introduire la narration ; la possibilité d’introduire de la distance, mais pour moi pour l’instant la faille dans le mur de la forêt est l’humain. Je n’arrive pas à avoir une création où la distance par rapport au sujet soit visible. La distanciation est beaucoup plus simple sur un parking car dès lors qu’il est vide, la distance est posée. Car le vrai contexte d’un parking est son utilisation. Il est inséré dans une économie commerciale actuelle, donc si tu le photographies vide, tu le sors de son contexte, donc tu proposes une réflexion. Je n’arrive pas à sortir la forêt du contexte, et c’est ça mon projet, c’est pourquoi j’ai commencé à desaturer et je pense que je vais aller vers le noir et blanc, comme chez Salgado d’ailleurs. Ou encore, il faudra retrouver dans la forêt des espaces intermédiaires, par exemple la photo du milieu du triptyque « Un démiurge » montre un trou dans un fourré, c’est ce type de recherche qui m’intéresse en ce moment.

Le covid ? Sans effet sur moi. Il y a eu et il y a encore des restrictions, mais ça n’a pas eu d’impact vraiment, ce n’était pas vraiment pesant pour moi.

Photo 1 « Un démiurge », Triptyque , tirage jet d’encre contre collé sur dibon, 120 x 90 cm (chacune), 2021