Avignon 2022 : « Le Sel », texte de Karima El Kharraze & Christelle Harbonn, m.e.s. de Christelle Harbonn

Par Michèle Bigot

Ce spectacle en français, hébreu et arabe surtitré est intitulé Le sel, « le Mellah » en arabe et en hébreu, parce que ce nom représente le symbole de l’amitié, le sel étant l’aliment essentiel que partagent les vrais amis. C’est donc l’histoire d’une amitié recherchée, au-delà des diaspora qui dispersent les voisins d’autrefois. C’est ainsi que nous est contée l’histoire de la diaspora des Juifs du Maroc sur plus d’un siècle, de 1890 à 2020. Une histoire qui commence dans le quartier juif de Marrakech, justement nommé le Mellah, pour aboutir en France en 2020. Et c’est à un va-et-vient entre les deux lieux et les deux temporalités que nous invite l’histoire.

En 1980 à Marrakech, Ephraïm et Efrat vont se voir séparés par le désir d’Efrat d’aller étudier en terre sainte pour devenir rabbin. Et en 2022, Jésus (ironie du prénom!) l’arrière petit fils d’Efrat, rêvant d’adopter un enfant pour fonder une famille avec son compagnon, part pour enquêter sur une légende aux termes de laquelle son aïeul Ephrat aurait voyagé de Marrakech à Jerusalemn sur un âne pour mener à bien ses études bibliques.

Le pitch nous dit assez combien le réel se mêle à la légende, combien les légendes se croisent entre elles et parfois se combinent ou se confondent. Ainsi Jésus Barsheshet se met à la poursuite d’un voyage légendaire à dos d’âne! Pied de nez aux guerres de religion, hymne au métissage, parabole sur l’amour, l’exil et l’origine, le spectacle invite à un voyage onirique autour de la méditerranée, à la recherche de fabuleuses et douloureuses origines.

La scénographie imaginée par Christelle Harboon rend compte de cette ambiance onirique, à commencer par une scène à valeur symbolique forte : un oisillon tombe du nid pour atterrir dans une nid étranger! Les tableaux successifs renforcent cette atmosphère de rêve parfois brutalement traversé par l’irruption d’un réel impitoyable. Ainsi la recherche de paternité par un couple homosexuel se heurte aux préjugés ambiants (le seul enfant qu’on leur propose à l’adoption est un enfant blessé et avancé en âge dont personne ne veut). Le couple constitué par Jésus et son compagnon rencontre des difficultés analogue de celui de son aïeul Efrat marié à une musulmane. Jésus est renvoyé à tout propos à l’étrangeté de son prénom qui jette sur lui un soupçon de traîtrise à sa judaïté. Dans son Odyssée, Jésus rencontrera autant d’hospitalité que d’hostilité. S’il remonte à ses origines, c’est pour pouvoir ancrer l’enfant qu’il va adopter dans une lignée, aussi fantasmatique soit-elle. Si c’est une fiction, tant pis ou plutôt tant mieux. Nous aurons le plaisir de la partager et chacun y reconnaîtra ses petits.

Comme le dit Jan Karski, « mon nom est une fiction ». Plus que tout autre nom, ou à l’égal de tout autre nom?

Michèle Bigot

La Manufacture, Avignon Off, 7>26 juillet 2022