Budget 2026 : choc d’austérité pour l’Outre-mer

L’impact redoutable des mesures d’économies du gouvernement Beyrou sur la Guadeloupe et la Martinique !

— Par Jean-Marie Nol —

Le budget 2026 présenté par François Bayrou annonce un tournant radical dans la gestion des finances publiques et s’impose déjà comme un choc économique et social pour la Guadeloupe et la Martinique . L’exécutif assume un objectif clair : ramener le déficit public à 4,6 % du PIB en 2026, contre 5,8 % en 2024, en imposant une cure d’austérité inédite avec un plan d’économies de 43,8 milliards d’euros . Mais dans des territoires où la vie économique et sociale dépend étroitement des transferts financiers de l’État et où les fragilités structurelles s’accumulent, les annonces résonnent comme un avertissement sévère pour les partisans d’une éventuelle évolution statutaire . Suppression de deux jours fériés, « année blanche » pour les retraites et les prestations sociales, gel des dépenses de l’État, réduction des effectifs publics et contribution de solidarité pour les plus hauts revenus : tout le monde, selon le Premier ministre, devra participer à l’effort. Et tout le monde inclut les collectivités ultramarines, invitées à se serrer la ceinture comme jamais.

En Guadeloupe et Martinique, cette trajectoire budgétaire réinterroge en profondeur les conditions de viabilité d’une autonomie et de la création de richesse ainsi que la possibilité même d’un nouveau modèle économique et social. Comment stimuler l’activité locale, sortir de l’assistanat et mobiliser le tissu entrepreneurial si, dans le même temps, l’État réduit drastiquement la masse monétaire injectée dans l’économie ? Comment protéger la terre et renforcer la préférence pour l’emploi local si les collectivités, asphyxiées, ne peuvent plus investir dans la formation, les infrastructures ou les politiques d’insertion ? La question se pose d’autant plus que la réforme de l’octroi de mer, déjà dans les cartons, menace de priver les communes et intercommunalités de recettes précieuses, tandis que la baisse ou le gel des dotations s’annonce comme une étape incontournable de la stratégie gouvernementale.

Les conséquences d’une telle politique sont multiples. D’abord, un affaiblissement immédiat de la capacité des collectivités à assurer leurs missions essentielles. Moins de dotations, c’est moins d’écoles entretenues, moins de routes réparées, moins d’hôpitaux modernisés. C’est aussi moins de projets structurants pour soutenir le tourisme, l’agro-transformation ou les filières innovantes. Ensuite, un risque accru de fracture sociale dans une région où le chômage reste élevé et la précarité endémique. Les dépenses publiques ne sont pas une manne dilapidée : elles irriguent la consommation des ménages, soutiennent l’emploi dans le bâtiment, l’immobilier, les services, et entretiennent la confiance indispensable aux investissements privés. Couper ces flux, c’est prendre le risque d’un ralentissement économique, d’une montée du chômage et d’une désaffection des investisseurs.

La réduction de la masse monétaire en circulation, induite par ces économies, aurait un effet domino sur l’ensemble du tissu économique guadeloupéen. Moins de liquidités signifie moins de crédits, plus de difficulté pour les entreprises à se développer et pour les ménages à consommer. Cela peut entraîner une pression à la hausse sur les taux d’intérêt, renchérir le coût des projets et geler des initiatives locales pourtant cruciales pour la diversification économique. Cette spirale de contraction pourrait s’aggraver dans un contexte marqué par des catastrophes naturelles récurrentes qui nécessitent des capacités d’intervention et de résilience accrues.

À l’échelle nationale, pour contenir la crise de la dette, François Bayrou défend un plan articulé autour d’une réduction drastique des dépenses et d’une relance de la production. Il propose de supprimer deux jours fériés, comme le lundi de Pâques ou le 8 mai, pour augmenter le temps de travail annuel. Il impose une « année blanche » où retraites et prestations sociales resteront figées, tout comme les barèmes de l’impôt sur le revenu, tandis qu’une règle de non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois réduira encore les effectifs publics. Aux collectivités, il demande un effort de 5,3 milliards d’euros, soit 13 % du plan global, en reconduisant la ponction des recettes fiscales déjà amorcée en 2025. Dans le domaine de la santé, un plafond doublé pour les franchises médicales et des restrictions pour les affections de longue durée feront peser un fardeau supplémentaire sur les patients, alors que l’assurance-chômage sera à nouveau réformée pour réduire les indemnités et « faciliter les recrutements ».

Face à cet arsenal, les élus guadeloupéens et Martiniquais craignent de revivre l’époque des « contrats de Cahors », qui imposaient un carcan budgétaire aux collectivités. Certains redoutent même une réforme territoriale qui supprimerait des échelons, comme certaines intercommunalités, au nom d’une rationalisation des coûts. Derrière ces choix se profile une vision comptable qui oublie que chaque euro investi localement est un levier pour l’emploi et la cohésion sociale. Réduire les dotations, c’est mécaniquement réduire la circulation monétaire sur l’île, ralentir la croissance, accentuer les inégalités et affaiblir la capacité d’adaptation à un environnement déjà complexe.

Dans un contexte international tendu, entre guerre économique et menaces militaires qui justifient des budgets supplémentaires pour la défense, la France fait le pari d’une austérité qui ne dit pas son nom. Mais pour la Guadeloupe et la Martinique, ce pari pourrait se traduire par une aggravation des fragilités existantes, là où il faudrait au contraire renforcer les investissements productifs, simplifier la fiscalité, encourager l’innovation et protéger les ressources locales. À l’heure où le gouvernement exige des efforts supplémentaires, la question reste entière : comment préserver le bien-être des citoyens et l’avenir économique d’un territoire quand les leviers financiers se réduisent ? La réponse, elle, se dessine déjà dans les inquiétudes non pas des élus locaux obnubilés par la chimère d’une responsabilité locale sans aucuns moyens financiers , mais des acteurs économiques, qui redoutent que l’effort de redressement demandé ne se transforme, pour la Guadeloupe et la Martinique , en un coup de frein brutal sur leurs aspirations au changement statutaire pour assurer un développement.

Jean Marie Nol économiste