Banque alimentaire : le trésor du cœur

 —Par Serge Pognon, président de la Banque alimentaire de la Martinique

 bank_alimentaireJ’ai encore en mémoire la réussite presque insolente de ce Monsieur, fort élégant, quittant le matin sa maison au volant de sa belle et luxueuse voiture. De son épouse flamboyante et riante. De ses enfants dodus, repus et rayonnants de bonheur. Ils faisaient tous plaisir à voir, tant ils donnaient l’impression que le soleil se levait derrière leur immense villa et ne brillait que pour eux…

 Et puis, ce fut l’éclipse sociale, la faillite de l’entreprise. Un ciel brusquement assombri. Un déluge de factures et autres traites impayées. Un fleuve d’huissiers arrivant par vague pour échouer violemment contre la porte. Derrière celle-ci se terrait cette famille, subitement dans la tempête, aussi triste que malheureuse. Un bonheur dispersé par une tornade économique. Une famille emportée par un torrent de dettes. Une vie désormais de galère, de misère pour un père brutalement au chômage, seul et s’accrochant uniquement au cou de sa bouteille pour y puiser un vain réconfort.

 C’est ainsi que j’ai appris que toute vie peut, à un moment donné de notre parcours personnel, basculer, sombrer, voire s’arrêter…

 Heureusement, un regard ami -dans lequel, ni mépris, ni reproche-a compris cette détresse. Une main ferme et fraternelle a alors tenu celle de l’homme qui n’apercevait plus que le dos de ses anciens camarades.

 Aujourd’hui, cet ex chef d’entreprise remonte doucement la pente. Il a un travail, une compagne, un fils, une vie et des amis sincères. Il partage avec Voltaire que « ce qui touche le coeur se grave dans la mémoire » .

 Aussi se tient-il aux côtés de la Banque alimentaire. Il a retenu la leçon de la vie, de la rue, de la main tendue qui ne lâche pas prise pour laisser la place au désespoir!

 Des histoires ainsi, celles de la vraie vie, chacun de nous en connaît plusieurs qui nous viennent de connaissances…

 Nous ne les racontons pas souvent. Parce qu’elles ne sont pas drôles ou parce que nous nous refusons à penser à un futur qui pourrait aussi, éventuellement être le nôtre.

 Mais, autour de nous, chez nos parents, amis et alliés, combien sont-ils désormais à être confrontés au chômage ou à sa menace ? Comment pouvons-nous seulement imaginer que ce sont des drames qui ne touchent que les autres!

 L’expérience nous démontre que chacun de nous est une victime potentielle de l’argent qui multiplie les gains et les besoins, divise les hommes, additionne les fléaux et soustrait jusqu’à… la vie!

 Seuls remèdes à toute cette détresse le partage et la solidarité.

 L’AMOUR COFFRE-FORT

 La Banque alimentaire est, depuis sa création le 17 octobre 1997, enracinée dans cette terrible réalité de vies tourmentées et brisées, de ventres affamés, de famille déchirées et désespérées.

 Voilà pourquoi, les samedi 8 et dimanche 9 juin 2013, nous avons organisé de grandes collectes publiques devant des commerces afin de venir en aide à tous ceux que la vie a déshérités.

 Voilà pourquoi chacun de nous doit se sentir concerné et s’impliquer car « jou malè pani pwan gad » !

 La Banque alimentaire de Martinique (BAM), association loi 1901 a pour objet, dans une démarche de solidarité, d’apporter une aide alimentaire aux personnes les plus démunies en partenariat avec des Associations et Organismes sociaux. Cette aide vise à promouvoir une alimentation de qualité et créatrice de lien, facteur de retour à une vie normale pour ces personnes. L’Etat et les collectivités, qu’elles soient publiques ou privées sont de moins en moins généreuses. La crise heurte toutes les caisses tandis que la misère frappe de plus en plus brutalement à de plus en plus de portes. Quand il reste encore la maison!

 La société martiniquaise sait faire preuve de solidarité pour de nombreuses causes envers divers citoyens du Monde et c’est très bien! Mais il importe aussi qu’elle n’ignore pas la misère criante qui déambule dans nos rues. Mais il importe encore qu’elle ne ferme pas les yeux sur la misère -pudique- qui s’abrite derrière des murs ou rôde, fièrement enfouie dans des estomacs vides, jusque dans… des salles de classes.

 Il importe enfin que nous ne nous départissions pas de notre culture empreinte de solidarité, de générosité. Que nous cultivions notre sens du partage et que notre fraternité demeure un rempart contre l’indifférence. Que le coeur de chacun de nous soit le coffre-fort de l’amour de l’Humain ; une valeur refuge!

 DÉFI DE L’ESPOIR

 Certaines années nous recevions jusqu’à 40 tonnes de marchandises que nos trois salariés et notre dizaine de bénévoles, permanents et semi-permanents, triaient et entreposaient afin de les mettre à la disposition des familles démunies. Ce ne sont pas moins de 14.000 f amilles (à travers les associations) qui espèrent cette manne comme une bouée de secours. Mais, ici comme ailleurs, les effets de la crise économique sont rudes, les collectes sont de moins en moins abondantes (2011 : 14 tonnes – 2012 : 25 tonnes (1)) alors que la détresse est, elle, grandissante, immense! En 2 012 on notait une augmentation de 15% par rapport à l’année précédente!

 Observons que c’est dans ce contexte déjà si douloureux qu’une directive de l’Union européenne prévoit, à l’horizon 2014, une diminution des moyens alloués aux banques alimentaires et autre OCA (Organismes caritatifs agréés). Cette décision ne manquera pas d’avoir de lourdes conséquences. Au titre de l’année 2012 ce sont quelques 866.000 repas qui ont été distribués. Or, l’on estime à environ 30% la diminution de la participation de l’UE pour la Martinique. Ce qui équivaut à environ 122.000 repas en moins. Nous refusons de céder au désespoir car nous n’ignorons pas que chacun de vous sait faire preuve de lucidité, de courage, de partage et de générosité devant l’adversité. Tel Beaumarchais, vous pouvez affirmer avec nous que « la difficulté de réussir ne fait qu’ajouter à la nécessité d’entreprendre » . C’est pourquoi nous vous invitons à relever, avec nous, le défi d’une collecte de 60 tonnes cette année.

 Prouvons aux autres et à nous-mêmes que malgré la crise, malgré la démission de certaines instances officielles, nous refusons la fat alité.

 Prouvons aux autres et à nous-mêmes que la dignité de tous relève de la responsabilité de chacun ; « nou tout sé fanmi » !

 Serge Pognon, président de la Banque alimentaire de la Martinique

 

(1) L’augmentation de 2012 est due à un don du « Crédit Agricole Antilles » et de la « Bred » suite à la liquidation des établissements « Leclerc »