Avignon : Jean-Paul Delore, Anne Teresa de Keersmaeker

Fin du IN, pour ce qui nous concerne, avec deux événements bien éloignés du théâtre.

— Par Selim Lander —

Dieudonné Niangouna dans Sans Doute

« Oratorio électrique, spectacle musical, théâtre fragmentaire » : telles sont quelques-unes des expressions qui reviennent à propos des productions de Jean-Paul Delore (qui dirige « Carnets Sud/Nord, laboratoire itinérant de créations théâtrales et musicales »). Il est présent cette année dans le IN avec le spectacle Sans Doute, par l’intermédiaire de Dieudonné Niangouna, comme l’on sait l’un des deux « artistes invités » cette année. Ce dernier paye d’ ailleurs de sa personne dans le spectacle, en tant que comédien (et danseur) vedette : heureuse l’occasion ainsi fournie à ceux qui, comme nous, n’avaient pas encore eu l’occasion de découvrir son remarquable talent d’acteur, de se rattraper.

Quelle que soit l’étiquette qu’on lui accole, Sans Doute ne se présente en tout cas pas comme une pièce de théâtre. Douze comédiens / musiciens / chanteurs sont alignés face au public, avec l’équipement requis pour jouer de la musique électronique ou électro-acoustique. Les chants cependant seront le plus souvent traditionnels. La composition du plateau est éclectique avec six nationalités et sept langues différentes, réunies au gré des résidences de Jean-Paul Delore en Afrique, an Amérique du Sud, au Brésil, au Japon. Les textes choisis par les artistes expriment leurs sensibilités, leurs préoccupations, les heurs et les malheurs de leurs peuples. Tout cela est disparate, décousu. Pourtant on ne s’ennuie pas. De ce spectacle fait de bric et de broc se dégage une énergie bien sympathique. Les musiques sont variées et plutôt bonnes. La Brésilienne du groupe, Simone Mazzer, interprète magnifiquement une chanson dans le style de Cesaria Evora. D. Niangouna se dépense pour dix ; il danse comme seuls les Africains savent le faire. Bref la soirée se déroule très agréablement et l’on est conduit jusqu’à la fin sans même sans rendre compte.

Partita 2

Partita 2

Une danse blanche et sèche. On n’en dira pas autant de Partita 2 le spectacle qui conclut le festival dans la cour d’honneur du Palais des papes. La chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker interprète en duo avec Boris Charmatz sa chorégraphie de la deuxième Partita pour violon de Jean-Sébastien Bach. Deux danseurs sur l’immense scène du Palais, l’idée paraît saugrenue mais pourquoi pas ? Et puis cette idée de s’attaquer à Bach… Dans l’entretien avec les deux interprètes qui figure dans le programme du festival, B. Charmatz manifeste à bon droit quelques doutes : « J’ai rarement vu des pièces chorégraphiques réussies sur Bach… C’est une montagne. C’est peut-être trop haut, ou trop construit, ou trop solitaire, trop abstrait, je ne sais pas ». Quelle qu’en soit la raison, ce pas de deux est un échec à la hauteur du monument dans lequel il se produit. La soirée commence bien, pourtant, avec la seule musique. La violoniste Amandine Beyer, seule sur la scène plongée dans l’obscurité, interprète la partita. Les deux mille spectateurs de la cour d’honneur se laissent envahir avec une attention recueillie par la sublime musique de Bach. Exit ensuite la violoniste et place aux danseurs pour… ? Difficile de dire ce qu’ils font. On les voit esquisser des mouvements, petites courses, petits sauts. Ont-ils décidé de s’échauffer devant nous ou est-ce un avant goût du ballet qui suivra, la musique revenue ? En attendant son retour, on s’ennuie un peu, si l’on est fatigué on s’octroie un petit somme. Amandine Beyer à nouveau sur scène, le spectacle proprement dit peut enfin commencer. La musique est toujours aussi sublime,… la chorégraphie toujours aussi indigente. Bien sûr, puisqu’aujourd’hui tout est possible en art et puisque l’originalité et la réputation payent avant tout, on comprend qu’une partie du public puisse applaudir au presque rien qui était présenté sur la scène, faire l’éloge du minimal, de l’épuré.  Les deux danseurs se sont déjà produits – séparément – dans le IN : si on les réinvite, ils doivent être des valeurs sûres, n’est-ce pas ? Nous nous rangeons pour notre part résolument du côté de la minorité des spectateurs qui sont partis avant  la fin, ou qui, restés jusqu’au bout, ont hué les danseurs. Nous n’aurons pas les pudeurs de notre consœur Rosita Boisseau, laquelle, après avoir évoqué « un argument chorégraphique mince, presque maigre mais élégant » et reconnu que « ce régime sec n’a pas fait que des heureux parmi les spectateurs », voit malgré tout dans Partita 2 une « chorégraphie superbe, fabuleux ping-pong avec les humeurs de cette partition complexe » (Le Monde du 26 juillet). Qui a tort qui a raison ? De gustibus non disputandum.

Nous formulerons malgré tout un dernier regret. Puisque l’Afrique était à l’honneur, cette année dans le IN, et s’il fallait terminer le programme du Palais des papes par de la danse, pourquoi ne pas avoir invité plutôt un de ces « fabuleux » ballets africains, qui aurait rempli la cour d’honneur de son énergie et de ses prouesses ?