Chordécone : Un drame antillais

Entre bénéfices financiers et sacrifices humains.

Par Yves Untel Pastel, poète. —

Au-delà du chlordécone, une culture ancrée de l’empoisonnement colonial.

Les relations entre la France et ses territoires d’outre-mer sont profondément marquées par une tendance séculaire : des pratiques de maltraitance et de déloyauté. Des essais nucléaires à Mururoa en Polynésie et à Reggane en Algérie aux catastrophes écologiques en Guyane, ainsi qu’à l’exploitation minière du nickel en terre kanak, les agressions environnementales et sanitaires se sont multipliées. La gestion de ces régions a systématiquement privilégié les intérêts économiques, reléguant la santé publique et la protection de l’environnement au second plan, tout en institutionnalisant une violence systémique encouragée par l’État. L’affaire du chlordécone illustre cette tragédie : utilisé comme pesticide, ce produit a entraîné un empoisonnement généralisé des populations antillaises, les laissant dans une situation dramatique. Cette crise sanitaire et écologique demeure une plaie ouverte, exacerbée par l’impunité des responsables.

Sous les noms de Kepone aux États-Unis, Merex dans les pays anglophones, et Képone et Curlone en France, le chlordécone a provoqué une crise de santé publique majeure en Martinique et en Guadeloupe. Malgré de nombreux avertissements concernant sa dangerosité, ce scandale d’empoisonnement a été traité avec une insuffisance politique manifeste, loin de la gravité que la situation exigeait.

Entre prévention et réparation

Face à cette réalité alarmante, des revendications émergent. Les demandes comprennent un soutien médical aux victimes, la reconnaissance de leurs souffrances et l’accès à des soins appropriés, une qualification légale des crimes liés au chlordécone accompagnée d’une réparation morale et financière, ainsi qu’une mobilisation urgente pour la dépollution des sols et la mise en place de mécanismes de vigilance collective pour éviter la répétition de telles pratiques nuisibles.

Ces actions sont essentielles pour répondre à l’une des questions fondamentales soulevées par ce scandale : pourquoi le droit à la justice est-il remis en question ? Et pourquoi l’indifférence persiste-t-elle face à un crime sanitaire aussi évident ?
Dans ce contexte, il ne s’agit pas de condamner un produit tel que la banane, culturellement et économiquement vital pour la région, mais plutôt de pointer avec gravité une industrie agricole destructrice qui a sacrifié des vies humaines sur l’autel du profit. La logique capitaliste qui a sanctifié ce produit semble avoir éludé manifestement les responsabilités fondamentales de l’État envers ses citoyens.

 En l’absence du chlordécone et de son utilisation excessive dans les plantations bananières, les terres n’auraient pas été contaminées, les communautés n’auraient pas souffert d’une augmentation des pathologies telles que les cancers ou les troubles infantiles irréversibles, et les écosystèmes locaux n’auraient pas été autant détériorés. Ainsi, le problème ne réside pas dans la banane elle-même, mais dans un modèle agricole toxique qui compromet gravement la santé humaine, détruit la biodiversité et menace durablement l’avenir des populations locales. Cette situation est exacerbée par des décisions politiques apparemment indifférentes aux crises environnementales et sociales résultantes.

Sous les faits avérés, l’engagement continuel des associations de sensibilisation, la mobilisation des scientifiques et la documentation approfondie sur la question, le scandale du chlordécone a finalement amené la classe politique à reconnaître timidement sa responsabilité. Les plans successifs chlordécone I, II, III et IV, élaborés difficilement, sont restés largement insuffisants face à l’urgence et ne remettent pas en question les causes fondamentales persistantes de cet empoisonnement massif.

Un passe-droit pour l’empoisonnement

En avril 2025, le président de la République française a ratifié une loi autorisant l’épandage par drone de produits phytosanitaires dans les plantations de bananes, démontrant ainsi une insensibilisation aux souffrances déjà subies par les populations antillaises, mortellement exposées aux pesticides. Les lobbies bananiers ont systématiquement obtenu des dérogations leur permettant d’exercer un passe-droit légal dans l’empoisonnement de nos populations. L’usage du droit d’exception et des prérogatives régaliennes soulève des interrogations : l’État français, défenseur des droits de l’homme, est-il réellement représenté par de telles décisions de son Président ? Comment l’autorité suprême de cet État France peut-elle encore ignorer les préoccupations vitales de citoyens qui luttent pour leur survie ?

Pour sauver l’économie bananière, fallait-il subventionner le cancer antillais ?

La question fondamentale demeure : quelle est la valeur d’une économie fondée sur de tels sacrifices humains et environnementaux ? Quand L’État France à travers ses hauts dirigeants assumera ses pleines responsabilités en choisissant courageusement de protéger ses citoyens contre des intérêts commerciaux aveugles ? Cette posture se révèle moralement impérative. 

Élevés au milieu des bananeraies, nous comprenons l’importance culturelle et économique de ce fruit. Cependant, nous sommes préoccupés par les choix agricoles destructeurs et les pratiques irresponsables qui impactent notre quotidien.

Est-il encore nécessaire de préciser que nous ne sommes pas naïfs au point de croire que l’exploitation de la banane constitue l’unique pilier essentiel de la prospérité économique des territoires antillais ? L’histoire a démontré qu’une spéculation agricole peut être remplacée par une autre. Si le charançon devait s’avérer indestructible, devrions-nous exterminer les Antillais en utilisant des substances chimiques de plus en plus létales pour préserver la banane ? Sacrifice pour bénéfice, est-ce vers cette extrémité absurde qu’il faudrait se diriger ? Pour sauvegarder les marges du Béké faut-il passer par l’immolation de nous autres, populations locales ?

Maintenir la vigilance contre la banalisation du crime sanitaire

L’usage de pesticides nocifs et de produits chimiques dangereux doit impérativement cesser. Sacrifier la santé d’une population au nom des intérêts commerciaux est un manquement moral intolérable. Les bananes produites aux Antilles et vendues dans les supermarchés français symbolisent actuellement des sacrifices humains contemporains compromettant gravement l’avenir des générations futures. Cette situation ne peut plus durer.

Notre lutte est claire : Il est essentiel d’agir collectivement, de manière claire et résolue, pour exiger l’interdiction immédiate et définitive des substances responsables de ce désastre écologique, sanitaire et économique. Ces pratiques fragilisent nos terres, menacent notre communauté et altèrent l’héritage que nous laisserons aux générations futures.

Nous devons porter notre attention sur les maltraitants véritables de nos populations dans ce lourd dossier qui nous préoccupe : un lobby bananier spéculatif (soutenu par l’Etat France), déconnecté des enjeux fondamentaux de protection des populations et de leurs droits essentiels.

Face à cette crise, humaine, sociale et environnementale qui aggrave notre situation de sous-développement, nous avons l’obligation de nous dresser collectivement.

Cela appelle à une mobilisation courageuse et déterminante pour protéger notre avenir, avant que cette gangrène ancienne et profonde, alimentée par une logique occidentale destructrice, ne nous condamne à un désastre irréversible.

À moins que l’objectif implicite ne soit en réalité de dépeupler les Antilles, perçues comme problématiques, pour permettre une nouvelle forme de colonisation, semblable aux modèles génocidaires observés en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Bien que cela puisse sembler une hypothèse machiavélique, absurde et spéculative, il n’en demeure pas moins que notre peuple disparaît lentement mais sûrement. 

Yves UNTEL PASTEL, Poète.