Avignon 2014 : Enfant soldat en Afrique

enfant soldat2Par Selim Lander – Serge Amisi  (au centre sur la première photo), né en 1986, a publié un extraordinaire témoignage (1) de sa vie d’enfant soldat entre 1997 et 2001, d’abord dans les troupes rwandaises du rebelle Kabila, puis, après la victoire de ce dernier contre Mobutu, dans l’armée régulière (!) de la République Démocratique du Congo, soit pendant les deux guerres dites du Congo (1996-1997 et 1998-2002). Il n’était donc encore qu’un adolescent quand il a été démobilisé. Accueilli au sein du centre d’art et d’artisanat de Kinshasa, il s’est mis à sculpter du métal de récupération, puis il est entré dans une troupe de marionnettes à gaine qui a tourné en RDC et en Europe.  Au début de L’Enfant de demain, auquel il participe en personne, il apparaît d’ailleurs dissimulé derrière une marionnette plus grande que nature, dont la tête et la main sont faites à partir de plaques de métal, du cuivre apparemment⋅ L’effet est saisissant⋅  La marionnette représente l’oncle qu’on l’obligera à tuer, suivant le rite barbare destiné à couper les enfants soldats de leur communauté d’origine.

La version française du texte original en lingala est écrite dans une langue très particulière, résultat du travail de l’auteur assisté par Jean-Christophe Lanquetin⋅    On en jugera d’après l’extrait ci-dessous qui se situe pendant un entre-deux de la guerre.

J’ai commencé à rester à la maison de notre commandant, mais là-bas, chez lui, je pensais à mon chez nous, à mes parents, beaucoup, beaucoup, d’autant que je ne partais plus au travail. Je restais toujours à la maison, et toujours on me payait mon argent de salaire, mais je ne payais pas pour manger. Mon argent, si on me payait, j’achetais des jouets pour jouer avec. J’achetais les habits, j’avais maintenant beaucoup de jouets militaires pour jouer comme à la guerre…

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Cet interlude où l’enfance retrouve ses droits ne durera guère, d’autant que c’est le moment où le « kadogo » (2) fait l’apprentissage de la drogue. Quant aux jouets, ils seront vite détruits :

J’ai commencé à jouer du matin au soir. Le commandant ne voulait pas que je joue, mais si le commandant me refusait de jouer, je ne voyais pas cela bien. Jusqu’au jour où il m’a envoyé à l’unité avec les autres soldats, lui est resté à la maison, il a brûlé tous mes jouets, j’ai cherché mes jouets jusqu’à me fatiguer et ce jour-là je suis tombé malade…

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La mise en scène d’Arnaud Churin partage les rôles entre Mathieu Genet – un jeune comédien déjà très expérimenté chargé de porter le récit de Serge Amisi – et Serge Amisi lui-même qui chante, danse un peu et devient tour à tour les comparses de son drame (l’oncle, un marchand de drogue, d’autres soldats,…). Un rideau à demi transparent dissimule à moitié les quelques accessoires (marionnette, vêtements…) qui seront utilisés au fil de la pièce.  Le succès de L’Enfant de demain repose autant sur la force du texte, dont la forme baroque ajoute au récit une dimension insolite, que  sur la qualité de l’interprétation. Sans doute S. Amisi n’a-t-il guère besoin de forcer son talent pour jouer des personnages qui lui sont proches mais M. Genet est étonnant de sensibilité et de justesse dans un rôle où l’on ne l’attendait pas.

(1)    Souvenez-vous de moi, l’enfant de demain, éd. Vents d’Ailleurs.

(2)    Le nom donné aux enfants soldats en RDC.

Lire la critique de Michèle Bigot