C’est bien le 22 mai 1848 et à la lutte héroïque de nos ancêtres que nous devons notre liberté !

— Par Marie-Hélène Léotin, historienne —

J’ai dit et je répète qu’au mois de Mai 1848, personne en Martinique ne connaît l’existence du décret du 27 avril 1848 signé par le Gouvernement Provisoire de la République française et pris à l’initiative de Victor Schoelcher. L’acte fondateur de la Liberté pour nos ancêtres est l’arrêté du gouverneur Rostoland du 23 Mai 1848, signé aux lendemains de l’insurrection du 22 Mai à Saint-Pierre. Ce jour-là, tous les esclavisés martiniquais se sont réveillés libres !

Bien sûr qu’on est au courant qu’un décret ou une loi doivent être votés. Le processus historique qui mène à l’abolition est un cheminement long qui répond à un certain nombre de conditions. Les historiens parlent du « siècle des abolitions » entamé dès la première abolition en 1793 en Ayiti. Après l’Abolition Act en Angleterre en 1833, le gouvernement français lui aussi met en place une Commission chargée de préparer l’émancipation, dès l’époque de la Monarchie de Juillet. Les rumeurs d’abolition ne datent ni de 1848, ni de la République. On n’a pas attendu la République pour réfléchir à la question de l’abolition de l’esclavage. La question n’est pas de savoir si, oui ou non, l’esclavage doit être aboli, mais quand et comment sera réalisée cette abolition, dans quelles conditions pour les propriétaires, la question de l’indemnité étant au centre des débats. Une solution efficace qui « ne doit pas être une révolution mais une réforme conduite par le gouvernement » disait le rapport Jules Lechevalier, Fort-Royal, novembre 1838.

La Révolution de Février 1848 à Paris et la proclamation de la République précipitent les choses. Le Gouvernement Provisoire envoie un certain nombre de signes. Depuis Paris, la lettre de Perrinon, futur Commissaire de la République, ouvre la voie (27 février 1848) : « En présence de la noble et généreuse victoire du peuple d’où sortira pour tous la liberté, nous recommandons à nos frères des colonies de rester tranquilles et calmes… Bientôt, il n’y aura plus aux colonies ni maîtres, ni esclaves. Ce sont des citoyens nouveaux que la République va donner à la France… L’impatience gâcherait tout. Aux noirs, nous recommandons la confiance dans les blancs, à ceux-ci la confiance dans les noirs, à toutes les classes la confiance dans le Gouvernement… Ainsi, patience, espérance, union, ordre et travail, c’est ce que je recommande à tous. »

Le Ministre de la Marine et des Colonies, François Arago, écrit en mars 1848 : « Le Gouvernement provisoire a pour mission d’assurer le maintien de l’ordre en même temps que la consolidation du triomphe de la liberté. Il faut donc que les populations des colonies attendent avec calme et confiance la solution que le gouvernement définitif ne peut manquer de donner promptement à la question de l’abolition de l’esclavage. »

Mais le texte le plus explosif est le fameux Décret du 4 mars 1848 : « Le Gouvernement provisoire de la République, considérant que nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves, Décrète : une Commission est instituée auprès du Ministre provisoire de la Marine et des Colonies pour préparer l’acte d’émancipation… »

Les esclaves n’ont pas attendu. De paroles en paroles, de promesses en promesses, ils sont passés aux actes. L’insurrection du 22 mai 1848 est bien l’événement qui marque un changement dans la vie de nos ancêtres. Le gouverneur Rostoland est contraint et forcé : « Le Gouverneur provisoire de la Martinique, considérant que l’Esclavage est aboli en droit, Arrête : l’Esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique… Il n’y a plus parmi nous de libres ni d’esclaves, la Martinique ne porte plus aujourd’hui que des citoyens… » (23 mai 1848).

Il y a bien un Décret d’Abolition qui voyage sur l’Océan atlantique mais personne n’est au courant que ce décret a effectivement été voté ; il arrivera en Martinique au mois de juin, porté par Perrinon. Les esclaves ont fait tourner la roue de l’Histoire. Il est temps que nous étudions notre Histoire « du dedans », à partir de nos faits et gestes, des actes de nos ancêtres, et non pas sous le prisme déformé des derniers adeptes de l’assimilation. Quand les lions pourront écrire leur propre histoire…

 

Marie-Hélène LEOTIN, historienne, 22 mai 2024.

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