— Par Sarha Fauré —
Avec Le Rire et le Couteau, Pedro Pinho signe une œuvre aussi ambitieuse que déroutante, un film-fleuve de 3h30 qui prend racine en Guinée-Bissau, ancienne colonie portugaise devenue un théâtre d’interrogations brûlantes sur l’héritage colonial, le pouvoir, le désir et l’identité. Dès les premières images, un Occidental en transit, l’ingénieur portugais Sergio Coragem, s’engage sur une route poussiéreuse au cœur d’un paysage aride. Chargé par une ONG d’évaluer les conséquences écologiques d’un projet routier, il s’enfonce rapidement dans un monde qui échappe à ses cadres, ses repères et sa prétention à comprendre.
Sergio, figure du néocolon progressiste, croit au départ pouvoir conjuguer conscience postcoloniale et bonne volonté occidentale. Mais ce fragile équilibre est mis à l’épreuve dès son arrivée. Les ratés logistiques (panne de voiture, inconfort climatique, déplacements absurdes) deviennent le reflet d’un désalignement plus profond, un corps étranger déplacé dans un système de forces qui le dépasse.
Dans ce pays où les rapports Nord-Sud ne cessent de se réactiver sous des formes aussi économiques que charnelles, le film évite soigneusement la caricature ou la dénonciation frontale.