Avignon : Kwahulé, Kacimi, Marivaux

Par Selim Lander –

Le IN - Cloître St LouisEn Avignon le festival bat son plein. Les rues de la ville sont envahies par les amateurs de théâtre et par les comédiens qui s’efforcent de les convaincre de venir assister à « leur » spectacle qui promet tant de merveilles. Les affiches s’étagent sur les murs, accrochées partout où c’est possible, aux grilles, aux fenêtres et aux moindres poteaux. Les chiffres donnent le vertige : 1258 spectacles différents aux OFF et 66 au IN, lequel a depuis longtemps débordé de son lieu historique, la cour d’honneur du palais des Papes et envahi cloîtres, lycées, etc. Un nouveau lieu, une construction nouvelle, a ouvert cette année, la FabricA, dédié aux résidences et aux répétitions. En dehors des représentations proprement dites, le festival est marqué par divers événements et de nombreux débats à destination des professionnels comme d’un public plus large. Ainsi, le lundi 15 juillet, le IN s’interrogeait sur « Comment sortir de la crise de l’avenir ? », tandis qu’au OFF on débattait sur « Culture et numérique – le prix de la gratuité ».

Mais l’on se rend en Avignon d’abord pour le théâtre. On peut y découvrir un nombre incalculable de pièces et d’auteurs et mêmeLe OFF - Ecole Thiers revoir des pièces qu’on a aimées. P’tite Souillure de Koffi Kwahulé, dont Roland Sabra a déjà dit grand bien ici, est programmée à la chapelle du Verbe incarné, dédiée aux outremers : nous avons revu avec le même plaisir cette pièce baignée dans une ambiance mystérieuse, qui ménage de nombreux retournements de situation et des moments d’intense émotion. Les comédiens s’identifient à la perfection aux personnages dont les projets sont aussi flous que les identités.

Au même théâtre, Terre Sainte, de Mohammed Kacimi (mis en scène d’Armand Éloi) n’a pas suscité – chez nous en tout cas – le même enthousiasme, malgré Layla Metsitane que les spectateurs de Fort-de-France se souviennent peut-être avoir vue dans Palabre en négritude (qu’elle avait mis en scène) et qui illumine la pièce par sa présence. Sid Ahmed Agoumi se tire également à son avantage d’un exercice difficile. Car la pièce qui raconte les malheurs des Palestiniens apparaît décousue et les personnages trop convenus : la mama, le papa revenu de tout, la jeune femme émancipée, le fils qui vire fou de dieu, le soldat israélien déboussolé. Quant au dialogue, il hésite entre la trivialité et la poésie et ne touche que par intermittence, que ce soit dans l’un ou l’autre registre.

Plus tard, autre lieu, autre siècle, Marivaux et sa Dispute. Qui de l’homme ou de la femme a été le premier infidèle en amour ? Pour en décider un prince a eu l’idée de faire grandir séparément quatre enfants (deux filles et deux garçons), sans autre contact qu’avec le couple chargé de les élever. L’adolescence venue, on les fait se rencontrer. Une fille, Églé, est la première à sortir du petit domaine dans lequel elle était enfermée. Elle se découvre elle-même, dans un miroir, en même temps qu’elle découvre le monde extérieur. Le ravissement devant sa propre image n’a d’égal que son étonnement face à la vastitude du monde. Lorsqu’un garçon, Asor, la rejoint, ils succombent immédiatement à une attirance naturelle entre deux êtres jeunes et normalement constitués. Les choses se compliquent, évidemment, lorsque un garçon et une fille supplémentaires se joignent à eux : trahison, jalousie, chagrin, autant d’attitudes, de sentiments qui sont les compléments inévitables de l’amour.

La Dispute

La Dispute

La pièce, à vrai dire, ne répond pas à la question initialement posée. L’infidélité semble également partagée et constitutive des deux sexes. Et Marivaux n’a pas cherché à se dégager des stéréotypes de son temps. Les femmes sont immédiatement coquettes et rivales tandis que les hommes savent pratiquer entre eux une saine camaraderie… Des traits de comportement qui caractérisaient en effet l’aristocratie du XVIIIe siècle mais qui n’ont rien d’universel. Que l’on songe par exemple à toutes ces peuplades où les hommes se montrent bien plus coquets que les femmes ! Il n’empêche que le message porte. Marivaux pointe du doigt des conduites qui sont aussi les nôtres.

Le thème de la pièce – on le voit – touche immédiatement et il faut féliciter la compagnie Arcade (de Soissons) et au metteur en scène Vincent Dussart pour l’avoir montée en accentuant l’étrangeté de la situation imaginée par Marivaux, tout en restant dans son époque, comme le montrent les costumes des adolescents, camisoles fermées dans le dos par des lanières en cuir. L’idée la plus intéressante est sans doute d’avoir juxtaposé à la langue classique parfaitement maîtrisée par les adolescents, avec tous les imparfaits du subjonctif qu’il faut, un second langage fait de gestes saccadés, tout aussi éloquent que le premier. Les comédiens qui interprètent les adolescents ne le sont plus depuis longtemps mais en donnent l’illusion. L’ensemble de la troupe est homogène avec néanmoins quelques individualités qui se font particulièrement remarquer comme Nathalie Yanoz qui interprète d’une manière assez stupéfiante le personnage principal, presque constamment sur scène (celui d’Églé).